jeudi 23 juin 2016

Les QG socialistes attaqués en permanences

Lilian Alemagna, Noémie Rousseau, Salomé Vincendon

La colère contre la loi travail et le gouvernement se retourne contre les sections du PS, vandalisées partout en France. Militants et élus locaux ont raconté à « Libé » ces violences, ressenties par beaucoup comme injustes.

En temps normal, c’est déjà dur d’être militant d’un parti au pouvoir en pleine crise. Ça l’est encore plus aujourd’hui, en pleine guerre des gauches sur le projet de loi travail, pour les encartés au Parti socialiste. Jusqu’ici, les témoignages des adhérents et candidats PS évoquaient une «indifférence» des citoyens à leur égard, certes inquiétante mais pas violente. C’est terminé : depuis le durcissement sur le projet de loi El Khomri et l’utilisation du 49.3, les sections se déchirent et quelque 120 permanences de députés ou sièges de fédérations PS, selon les recensements du parti, ont été dégradés, vandalisés ou sont la cible d’opposants à la loi travail. Rien que ce week-end, la permanence du député PS de Côte-d’Or Laurent Grandguillaume a été vandalisée pour la troisisème fois, la fédération PS de Paris a vu ses vitres brisées et les locaux de la permanence du Gard ont été ciblés. Sur Twitter mardi, le hashtag #psplusjamais faisait l’objet d’une intense activité.
«Ce n’est pas le mouvement social qui est derrière ça, c’est l’ultra-gauche», estime Christophe Borgel, chargé à la direction du PS du pôle «animation, élections et vie du parti» et dont la permanence toulousaine a été murée. Ce proche du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, pointe cependant les «ferments de radicalité» instillés selon lui par les responsables syndicaux qui «alimentent les plus radicaux». «On a laissé s’installer un procès en trahison de François Hollande, qui marche d’autant mieux que les résultats économiques n’étaient pas là», analyse pour sa part François Rebsamen, ancien ministre du Travail et maire de Dijon. Tout en condamnant ces actions violentes, le chef de file des députés PS frondeurs, Christian Paul, met en garde son camp : «L’essentiel de la colère n’est pas visible. Elle sera renvoyée à plus tard… dans les urnes.» Libération est parti interroger ces socialistes pris, comme le dit Paul, «entre le marteau et l’enclume».

«Là, c’est notre frigo qui a pris les balles»
Thibaud Pikorki, permanent fédéral du PS Isère, Grenoble

«On n’est pas près de rouvrir le local. Là, c’est notre frigo qui a pris les balles, mais ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous en train de s’y servir, ce n’est pas rare qu’on soit là tard le dimanche. Déjà, les tags, c’était condamnable, on a eu "Parti socialiste fasciste" ou "parti national socialiste", qui renvoient à des idéologies violentes. Heureusement les militants nous soutiennent. Il y a eu une prise de conscience chez tout le monde, sur la colère envers le PS. Quand on fait de la politique, on sait qu’on va essayer de nous intimider, mais je n’aurais jamais pensé vivre ça. Les militants sont indignés, mais on n’a pas peur. Pour l’instant les volets du local sont fermés, mais on ne partira pas.»

«On fait attention à qui on laisse rentrer»
Un militant à Lille

«C’est pas un climat serein, c’est même inquiétant. Nous, ce qui se passe au gouvernement, on n’y est pour rien, tous les jours on reçoit des appels d’insultes de gens qui nous incriminent. Le local reste ouvert, des personnes y travaillent, même pendant les manifestations. Ce qui rassure, c’est qu’on a un système qui nous permet de n’ouvrir les portes que de l’intérieur. Alors quand on sent qu’il y a des moments de tension, on fait attention à qui on laisse rentrer.»

«Il est important de rester ouverts»
Une militante à Toulouse

«Les dégâts ont été minimes dans le local du député. Je suis arrivée vingt minutes après le départ des manifestants. Ils avaient collé des affiches et mis des parpaings devant la porte de la permanence. Ça s’est retiré facilement. La démarche était surtout symbolique, pas vraiment dangereuse, on ne s’est pas fait invectiver personnellement. Evidemment on va être vigilants, mais c’est important que l’on reste ouverts, pour montrer qu’on est prêts à discuter avec tout le monde.»

«C’était symbolique mais violent»
Patrick Vieu, premier secrétaire socialiste du Tarn, Albi

«Une cinquantaine de manifestants sont venus coller des autocollants, mais ils n’étaient pas agressifs. C’est la ligne rouge. Déjà avec les effigies de personnes du gouvernement auxquelles ils ont mis le feu, j’étais choqué, autant comme citoyen que comme politique. C’était symbolique mais violent. On gagnerait à discuter, il ne faut pas se tromper de combat et confondre le national et le local. Il n’est pas question qu’on ferme les locaux, pas question qu’on leur donne l’impression qu’on fuit ou qu’on ferme le dialogue.»

