À la suite des attentats qui ont cruellement frappé la France, nos
dirigeants ont-ils mis en question la politique consistant à intervenir
militairement au Moyen-Orient au nom de la démocratie et des droits de
l’homme ? Ont-ils émis quelque doute sur l’opportunité d’engager notre
pays dans cette confrontation en y épousant, dès 2011, la cause délétère
d’une opposition armée dont le fer de lance est la branche syrienne
d’Al-Qaida ?
Se sont-ils demandé s’il était dans l’intérêt de la
France de diaboliser l’Etat syrien, de soumettre ce pays à un embargo
inique et stupide, allant jusqu’à interdire la fourniture de médicaments
à une population martyrisée par les terroristes ? Vont-ils désormais se
demander, dans un éclair de lucidité, s’il était opportun de violer le
droit international en intervenant dans un conflit qui ne nous regardait
pas et en se livrant à une scandaleuse ingérence dans les affaires d’un
Etat souverain ?
Croient-ils toujours qu’il était judicieux de
financer une clique d’opposants corrompus, et de livrer des armes qui
ont fini entre les mains des assassins qui décapitent un enfant à Alep
ou égorgent un prêtre en Normandie ? Vont-ils, avec le recul, se
demander s’il était bénéfique à la France, sans parler du déshonneur, de
s’allier ouvertement avec des pétromonarchies obscurantistes dont
chacun sait, sauf François Burgat, qu’elles sponsorisent la terreur ?
Inutile,
sans doute, d’attendre de nos dirigeants le moindre regret pour ces
décisions ineptes. Leur « perseverare diabolicum » n’a pas fini de nous
sidérer, hélas, presque autant que les attentats qui tombent sur nos
têtes. Pour que nos dirigeants soient capables d’un peu de lucidité
rétrospective, il faudrait en effet qu’ils rompent avec ces allégeances
volontaires qui ont fait de notre pays le pitoyable supplétif,
mi-brouillon mi-cynique, d’un impérialisme occidental dont les USA
assurent la direction, au Moyen-Orient comme ailleurs.
Dès le
lendemain de l’attentat de Nice, comme pour valider cette soumission à
l’agenda US, le président français annonce avec entrain de nouveaux
bombardements en Syrie. Cinq jours plus tard, le massacre de dizaines de
civils (125 selon le gouvernement syrien) sous les bombes de la
« coalition » fournit une illustration sanglante de cette politique.
Mais même après ce carnage aucun doute n’effleure nos dirigeants sur la
pertinence de ces représailles, manifestement élevées au rang de réflexe
pavlovien par des dirigeants aussi dépassés par les événements que
désireux de le faire oublier par un mouvement de menton mussolinien.
Militairement
inefficaces, ces frappes aériennes ? Oui, absolument, on le sait, mais
peu importe, puisque les puissances occidentales n’ont jamais visé
l’élimination par les armes du prétendu « Etat islamique ». Elles ne
songent, au contraire, qu’à exténuer l’Etat syrien, faute d’avoir pu
l’anéantir, et préfèrent nettement « Daech » ou « Al-Nosra » à
« Bachar », selon la terminologie de propagandistes comme Jean-Pierre
Filiu et François Burgat qui habillent de leur prose servile cet
alignement de la France sur la stratégie US du « chaos constructif ».
Politiquement
absurdes, ces bombardements qui, en tuant des civils au nom de la
démocratie, offrent un semblant de légitimité à Daech et font le lit du
djihadisme ? Mais cet argument est de peu de poids, puisqu’il s’agit
surtout de détruire la Syrie baasiste, cette insupportable anomalie par
temps d’hégémonie occidentale, et de ruiner de fond en comble la société
syrienne, de la pulvériser en factions hostiles, dans le seul but de
« protéger Israël contre l’Iran », selon la formule merveilleusement
limpide d’Hillary Clinton.
Au fond, le massacre d’innocents en
Syrie en représailles à des attentats en France, c’est la métaphore de
notre politique en Syrie : des armes pour les terroristes et des bombes
pour les civils. Ceux qui fournissent des armes aux mercenaires
wahhabites, à l’évidence, ne voient aucun inconvénient à vitrifier des
populations qui en sont les premières victimes.
Car leurs véritables
ennemis ne sont pas Daech et Al-Nosra, ce ne sont pas les mangeurs de
foie démocrates et les coupeurs de tête humanistes. Leur ennemi, c’est
cette nation syrienne, jalouse de son indépendance et rétive à l’ordre
impérial, qui refuse obstinément de se plier à leurs injonctions.
Bruno Guigue, ancien
élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA, Haut fonctionnaire
d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie
dans l’enseignement secondaire, chargé de cours en relations
internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq
ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002 », et de centaines d’articles.
Arrêt sur Info
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire