Les déclarations de Donald Trump avant son investiture, puis pendant
son discours solennel, prennent à revers toute une stratégie mondiale et
surtout tous ses pays alliés ou inclus dans l’ancien dispositif. La
Chine et l’Europe sont désormais dans le collimateur du président des
USA.
En provoquant les Européens par son approbation du Brexit et
l’affichage de son espoir qu’il y ait d’autres départs de l’Union
européenne, Trump a tiré un sacré coup de canon sur la belle façade du
« dialogue transatlantique ». En pointant du doigt la chancelière Merkel
et son rôle dominateur sur l’Union, il montrait le roi nu et pincé là
où ça fait mal ! Une violence inconnue des mœurs de la diplomatie
internationale.
Mais il y avait déjà sur la scène l’énormité d’une autre rupture tout
à fait spectaculaire. C’est le résultat de cette conversation avec la
présidente de Taïwan. Trump a montré combien il est prêt à tourner la
page de la doctrine pourtant universelle selon laquelle il n’y a qu’une
seule Chine, comme cela est évident. Les Européens sont totalement
désorientés, abasourdis. Sonnés. KO. Tout cela les prend totalement à
revers. D’autant qu’ils venaient de s’engager dans une opération
pourtant montée de longue main.
Depuis plusieurs mois, il règne dans les milieux institutionnels
européens une ambiance guerrière anti-Russe dont on a peu idée depuis
la France. Mais il est vrai qu’en France aussi l’opinion a été assommée
et martelée sur tous les registres pour entrer dans le sentiment
anti-Russe primaire et puéril sur lequel reposait la volonté d’un
déploiement militaire sans précédent dont l’administration Démocrate des
USA avait muri le plan. En Europe l’idée tombait bien. Après le Brexit,
les dirigeants de l’Union européenne ont saisi l’occasion de proposer
la peur des Russes et la militarisation comme un nouveau projet commun
donnant à l’Union une raison d’être. L’Europe de la Défense était donc
devenue le leitmotiv des récitations officielles des eurocrâtes. Ce
discours, le projet et les moyens qui ont été affectés à cette
orientation ont de claires conséquences politiques.
En effet la logique des officiels européens les situe dans le camp des
faucons atlantistes nord-américains. C’est-à-dire du côté de ceux, aux
USA, dans les États-majors militaires et les agences de sécurité, qui
sont totalement installés dans la stratégie de la confrontation avec la
Russie. Ceux-là sont très puissants Outre-Atlantique. Leur travail de
sape pour mettre en cause le rôle des Russes dans l’élection
présidentielle américaine n’a pas d’autre origine que la volonté de
tordre le bras du président élu. Sans doute ne s’arrêteront-ils pas là.
Pendant ce temps les « réalistes », autour de Trump, tournent leur
batterie contre leurs véritables rivaux : ceux qui menacent leur
production et leur monnaie c’est-à-dire la Chine et l’Europe. Ce
bouleversement laisse donc tout pantois les éternels alignés que sont
les Européens. Ce n’était vraiment pas prévu.
Dès lors, la situation est dangereuse. Car une provocation pourrait
rallumer le feu en Europe. Elle serait vue d’un bon œil par tous ceux
qui espèrent que la ligne Trump retourne à l’habituel « tête à tête »
avec l’Europe dans une commune opposition à la Russie. La situation est
d’autant plus tendue que les USA viennent de débarquer des matériels et
des militaires en nombre significatif dans l’est de l’Europe, qui
s’ajoutent à ce qui est déjà déployé en Ukraine. À l’Est règne une
hystérie anti-Russe hors de contrôle compte tenu du nombre
d’ultranationalistes et même de néo-nazis qui paradent dans les allées
des pouvoirs.
En fait, les dirigeants Européens sont fauchés en vol. Dans le
contexte de montée organisée des tensions avec la Russie, ils avaient
déjà commencé par reconduire les sanctions contre ce pays. Ils avaient
retourné la copie de l’accord avec l’Ukraine au peuple hollandais qui
l’avait rejeté. Et pour faire bon poids, ils avaient également décidé la
suppression des visas avec la Géorgie et la Biélorussie. Et comme
demandé par les USA, les Européens avaient commencé à réorganiser leurs
moyens militaires. Et là, c’était vraiment un tournant. L’argument
sous-jacent est que cela servait à donner un projet commun fort à une
identité européenne totalement en panne après le Brexit. L’Europe avait
donc commencé à tourner sérieusement ses batteries sur le registre de la
« défense européenne » supra-nationale.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait
bien résumé dès septembre 2016 le projet. Il annonçait la mise en place
« de ressources militaires communes » qui, dans certains cas,
appartiendraient à l’Union. Les États seraient subalternes dans la
décision. Et il était bien clairement précisé : « bien entendu, en pleine complémentarité avec l’OTAN
». Presque aussitôt la réunion des ministres de la Défense de l’UE, le
14 novembre 2016, avait pris des décisions pour concrétiser l’affaire.
D’abord ce fut, symboliquement, l’augmentation du budget de l’Agence
européenne de défense (AED) : + 1,6%. Elle atteint dès lors un
montant de plus de 33 millions d’euros. La somme reste modeste. Mais
c’était la première augmentation en 6 ans. Une façon d’annoncer un
renversement de tendance. Puis ce fut la décision de créer un « centre commun de programmation des missions civiles et militaires ». Bref, un quartier général. On peut se dire que c’est peu de chose. Je ne le crois pas.
En tous cas, après cela on en vint à une décision plus concrètement
parlante. En effet, les ministres de la Défense ont décidé le
renforcement des capacités d’intervention militaire de l’Union. Pour
cela il a été convenu de faciliter l’utilisation des « Battle groups
». Il s’agit de ces corps armés mis à la disposition de l’UE par des
États membres. Certes, jusqu’à présent, ils n’ont jamais été déployés.
De fait, les Européens sont rarement d’accord en politique
internationale et, donc, l’usage de la force même pour des missions
humanitaires butte toujours sur cette absence de capacité à décider. Il a
donc été convenu de lever l’obstacle à leur usage. En effet, jusque-là
il fallait que les États soient d’accord avec l’opération envisagée pour
pouvoir les mettre à contribution financière. C’est cette digue qui a
sauté. D’accord ou pas, tout le monde paiera… C’est ce que l’on appelle
la révision du « mécanisme Athéna ».
Après cela, la Commission à son tour a pris ses dispositions. Dès le
30 novembre, avec une rapidité qui sent le coup arrangé d’avance, elle
présentait son plan d’action pour 2017. Il s’agissait là de mettre en
place un fond européen destiné à soutenir les investissements dans la
recherche et le développement en matière de Défense. Il est y prévu avec
un volet recherche de 500 millions annuels et un volet capacité estimé à
5 milliards par an. Ce volet est destiné à amplifier l’homogénéisation
des process militaires des 28 États en vue de former une force commune
réellement opérationnelle. Au total, on voit la cadence et l’importance
des décisions prises. On devine la raison en sous-main. Ces gens-là
voulaient atteindre des points irréversibles avant l’entrée en fonction
de Trump. Ils préparaient donc activement une intégration militaire
supranationale dont la raison d’être se trouverait dans la réplique à la
menace supposée que la Russie ferait peser. Dans ce domaine, le
Parlement européen avait réalisé une importante préparation
psychologique et politique sur le thème.
Dès novembre 2016, le rapport Paet ouvrait la voie. Il proposait un « Semestre européen de la Défense ».
Il s’agissait de créer rien de moins qu’un contrôle européen des
budgets nationaux de Défense. Ici, les États étaient sommés d’« affecter
20 % de leurs budgets de défense aux équipements identifiés comme
nécessaires par le biais de l’Agence Européenne de Défense ». Fin
de l’indépendance militaire des États. De son côté, le rapport Brok,
président de la Commission des Affaires étrangères, en décembre 2016,
poussait le bouchon encore plus loin. Il proposait de créer « une structure militaire permanente et opérationnelle ». Et pour cela il s’agissait de mettre en place un « Conseil européen de la Défense ».
Et comme cela va de soi, on retrouvait l’idée de la création d’un
quartier général européen. Ce rapport allait vraiment très loin dans la
direction de cette Europe de la Défense supranationale. Il proposait
donc de regrouper toute la pensée et les propositions en la matière dans
un livre blanc. « Un livre blanc, qui préciserait le niveau
d’ambition, les tâches, les exigences et les priorités en matière de
capacités pour la Défense européenne ». Il ne peut y avoir de doute
sur la direction dans laquelle tout cela veut aller. Le rapport Pascu,
de novembre 2016, que j’ai déjà mentionné, affiche l’objectif sans
détour : passer de missions initialement humanitaires à des missions de
guerre.
Toutes ces dispositions ont été fixées dans une ambiance d’allégeance
à l’OTAN que l’on peut qualifier d’inconditionnelle. Les termes
utilisés pour en parler sont souvent confondant d’alignement. Le rapport
appelait déjà en juin 2015 « au renforcement de la coopération entre l’Union et l’OTAN » et à une « division du travail entre OTAN et UE ».
De son côté, en pleine crise d’identité européenne, le rapport Paet sur
l’Union européenne de la Défense en novembre 2016 proclamait : « l’OTAN et l’Union partagent les mêmes intérêts stratégiques et sont confrontées aux mêmes défis à l’est et au sud ». Un mois plus tard, le rapport Brok en rajoutait une couche en exprimant son « soutien sans réserve à la coopération renforcée entre l’OTAN et l’Union ». Ce même document place de façon stupéfiante, sur le même plan, les actions de Daesch et l’action de la Russie. Le texte « souligne
que la situation s’est considérablement et progressivement aggravée au
cours de l’année 2014, avec l’apparition et le développement de l’État
islamique (EI) autoproclamé, et du fait de l’usage de la force par la
Russie ».
Aucun de mes lecteurs ne sera surpris d’apprendre que je n’ai voté
aucun de ces rapports. Mais il me parait important de vous signaler que
tous les autres groupes l’ont fait, Verts et PS inclus sans oublier
toutes les variétés de la droite. Il va de soi que tout cela doit être
interrompu. Car il s’agit d’une escalade dangereuse. Pour la France, la
situation est spécialement grave. En effet notre doctrine de Défense
suppose qu’il n’y a pas de bataille « intermédiaire », ou « limitée »
acceptable sur le sol européen. Le système de la dissuasion veut dire
que pour un coup qui nous serait porté, la réplique serait immédiatement
maximale. Il va de soi que c’est un pari fait sur la raison de
l’agresseur qui renoncera en raison du coût pour lui de notre réplique.
L’arme nucléaire dans ce cas est faite pour ne pas servir. Pour que la
dissuasion fonctionne, sa décision ne peut être partagée ni négociée. Et
elle ne peut connaitre d’exception. Tout ou rien. Un point c’est tout.
Accepter des dispositifs de combat et prévoir l’usage de force destinées
à un combat sur le terrain européen, c’est accepter l’idée de conflits
armés de diverses intensités à nos portes ou chez nous. Il ne saurait en
être question. La Défense, d’ailleurs, s’applique à un territoire et a
un peuple soumis à une loi commune dont il décide librement. L’Union
européenne n’est ni l’une ni l’autre.
Tiré de l'article " Le monde de Trump commence "
Jean-Luc Mélenchon
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