Gardien de la paix aux renseignements intérieurs, Alexandre Langlois paie cher son engagement à la CGT police.
Sur le papier, Alexandre
Langlois correspond bien au portrait-robot du « policier type » tel que
dessiné par les statistiques : « Homme, blanc, 35 ans, provincial. » Il
est originaire de Nantes, élevé dans une
famille de la classe moyenne. À 34 ans, le gardien de la paix aux
renseignements intérieurs est père d’une petite fille et vit dans les
Yvelines. Voilà pour la déposition. Et la surface des choses. Tiens, un
fond d’écran de téléphone Che Guevara… Et cet autocollant CGT, qui
dépasse de la poche de son imperméable noir. Et puis, cette fiche
d’évaluation, qu’il nous tend d’un air déterminé. Où l’on découvre le
refus de sa hiérarchie de lui attribuer une notation ou une formation,
au motif qu’il est syndiqué à la CGT police.
C’est vrai qu’Alexandre
ne rentre pas dans les cases. Depuis qu’il est syndiqué, il adresse un
rapport annuel à ses supérieurs sur tous les dysfonctionnements et
autres petits arrangements avec la loi qu’il refuse de cautionner. Comme
l’université du Medef, qui se tient chaque année dans son département
(à Jouy-en-Josas – NDLR), et pour lequel on lui demande, en toute
illégalité, de « passer au fichier » tous les personnels intérimaires
qui vont travailler sur l’événement. Ou encore ces prévisions
ostensiblement tronquées par un supérieur du nombre de syndicalistes
d’une entreprise en lutte, pour justifier de l’envoi d’une compagnie de
CRS, « alors qu’on manque d’effectifs partout et qu’on sait pertinemment
que ce rassemblement ne posera aucun souci de sécurité ». Les exemples
sont nombreux. Une majorité de ses collègues choisissent de fermer les
yeux. Lui, de les ouvrir en grand. Au contact de la CGT, il opère sa
révolution copernicienne
Car le syndicaliste
défend une haute idée de son métier, plus proche de celle de la
Déclaration des droits de l’homme de 1789 que du code déontologique
concocté par Manuel Valls en 2014, dans lequel le mot « République » a
été remplacé par celui d’« intérêts nationaux »… Et il a potassé le
sujet, lui qui a découvert avec le syndicalisme toute une culture des
luttes qui lui était jusque-là étrangère. Baigné dans un milieu «
antisyndical », qui va d’anciens Mao au Front national, rien ne le
prédestinait à prendre la tête de la CGT police, qu’il anime depuis plus
d’un an.
Bachelier, il s’inscrit
d’abord en droit. « Je voulais choisir un métier au service de la
population. J’avais envie d’être avocat, mais le jour où un prof nous a
expliqué pourquoi, au final, c’est toujours celui qui avait le plus
d’argent qui gagnait, je me suis dit que c’était pas pour moi. » « Et
pourquoi pas pompier ? » lui suggèrent ses proches. « À la vue d’une
goutte de sang, je m’évanouis », plaisante-t-il. Va pour l’école de
police, où il découvre avec effroi qu’ici aussi on marche au pas. En
2007, il est affecté à la police aux frontières de Roissy : trois longs
mois à tamponner des passeports… Ses collègues lui conseillent de se
syndiquer. Alors il adhère quelque temps à Alliance, et constate que le
syndicat majoritaire sert surtout aux avancements et mutations. Ce qui
l’intéresse, lui, c’est le sens de son métier. « La police est
déshumanisée. Il ne faut pas s’étonner qu’on déplore un suicide en
moyenne par semaine dans notre profession. »
La CGT, il la rencontre
pour la première fois alors qu’il est nommé au renseignement territorial
(anciens RG – NDLR). ll a pour mission de dialoguer avec les
syndicalistes pour assurer la sécurité lors des manifestations. La
réalité sociale qu’il découvre bouleverse « (son) échelle de valeurs »
et lui fait franchir la barrière. Le jeune policier opère alors sa
révolution copernicienne. Il découvre Karl Marx, dévore Aristote. Au
siège de la direction départementale de la sécurité publique de Viroflay
(Yvelines), le fonctionnaire de police est le premier, le matin, à lire
l’Humanité. « Quand notre chef de service a suspendu l’abonnement, on
s’est cotisé pour l’acheter tous les matins », nous raconte celui qui,
en adhérant à la CGT, a découvert le revers de la médaille : la
discrimination syndicale.
Un matin, il apprend que
son bureau lui a été supprimé. Une autre fois, qu’il est exclu de la
prime de résultats exceptionnels à titre collectif. En cause ? Son temps
de délégation syndicale qui n’aurait pas « permis sa participation à
l’effort collectif ». Mais, en dépit d’un visage poupin qui tranche avec
le cliché de la brute épaisse, Alexandre Langlois a les reins solides.
Non seulement il ne se décourage pas, mais décide de porter plainte pour
discrimination syndicale. Son cheminement intellectuel et militant le
conduit parallèlement à s’engager en 2012 au Parti de gauche. Depuis le
début du mouvement social contre la loi EL Khomri, il est en première
ligne contre les violences policières, qu’il attribue aux ordres de la
préfecture (voir notre entretien dans l’Humanité du 4 mai 2016).
Le 18 mai, jour de la
manifestation de la police contre « la haine anti-flics », Alexandre
Langlois choisit de ne pas laisser le terrain à l’extrême droite. Quand
les grands médias relaient les sourires de Marion Maréchal-Le Pen
s’affichant aux côtés des policiers d’Alliance, lui et quelques
collègues font le choix de s’éclipser du rassemblement soigneusement
bouclé pour aller à la rencontre des acteurs de Nuit debout, engageant
un dialogue inattendu.
Mais alors, combien existe-t-il d’Alexandre
Langlois dans la police ? « Plus que vous croyez. »
Photo : Francine Bajande
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