Passionnante tribune de Pablo Servigne sur le site Reporterre : « Les “solutions” sont nécessaires, mais elles n’empêcheront pas l’effondrement ». Essayons de prolonger ici cette réflexion.
Pour Pablo Servigne, co-auteur avec Raphaël Stevens de Comment tout peut s’effondrer
(Seuil 2015), plus rien ne peut empêcher la chute de la civilisation
industrielle, pas même les “solutions” proposées dans le documentaire de
Cyril Dion et Mélanie Laurent, Demain [un chef d’oeuvre d’intelligence qui devrait être diffusé dans toutes les écoles, ndlr]. Bande annonce ICI.
Tout juste certains spectateurs pourront-ils s’efforcer de croire que
ces “solutions” ralentiront cet effondrement, le temps de se mettre en
place. D’autres espérerons au contraire que ces “solutions”
précipiteront la fin d’un système honni, si possible en douceur. Tout
vient d’un malentendu sémantique, explique Pablo Servigne. Nous autres,
Français cartésiens, pensons que tout problème a sa solution. Et que la
solution fait disparaître le problème.
« Les anglophones, quant à eux, ont aussi des problèmes et des solutions, mais ils ont un autre mot, qui peut s’avérer bien plus utile pour décrire notre situation. Ils utilisent le mot (intraduisible) de predicament. Il s’agit d’une situation inextricable, comme la mort ou une maladie génétique incurable, qui n’a pas de solutions (la mort ne peut pas être résolue), mais pour lesquelles il faut plutôt chercher des moyens de bien vivre avec. »
Les “solutions” de Demain naîtront sur les ruines du monde d’hier
Ce qui rend encourageant les solutions proposées dans le film Demain,
c’est qu’elles n’ont rien d’anecdotique ou de marginal. Elles
interviennent à grande échelle, celle d’une grande ville comme
Copenhague et San Francisco, ou même d’un pays comme l’Islande. Elles
naissent d’un chaos (les “fermes urbaines” dans la ville dévastée de Detroit aux États-Unis) ou tout simplement de l’intelligence humaine (l’extraordinaire “ferme du Bec-Hellouin” en Normandie).
Mais leur point commun à toutes, c’est qu’elles vont totalement à
l’encontre des fondements de la civilisation industrielle obnubilée par
le profit financier et la croissance productiviste. Elles relocalisent
quand les autres veulent globaliser. Elles humanisent quand les autres
ne songent plus qu’à engraisser un carré d’actionnaires. Il faut être
bien naïf pour penser que le système encore dominant, pour moribond
qu’il soit, va se laisser mettre en pièces par les solutions de quelques
humanistes sans réagir avec la vigueur dévastatrice dont il a
l’habitude.
La question qui se pose désormais est de savoir qui l’emportera dans
la course à la montre opposant les tenants des “solutions” à une
oligarchie finissante défendant bec et ongle une “civilisation” dont les
ravages menacent la survie même de l’espèce humaine (cf. Le dernier qui s’en va éteint la lumière, Paul Jorion, Fayard 2016).
Une prise de conscience collective me paraît s’imposer : non seulement les “solutions” de Demain n’empêcheront
pas l’effondrement de la civilisation industrielle, mais elles devront
passer par cet effondrement pour avoir une chance de se généraliser.
Comme toujours dans l’Histoire de l’humanité, les “solutions” du monde
de demain naîtront sur les ruines du monde d’hier. Et ils nous faut
d’ores et déjà accepter que cet accouchement ne se fasse pas sans
douleur.
Photo : “Urban farming” à Detroit, Michigan USA
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