Qui se souvient de Fernand Iveton, ouvrier, communiste, rallié au FLN, guillotiné à Alger, en 1957. Et qui se souvient du nom de celui qui était alors ministre de la Justice ?
Une vieille dame est morte, le dimanche 10 mai 1998, à Arcueil. Selon
ses volontés, elle a emporté avec elle, dans la tombe, le portrait de
l’homme qui fut l’amour de sa vie. Elle s’appelait Hélène Iveton.
Son mari, Fernand Iveton, fut guillotiné à Alger, dans la cour de la
prison Barberousse, le 11 février 1957. Qui se souvient de Fernand
Iveton? Le ministre de la Justice s’appelait alors François Mitterrand.
Ouvrier, communiste, se considérant comme algérien, Fernand Iveton
avait rallié le FLN, alors que la guerre faisait rage en Algérie. En
novembre 1956, il avait décidé de procéder au sabotage d’un tuyau dans
l’usine à gaz où il travaillait, au moyen d’une bombe. Des précautions
avaient été prises pour que l’explosion n’occasionne pas de victime mais
uniquement des dégâts matériels. Arrêté le 14 novembre 1956, avant même
qu’il ait pu installer la bombe, il fut d’abord torturé par des
policiers, comme cela était alors la règle: décharges électriques sur le
corps, supplice de l’eau.
En exécution des pouvoirs spéciaux votés par l’Assemblée nationale,
en mars 1956, à la demande du président du Conseil, le socialiste Guy
Mollet, et des décrets d’application qui suivirent, il comparut dix
jours plus tard devant un tribunal militaire présidé par un magistrat
volontaire. Il n’y eut aucune instruction préalable à l’affaire. Deux
jours avant le procès, deux avocats furent commis d’office. La direction
du Parti communiste français ayant d’abord interdit à l’avocat
communiste Gaston Amblard de défendre Iveton, celui-ci fut abandonné à
cette parodie de justice.
Condamné à mort par le tribunal militaire d’Alger, son recours en
grâce, plaidé notamment par l’avocat communiste Joé Nordmann, fut rejeté
par le président de la République d’alors, René Coty. Celui-ci se
contenta de raconter aux avocats l’anecdote suivante : en 1917, alors
qu’il était jeune officier, il avait vu fusiller deux jeunes soldats
français. Alors que l’un d’eux était conduit au poteau d’exécution, le
général lui avait dit : « Toi aussi, mon petit, tu meurs pour la France. »
Fernand Iveton devait être guillotiné pour l’exemple. Il mourut en
criant « Vive l’Algérie ! », en compagnie de Mohamed Ouenouri et de Mohamed
Lakhnèche. Avant d’être exécutés, les trois hommes s’embrassèrent.
J’ai écrit un livre, paru en 1986, sur cette affaire. François
Mitterrand, président de la République, n’avait pas donné suite à ma
demande d’entrevue (1). Le dossier de recours en grâce, m’avait-on dit,
avait disparu des archives du ministère de la Justice.
Le 24 mars 1994, trois journalistes furent reçus par le président de
la République. En 1956, en tant que ministre de la Justice, il était
vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, qui examinait
les recours en grâce et procédait à un vote. Comme ils lui demandaient:
« Qu’avez-vous voté sur le dossier Iveton ? », François Mitterrand leur
avait répondu: « Je ne peux pas vous le dire (2). »
Or, comme beaucoup d’éléments me l’avaient déjà fortement laissé
supposer, François Mitterrand avait voté la mort de Fernand Iveton.
C’est ce que Jean-Claude Périer, secrétaire du CSM de 1956 à 1959,
révéla aux trois journalistes.
En 1965, François Mitterrand devenait candidat unique de la gauche à
l’élection présidentielle. Le silence s’étendait sur son action durant
la guerre d’Algérie, comme ministre de l’Intérieur d’abord, puis comme
ministre de la Justice.
Cette histoire-là reste à écrire.
(1) Pour l’exemple (l’affaire Fernand Iveton), préface de Pierre Vidal-Naquet, l’Harmattan, 1986.
(2) La Main droite de Dieu, Emmanuel Faux, Thomas Legrand, Gilles Perez, le Seuil, 1994.
Colloque Jean-Luc Einaudi a participé aux séminaires sur le «travail
de mémoire» organisés dans le cadre de l’exposition « 1914-1998, le
travail de mémoire » au théâtre Paris-Villette. Tous les jeudis à 19 h 30
jusqu’au 18 juin. Entrée libre. Rens.: 01 40 03 76 98
liberation.fr
Lire aussi : Fernand Iveton : L’homme qui fit trembler de peur les tenants du colonialisme.
Source : Al Huffington Post, Mohamed Rebat
Via Les Crises
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