Alerte pour l’enseignement professionnel. Trente ans après la
création du bac professionnel, l’enseignement professionnel public est
en voie de destruction totale.
Deux quinquennats se sont acharnés sur
lui dans un cocktail dévastateur qui mêle coupes budgétaires et mépris
crasse pour les qualifications. Depuis 10 ans, sous Hollande et Sarkozy,
176 lycées professionnels publics ont été fermés. Au total, 3 500
classes ont disparu dans cette voie éducative des métiers. Pendant ce
temps, pourtant, la hausse du nombre des jeunes scolarisés continuait.
Ainsi, l’enseignement pro accueillait 57 000 lycéens en moins en 2015
par rapport à 2005, alors que l’ensemble second degré absorbait 76 000
élèves supplémentaires sur la même période. Du coup, ceux qui voulaient
choisir cette voie ne le peuvent souvent plus. Et ceux qui ne peuvent
pas être accueillis dans les filières pro sont donc orientés par défaut
dans l’enseignement général comme dans une impasse.
Inutile de préciser que, dans ces conditions, le taux d’échec
augmente et, avec lui, les sorties du système scolaire sans
qualification. Dans certaines académies (les « régions » de gestion de
l’Éducation nationale) qui s’étendent sur plusieurs départements souvent
enclavés, comme Limoges, Clermont-Ferrand ou Besançon, il y a désormais
moins de 20 lycées professionnels pour toute la région. Cette pénurie
est une dissuasion efficace, on s’en doute.
Cette anémie est criminelle pour l’avenir professionnel de millions
de jeunes et la vie productive du pays. Elle ne tombe pas du ciel. Elle
est voulue et planifiée. Pour le ministère des Finances qui relaie les
injonctions de la Commission européenne, les critères comptables
dominent tout. Jusqu’à l’organisation des cursus. L’invention du passage
de la durée de préparation du bac pro de 4 ans à 3 ans en est un
exemple frappant. C’est un choix aberrant sur le plan pédagogique et
éducatif. La hache passe partout et tape fort. De plus, sous le doux nom
de « rationalisation des structures », tous les établissements, quels
qu’ils soient, comportant moins d’un certain nombre d’élèves par classe
sont amputés de sections et de classes. Mais l’enseignement
professionnel comporte par nécessité pédagogique un nombre beaucoup
moins élevés de lycéens par classe. Ils sont autour de 20 en moyenne
contre 30 dans l’enseignement général. C’est donc à lui qu’on a fait
supporter l’essentiel des suppressions de moyens.
Loin d’être aveugles, les coupes budgétaires des 10 dernières années
ont donc frappé en priorité la voie professionnelle. Déjà sous Sarkozy,
elle supportait les 2/3 des suppressions de poste du 2nd
degré. Pourtant, elle ne scolarisait alors que le tiers des lycéens. Cet
acharnement s’est poursuivi sous Hollande. Les annonces de postes créés
sans réalité se concentrent dans l’enseignement professionnel. Les
concours de recrutement sont en effet très loin de pourvoir les
créations de postes promises par les annonces présidentielles. Ils
restent donc vacants. Soit parce que les concours sont volontairement
sous-calibrés (pas assez de postes ouverts), pour afficher des créations
d’emplois dans le budget mais ne jamais les créer en réalité. Soit
parce qu’ils ne sont plus attractifs : commencer à 1 400 euros dans un
métier difficile et méprisé avec un niveau master a tari les viviers
d’enseignants dans beaucoup de secteurs.
C’est encore plus absurde dans l’enseignement professionnel où les
enseignants des disciplines techniques sont souvent des professionnels
reconnus dans leur métier dont on exige désormais qu’ils aient un niveau
master pour devenir enseignant ! Et je ne dis rien de l’énorme perte de
salaire que cela peut représenter pour un professionnel expérimenté.
Résultat : depuis 2012, l’enseignement professionnel a perdu 3 340
équivalents temps plein d’enseignants devant les élèves. Loin d’atténuer
ce carnage décidé sous Sarkozy, Hollande a donc poursuivi la
destruction de l’enseignement professionnel public. Même les crédits
pédagogiques sont en baisse de 30 % par rapport à 2012, ce qui a souvent
reporté sur les élèves des frais supplémentaires d’équipement et de
fournitures (matériaux, outillages etc).
Avec ça, les destructeurs se gargarisent de discours promotionnels de
promotion idéologique de l’apprentissage. Pour ces gens-là qui ne
savent rien des métiers, l’apprentissage tient lieu de politique des
qualifications. Alors, depuis 10 ans, les gouvernements de Sarkozy et
Hollande ont multiplié les aides pour l’embauche d’apprentis, sans que
jamais l’objectif, fixé par Sarkozy et repris par Hollande, de 500 000
apprentis ne soit atteint. L’apprentissage stagne au contraire autour de
400 000 contrats en dépit de toutes les tentatives de relance. Il a
même baissé depuis 2013 où l’on comptait 430 000 contrats. On manque
d’offres des employeurs pour recevoir des apprentis ! Bien sûr. Car même
pour prendre des appentis subventionnés, encore faut-il avoir un niveau
d’activité suffisant pour les payer !
Et la voie de l’apprentissage reste précaire ! Elle n’est pas adaptée
à tous les jeunes : un apprenti sur 4 ne va pas au bout de son contrat.
Dans les métiers les plus durs (comme la boulangerie), ce taux
d’abandon approche les 50 %. S’y ajoute une grande précarité
salariale avec des payes souvent inférieures au SMIC pour un travail à
temps complet. La stagnation du SMIC (référence de calcul de la
rémunération des apprentis) n’arrange rien. Quant à la revalorisation
des minimas salariaux des apprentis de 16-20 ans annoncée par le
gouvernement, elle ne sera finalement appliquée qu’en 2017. À défaut
d’avoir amélioré significativement la condition des apprentis, les
gouvernements de droite et du PS ont multiplié les aides inefficaces
pour les employeurs. Valls a ainsi instauré une prime de 1 000 euros par
embauche d’apprenti depuis 2014. Cela a créé un effet d’aubaine pour
des contrats qui auraient de toute façon été signés. En effet entre fin
2014 et fin 2015, le nombre d’apprentis n’a progressé que de 2 000 !
La loi El Khomri a ajouté à cela d’autres mesures spécialement
dangereuses, selon moi. Elles traduisent bien la profonde méconnaissance
des enjeux actuels de la qualification. Il a ainsi été décidé d’ouvrir
l’apprentissage pour préparer des certificats de branches (CQP).
Aujourd’hui, l’apprentissage n’est possible que pour préparer des
diplômes nationaux. Cette évolution va faire reculer les préparations de
diplômes nationaux qui sont autant de qualifications larges et
durables. À la place de quoi sont prévus des « certificats de branche »
avalisant des compétences plus étroites et périssables. La précarité des
futurs salariés en sera accrue. Et ils seront condamnés à vie au
renouvellement de ces « certificats » à mesure que le cycle des machines
raccourcira et la compétence de leurs servants se rétrécira. Dans le
même état d’esprit sera aussi désormais délivrée une attestation de
compétences « partielles » aux apprentis rompant leur cursus, pour
faciliter la reconnaissance future d’acquis. Bref, tout le système des
qualifications part en morceaux et l’asservissement des salariés sera
augmenté d’autant. Cette formule calamiteuse des « certificats de
compétence » a été tentée dans plusieurs pays avec partout le même
résultat : l’abaissement du niveau de qualification, la faible
adaptation des salariés à tout changement dans les process de
production, la nécessité pour eux de revenir sans cesse se requalifier
au fil des années.
C’est l’inverse de tout cela qu’il faut faire. Commençons par abroger
ce flot de mesures absurdes. Il faut prononcer un moratoire immédiat
sur les fermetures de classes et d’établissement de l’enseignement
professionnel public. Puis on passera aux tâches pour reconstruire le
système éducatif de la voie des métiers afin qu’il offre à nouveau un
maillage fin et des formes de cursus adaptés aux besoins des jeunes. Un
réseau national cohérent de lycées polytechniques incluant tous les
niveaux du CAP au BTS sera un des outils de cette reconstruction. On
devra y intégrer des centres de validation des acquis. Et pour permettre
cette relance du service public de la qualification, le recrutement des
enseignants devra être adapté pour attirer à nouveau des professionnels
reconnus dans leur branche. Cela passe par exemple par la réouverture
de cycles rémunérés de préparation aux concours d’enseignants,
permettant à ces professionnels de compenser la perte de salaire liée à
cette reconversion professionnelle.
L’élévation du niveau de qualification passe par le fait que l’on
puisse circuler plus facilement entre les paliers de formations du CAP
au bac pro puis ensuite aux BTS / DUT et même à la licence
professionnelle. Les grands discours du gouvernement à ce sujet sont en
contradiction avec ce qu’il fait vraiment en réalité. Ainsi la loi sur
l’enseignement supérieur de 2013 a-t-elle bruyamment réservé des places
pour les jeunes qui ont un bac pro dans les sections de BTS, où ils ne
représentent que 29 % des inscrits. Baratin. Car compte tenu du maillage
très insuffisant des lycées professionnels comportant une section de
technicien supérieur (STS) cet accès est en réalité un parcours du
combattant.
À la rentrée 2015, 65 % des bacheliers se retrouvant sans aucune
affectation dans le supérieur après en avoir fait la demande était des
bacs pro ! Faute de places accessibles en STS (section de techniciens
supérieurs), certains arrivent par défaut à l’université. Cruelle
illusion. Car seulement 5 % arrivent jusqu’à la licence. Quant à ceux
qui ont réussi à intégrer une STS, leur taux de réussite n’est
aujourd’hui que de 50 %. Pourtant il est de 80 % pour l’ensemble des
étudiants passant le brevet de technicien supérieur (BTS). Là encore,
c’est parce que le contenu de l’enseignement professionnel a été
fragilisé ! En particulier par la réduction du bac pro à trois ans
d’étude qui a conduit à raboter sur les contenus généraux des
différentes disciplines, décisifs pour les poursuites d’études.
Les bases de la politique que j’avais posée quand j’étais ministre de
l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002, ont été détruites par les
politiques de droite des sarkozystes et des PS qui ont suivi. Pour moi,
cette question ne peut se dissocier des objectifs du plan de transition
écologique. Des centaines de milliers de nouveaux travailleurs femmes et
hommes doivent être mis en capacité professionnelle de faire face au
défi. C’est le cas par exemple pour l’économie de la mer. Il nous faut
trois cent mille professionnels supplémentaires.
Entre autre chose, je
voudrais qu’il y ait au moins un lycée professionnel maritime par
département côtier. Je voudrai mieux, mais ce chiffre est déjà un petit
défi. Car apprenez que, par exemple, pour toute la région Picardie,
Nord-Pas-de-Calais où je me trouvais en visite quand je fus a Boulogne,
il n’y en a plus qu’un seul ! Il n’y a en pas non plus en (ex) PACA… et
ainsi de suite. Ampleur du désastre !
Jean-Luc Mélenchon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire