Où sont passés les hypocrites du burkini ?
Cet été, ils prétendaient défendre les droits des femmes avec
l’enthousiasme des nouveaux convertis. Leur conviction féministe a
disparu aussi vite qu’elle était apparue. On ne les entend pas protester
contre le recul du droit des femmes qui s’annonçait en Pologne.
Pourtant, c’est l’interdiction de l’avortement qui a été en débat
là-bas. Mais les « radicalisés religieux » ne sont pas musulmans ! Juste
des catholiques brutaux et archaïques. Le droit des femmes à disposer
de leur corps n’intéressait donc pas ces féministes de la 25e heure.
Avec le burkini, leur but était de faire un lien entre le massacre de
Nice le 14 juillet et la religion musulmane. Sans doute parce que
beaucoup de ceux qui étaient en première ligne sur place savaient déjà
combien ce lien n’était guère évident. Le journal « Le Monde »
vient de le révéler dans une enquête fouillée sur la personnalité du
criminel. À présent, les voilà bouche cousue. Meurent les femmes plutôt
que l’obscurantisme à leur sujet. En Pologne, le meurtre de masse était
en bon chemin. Car refuser l’avortement légal, c’est toujours augmenter
le nombre des avortements clandestins et des mortes qui vont avec.
Là-bas, une régression historique est en cours. L’intégrisme catholique
attaque les droits des femmes sur tous les plans. Cela prouve combien le
problème en la matière n’est pas telle ou telle religion. Le problème,
c’est l’usage politique qui est fait de n’importe quelle religion pour
contraindre les êtres humains en général à des comportements absurdes,
et toujours les femmes en particulier à un sort misérable.
En Pologne, la droite catholique au pouvoir veut supprimer ce qui
reste du droit à l’avortement hérité de la période soviétique. La
majorité parlementaire a été saisie de deux projets de loi d’initiative
citoyenne sur le sujet. L’un proposait d’élargir le droit à
l’avortement : il a été rejeté. L’autre propose au contraire de revenir
sur les cas d’avortement aujourd’hui autorisé et d’interdire presque
totalement le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Ce projet
de loi a été accepté par les parlementaires pour être examiné plus en
détail. Il prévoit de limiter l’avortement légal aux seuls cas extrêmes
de danger imminent pour la vie de la mère. Il a fini par être repoussé.
On verra vite que les intégristes ne s’y résigneront pas.
Le droit à l’avortement a déjà été attaqué en Pologne après la chute
du régime communiste. Pourtant, les Polonaises ont conquis le droit à
l’avortement de haute lutte dans l’histoire. D’abord en 1930 en cas de
viol ou d’inceste et pour les mineures de moins de 15 ans. Puis surtout
en 1956, sous le régime communiste, une loi a autorisé l’avortement
posant comme seule exigence l’existence de « conditions de vie
difficiles » pour la femme enceinte. Mais après la chute du mur de
Berlin, en 1993, l’Église catholique et l’État ont passé un accord pour
restreindre ce droit. L’avortement est depuis autorisé seulement pour
les femmes victimes de viol et d’inceste, celles dont la grossesse
présente un risque pour leur santé ou leur vie et celles dont l’embryon
présente une pathologie grave. Une misère !
Mais pour les fous de dieu polonais, c’est encore trop ! Ils voulaient
donc réduire cette maigre autorisation aux seuls cas où la vie de la
femme serait en danger imminent. Une terrible régression menaçait. Le
risque évident, c’est la souffrance des femmes et le développement des
avortements clandestins, dans des conditions de dignité, de sécurité et
d’hygiène effroyables. Le projet de loi polonais prévoyait même de punir
de 5 ans de prison les médecins qui pratiqueraient un avortement
illégal contre 2 ans aujourd’hui. Et, ignominie ultime, il prévoyait
aussi la possibilité de condamner à 5 ans de prisons les femmes qui
avorteraient ! Même les évêques polonais ont dit qu’ils ne souhaitaient
pas la condamnation des femmes… tout en rappelant qu’ils sont absolument
partisans de l’interdiction de l’avortement. Des bigots Tartuffes
ordinaires.
La résistance des féministes polonaises a été magnifique. Lundi 3
octobre, elles ont organisé une journée de grève. Oui, une grève. Parce
que le droit à l’avortement, c’est le droit pour les femmes de disposer
librement de leur corps. Leur corps, le même que celui utilisé pour
produire des richesses et occuper des emplois souvent plus précaires et
moins payés que les hommes. Féministes et progressistes polonais ont
manifesté par milliers dans les rues et sur les places du pays. Parmi
les slogans : « On veut des médecins, pas des flics » ou « il nous faut des soins médicaux, pas les souhaits du Vatican ».
Je note au passage le rôle des réseaux sociaux dans l’organisation et
la diffusion du mot d’ordre de « Manifestation noire »
(« CzarnyProtest »). Les sondages disent que seul 11% de la population
polonaise soutenait ce projet de loi ! La moitié ne voulait pas de
changement de la législation même si elle était déjà très éloignée des
conquêtes antérieures. Au contraire, près de 40% veulent élargir le
droit à l’avortement. La veille de la journée de « grève des femmes »,
dimanche 2 octobre, des rassemblements de soutien avaient eu lieu un peu
partout et notamment à Paris devant l’ambassade de Pologne. Ma
camarade, la conseillère de Paris et co-coordinatrice du Parti de
Gauche, Danielle Simonnet, nous y représentait.