«Ils ont tenté de mettre le feu»
Matthieu Brasse, secrétaire de section, Le Havre

«Le 12 mai, jour de mobilisation contre la loi travail, le cortège de manifestants a forcé les portes de la mairie, lancé des fumigènes dans le hall, retourné les poubelles avant de se rendre à la permanence du PS et de la députée Catherine Troallic. Des personnes avec capuche et écharpe ont utilisé une grille de chantier pour enfoncer la porte. Les manifestants du cortège leur ont emboîté le pas. Le mobilier a été retourné, cassé, l’affichage arraché. Quand ils ont tenté de mettre le feu avec des fusées de détresse, la police est intervenue, les CRS ont chargé. C’est la première fois qu’il y a de la casse, qu’on pénètre dans nos locaux. Les militants ont été choqués. Il y a eu une vague de saccages, ce ne sont pas des actions isolées, anodines, mais quelque chose de coordonné.
«J’y vois une volonté d’attaquer la démocratie représentative, de remettre en question le fonctionnement des institutions, d’atteindre les élus qui portent une partie de la souveraineté nationale, et pas seulement le PS et la politique du gouvernement. D’ailleurs la maison commune a été attaquée, à la mairie, qui est à majorité LR. Et la députée avait exprimé ses réserves quant à la loi travail dans la presse régionale, et elle regrettait l’usage du 49.3. Parmi nos militants, certains participent aux manifestations contre la loi travail, en tant que délégués syndicaux ou citoyens, sans afficher leur appartenance au PS. Etre militant, ce n’est pas être béni oui-oui. Désormais, les jours de mobilisation, les locaux sont vides, au cas où… Les assistants parlementaires qui y travaillent ont la trouille au ventre. Nous n’avons plus de porte d’entrée, mais une plaque de métal. La police fait des rondes plus systématiques. Il faut que cela cesse. C’est le fait d’une minorité car les riverains sont spontanément venus nous apporter leur soutien, condamner les actes jugés honteux et scandaleux. Les gens ne parlent que de la loi travail au Havre. Mais sans agressivité. Du côté des militants, cela renforce leur conviction politique, leur envie de discuter, d’aller à la rencontre des citoyens.»

«C’est déconnecté de toute revendication politique»
Bernard Roman, député du Nord, questeur de l’Assemblée, Lille

«Il y a une différence entre coller des affiches et casser. Moi-même, quand j’étais militant, j’ai sans doute collé là où il ne fallait pas ! Mais là [sa permanence a été vandalisée à quatre reprises, ndlr], des casseurs ont jeté des projectiles dans les vitres, et mis de la mousse expansive dans les portes. Il était impossible de les ouvrir. J’étais sur place, je vis en face de la fédération PS du Nord. J’ai vu une centaine de personnes casquées et cagoulées venir avec des battes de base-ball, des barres de fer. C’est déconnecté de toute revendication politique. Les syndicats devraient condamner sans aucune hésitation ces violences. Mais il y a pire. Par exemple, la permanence de Catherine Lemorton, à Toulouse, a été dévastée, ses collaborateurs ne peuvent plus travailler et ses comptes sur les réseaux sociaux ont été piratés.
«C’est inédit, cette vague d’atteinte aux permanences. Il me semble néanmoins que le climat au début des années 90 était bien plus difficile pour les socialistes qu’il ne l’est aujourd’hui. A l’époque, c’était compliqué de sortir seul, sans être entouré de militants. Je sens de l’inquiétude dans la population. Les images de la voiture de police brûlée, les heurts durant les manifestations… les gens disent que cela suffit. Ils n’accablent ni le gouvernement ni la CGT, simplement ils veulent que cela cesse. Les casseurs profitent de la situation. Les débordements traduisent l’exaspération d’une partie de ceux qui manifestent. Pourtant, les délégués FO, CGT ont toujours été bienvenus dans ma permanence. C’est désolant qu’ils soufflent sur les braises… Puis, on en est arrivé là car un certain nombre d’élus de gauche n’ont pas joué l’apaisement. Mais la pire des choses serait d’abandonner le travail législatif autour de la loi travail. C’est le rôle des élus. Au niveau du groupe socialiste, plus de 85 % des élus soutiennent cette politique.»

«Ça m’a rappelé les anti-mariage pour tous»
Une salariée du PS à Solférino, siège national, Paris

«C’était le jour du 49.3, des petits groupes de gens étaient venus s’amasser aux grilles pour nous insulter. Des gens arrogants, menaçants et violents. Vers 21 heures, les forces de l’ordre sont intervenues pour dégager la rue. Nous étions seulement trois salariés dans les murs, pris entre les jets de lacrymo. Je n’ai jamais connu ça. Ce qui m’inquiétait, c’était de parvenir à rentrer chez moi pour m’occuper de mes enfants, car j’ai vite compris que plus aucun taxi ne viendrait par ici… Cette violence-là m’a rappelé celle des anti-mariage pour tous. Quand on est en démocratie, faire de la politique, cela ne peut pas être s’exposer à des violences.»

«Les esprits doivent cesser de s’échauffer»
Stéphane Pietrasanta, député des Hauts-de-Seine, Asnières

«Une croix gammée [des croix gammées ont été taguées le 26 mai sur sa permanence d’Asnières-sur-Seine], ce n’est pas anodin. Que l’extrême droite justifie l’injustifiable, on est habitué. Mais des gens qui se prétendent de gauche ! Est-ce à dire qu’on est sous un régime nazi ? On a franchi un cap dans la libération de la parole, la radicalisation est extrême. On peut être en désaccord politique et rester dans le débat. Les mêmes qui, en 2013, nous disaient de ne rien lâcher face à la rue, face à la Manif pour tous, voudraient qu’on cède ! Ce ne peut être une minorité agissante et violente qui fait la loi. Les esprits doivent cesser de s’échauffer. Les responsables politiques et syndicaux doivent prendre leurs responsabilités, on est dans une situation qui peut basculer rapidement.»

Photo : Jacob Chetrit - La permanence du Parti socialiste de Rouen, le 31 mars -

liberation.fr

Aucun commentaire: