lundi 27 juin 2016

Alexandre, camarade policier

Maud Vergnol           

Gardien de la paix aux renseignements intérieurs, Alexandre Langlois paie cher son engagement à la CGT police.

Sur le papier, Alexandre Langlois correspond bien au portrait-robot du « policier type » tel que dessiné par les statistiques : « Homme, blanc, 35 ans, provincial. » Il est originaire de Nantes, élevé dans une famille de la classe moyenne. À 34 ans, le gardien de la paix aux renseignements intérieurs est père d’une petite fille et vit dans les Yvelines. Voilà pour la déposition. Et la surface des choses. Tiens, un fond d’écran de téléphone Che Guevara… Et cet autocollant CGT, qui dépasse de la poche de son imperméable noir. Et puis, cette fiche d’évaluation, qu’il nous tend d’un air déterminé. Où l’on découvre le refus de sa hiérarchie de lui attribuer une notation ou une formation, au motif qu’il est syndiqué à la CGT police.
C’est vrai qu’Alexandre ne rentre pas dans les cases. Depuis qu’il est syndiqué, il adresse un rapport annuel à ses supérieurs sur tous les dysfonctionnements et autres petits arrangements avec la loi qu’il refuse de cautionner. Comme l’université du Medef, qui se tient chaque année dans son département (à Jouy-en-Josas – NDLR), et pour lequel on lui demande, en toute illégalité, de « passer au fichier » tous les personnels intérimaires qui vont travailler sur l’événement. Ou encore ces prévisions ostensiblement tronquées par un supérieur du nombre de syndicalistes d’une entreprise en lutte, pour justifier de l’envoi d’une compagnie de CRS, « alors qu’on manque d’effectifs partout et qu’on sait pertinemment que ce rassemblement ne posera aucun souci de sécurité ». Les exemples sont nombreux. Une majorité de ses collègues choisissent de fermer les yeux. Lui, de les ouvrir en grand. Au contact de la CGT, il opère sa révolution copernicienne
Car le syndicaliste défend une haute idée de son métier, plus proche de celle de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 que du code déontologique concocté par Manuel Valls en 2014, dans lequel le mot « République » a été remplacé par celui d’« intérêts nationaux »… Et il a potassé le sujet, lui qui a découvert avec le syndicalisme toute une culture des luttes qui lui était jusque-là étrangère. Baigné dans un milieu « antisyndical », qui va d’anciens Mao au Front national, rien ne le prédestinait à prendre la tête de la CGT police, qu’il anime depuis plus d’un an.
Bachelier, il s’inscrit d’abord en droit. « Je voulais choisir un métier au service de la population. J’avais envie d’être avocat, mais le jour où un prof nous a expliqué pourquoi, au final, c’est toujours celui qui avait le plus d’argent qui gagnait, je me suis dit que c’était pas pour moi. » « Et pourquoi pas pompier ? » lui suggèrent ses proches. « À la vue d’une goutte de sang, je m’évanouis », plaisante-t-il. Va pour l’école de police, où il découvre avec effroi qu’ici aussi on marche au pas. En 2007, il est affecté à la police aux frontières de Roissy : trois longs mois à tamponner des passeports… Ses collègues lui conseillent de se syndiquer. Alors il adhère quelque temps à Alliance, et constate que le syndicat majoritaire sert surtout aux avancements et mutations. Ce qui l’intéresse, lui, c’est le sens de son métier. « La police est déshumanisée. Il ne faut pas s’étonner qu’on déplore un suicide en moyenne par semaine dans notre profession. »
La CGT, il la rencontre pour la première fois alors qu’il est nommé au renseignement territorial (anciens RG – NDLR). ll a pour mission de dialoguer avec les syndicalistes pour assurer la sécurité lors des manifestations. La réalité sociale qu’il découvre bouleverse « (son) échelle de valeurs » et lui fait franchir la barrière. Le jeune policier opère alors sa révolution copernicienne. Il découvre Karl Marx, dévore Aristote. Au siège de la direction départementale de la sécurité publique de Viroflay (Yvelines), le fonctionnaire de police est le premier, le matin, à lire l’Humanité. « Quand notre chef de service a suspendu l’abonnement, on s’est cotisé pour l’acheter tous les matins », nous raconte celui qui, en adhérant à la CGT, a découvert le revers de la médaille : la discrimination syndicale.
Un matin, il apprend que son bureau lui a été supprimé. Une autre fois, qu’il est exclu de la prime de résultats exceptionnels à titre collectif. En cause ? Son temps de délégation syndicale qui n’aurait pas « permis sa participation à l’effort collectif ». Mais, en dépit d’un visage poupin qui tranche avec le cliché de la brute épaisse, Alexandre Langlois a les reins solides. Non seulement il ne se décourage pas, mais décide de porter plainte pour discrimination syndicale. Son cheminement intellectuel et militant le conduit parallèlement à s’engager en 2012 au Parti de gauche. Depuis le début du mouvement social contre la loi EL Khomri, il est en première ligne contre les violences policières, qu’il attribue aux ordres de la préfecture (voir notre entretien dans l’Humanité du 4 mai 2016).
Le 18 mai, jour de la manifestation de la police contre « la haine anti-flics », Alexandre Langlois choisit de ne pas laisser le terrain à l’extrême droite. Quand les grands médias relaient les sourires de Marion Maréchal-Le Pen s’affichant aux côtés des policiers d’Alliance, lui et quelques collègues font le choix de s’éclipser du rassemblement soigneusement bouclé pour aller à la rencontre des acteurs de Nuit debout, engageant un dialogue inattendu.

Mais alors, combien existe-t-il d’Alexandre Langlois dans la police ? « Plus que vous croyez. »

Photo : Francine Bajande 

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