Une nouvelle fois, « l’Europe qui protège » n’a servi a rien alors
qu’elle passe son temps à faire voter des résolutions et autres rapports
sur les droits des femmes ! Le Parlement européen a débattu une fois de
plus du sujet. Sans voter aucune résolution qui n’aurait eu de toute
façon aucune valeur contraignante ni aucun effet. Quant à la Commission
européenne et aux chefs d’État, ils sont capables d’extorquer l’accord de pays d’Afrique, des Caraïbes ou du Pacifique pour des accords commerciaux inégaux.
Ils sont capables de broyer un gouvernement progressiste en Grèce, de
piétiner des référendums populaires et de punir un état-membre pour un
taux de déficit budgétaire excessif. Mais ils sont incapables de
protéger les femmes contre un recul terrible du droit fondamental à
disposer de leur propre corps. On voit combien les propositions aussi
timides qu’une « clause de non régression des droits » en Europe sont
totalement absentes et illusoires face aux conservateurs et
réactionnaires de l’Union européenne. Il en va de même de l’initiative
portée par le programme L’Humain d’abord de 2012 pour une
« clause de l’européenne la plus favorisée » pour aligner les droits des
femmes sur le meilleur niveau reconnu dans l’Union européenne. Les
féministes polonaises ne pouvaient donc compter que sur elles-mêmes. Et
bien sûr notre soutien total.
Comme vous le savez, j’appartiens à une génération qui a connu
l’avant et l’après droit à l’avortement en France, l’avant et l’après
droit à la contraception sans autorisation parentale pour les mineures.
Avant 1974 et Giscard D’Estaing, la majorité c’était 21 ans, et
l’avortement était criminalisé quel que soit l’âge de la femme et du
médecin. Je voudrais témoigner que dans ces question, si la femme
portait l’essentiel de la charge, le garçon qui l’aimait, aussi. Cette
histoire-là, c’est le plus souvent une affaire qui concerne les deux
partenaires. Je n’ai rien oublié de cette époque. Pour les filles et les
garçons de famille de riches, pour celles et ceux qui « savaient » où,
quand et comment avorter clandestinement, tout était beaucoup plus
simple. Pour les plus chanceuses des autres, heureusement qu’il y avait
le MlAC et ses bus vers la Hollande. Et sinon, c’était la tricoteuse et
la mort qui rôdait.
J’ai tout cela à l’esprit. Je sais bien ce que je dois lire derrière
les visages et la rage de la réaction qui monte partout en Europe. La
puissance de la « Manif pour tous », l’intensité de la haine contre les
musulmans et les juifs dans notre pays, tout cela doit nous mettre en
garde contre ce qui pourrait nous arriver aussi cette fois-ci ou une
autre. Car ce sont les mêmes enragés qui cuisent dans ces divers
potages de haine. Quand je découvre que Laurent Wauquiez revient à la
charge contre la ministre Vallaud-Belkacem qu’il accuse d’être un suppôt
de « la théorie du genre », je sais que les couteaux sont tirés contre le camp de la philosophie des lumières.
En effet, il n’y a pas de « théorie du genre » ni au
singulier ni comme un tout. Il y a des méthodes d’analyses qui
déconstruisent l’idée selon laquelle les « caractéristiques masculines
et féminines » seraient autre choses que des constructions sociales et
culturelles qui varient notamment au fil du temps, des lieux et des
cultures. Pourquoi un homme instruit comme monsieur Wauquiez fait-il
semblant de ne pas le savoir ? Parce qu’il lui importe de revenir aussi
fermement que possible aux assignations de rôle « complémentaires »
comme ils disent, de l’homme et de la femme. Lesquels rôles finissent
toujours par être distribués autour de la procréation et des liens
sociaux qu’elle fonde. Ceux-là sont contre la « théorie du genre »
pour mieux priver, à la fin, les femmes de la propriété exclusive et
personnelle de leur corps. Je le sais et je crois de mon rôle de le
répéter pour éviter les naïvetés !
Le corps des femmes a toujours été la frontière de tous les
communautarismes. Et toutes les religions engendrent leurs
fondamentalistes et leurs communautaristes comme en a convenu le pape
lui-même dont la charité chrétienne est pourtant prise en défaut sur ce
thème, puisqu’il mène une guerre impitoyable aux femmes sur le sujet
dans l’univers entier. Je voudrais dire que si les croyants ont le
droit, selon la règle de leur croyance, de considérer l’avortement comme
un crime et le choix de n’y point recourir, ils ne doivent pas avoir le
pouvoir d’imposer aux autres leur vue sur le sujet. Imposer par la loi
la punition de l’avortement, c’est de même nature que l’obligation de se
voiler imposée en Iran par la police des moeurs. Et j’en profite pour
rappeler que militer pour le droit à l’avortement ce n’est pas militer
pour l’avortement mais renvoyer chaque personne à sa propre et libre
appréciation personnelle dans les circonstances qui conduisent à se
poser la question.
Ayant tout cela à l’esprit, je veux rappeler que si je suis élu, je
proposerai que le droit à l’avortement soit inscrit dans la
Constitution, de même que le droit de mourir dans la dignité. Les deux
droits ont une racine commune : disposer de soi en seul(e) propriétaire
de soi.
Tiré de l'article " Pour ne pas être menacés comme des polonaises "
Jean-Luc Mélenchon
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