jeudi 23 février 2017

FN, demandez le programme

Olivier Cabanel              

Alors que d’aucuns se plaignent que certains candidats restent encore flous dans leur programme, le FN a publié un document, resucée de celui publié lors des élections précédentes, et il est intéressant de découvrir ce qu’en pensent divers économistes, toutes tendances confondues.

Ce programme tient-il la route, s’interrogent-ils ? On serait tenté de répondre, oui, mais il la tient toute, au risque de provoquer quelques accidents collatéraux.
Alors que la patronne familiale du FN se dirige tout droit vers un Frexit, afin de « rendre sa souveraineté au peuple français », les économistes ont étudié les conséquences de ce programme sur les bourses des français.
En remettant en cause la libre circulation des personnes et des capitaux, ils estiment que, contrairement à la situation que vit la Grande Bretagne, les conséquences seraient dramatiques pour la France, et ils expliquent pourquoi.
Même si MLP entretient un flou artistique sur la « sortie de l’euro », la proposition n°35 est claire : « rétablissement d’une monnaie nationale », même si en haut lieu, on agite un écran de fumée en expliquant qu’il y aurait une « monnaie nationale » aux cotés d’un improbable « euro commercial ». lien
Il s’agit donc ni plus ni moins de faire appel à une arme que nous avons connu par le passé, et dont on connait les conséquences : « la dévaluation », accompagnée de l’inévitable « planche à billets »...
Cette option d’un « rétablissement d’une monnaie nationale » toucherait en premier lieu tous les retraités, surtout les plus modestes, qui sont la majorité, et si MLP promet une « revalorisation des petites retraites » par une contribution sociale frappant les importations, celle-ci serait annulée par une augmentation automatique des prix, surtout ceux qui sont importés, car les partenaires commerciaux qui exportent leur produits n’auront d’autres alternatives que d’en augmenter le prix, afin d’effacer les effets de cette « contribution sociale », les commerçants étant rarement philanthropes.
Prenons l’exemple du pétrole, l’abandon de l’euro, provocant la dévaluation du franc, va en faire exploser la facture, augmentant le risque de l’inflation, ce qu’a d’ailleurs admis dans un entretien à « Médiapart », Jean-Richard Sulzer, conseiller économique du FN. lien
Autre conséquence évidente de cet abandon de la monnaie européenne, il faudra rembourser la dette en euro, et avec un franc dévalué, ce choix sera lourd de conséquence, sauf que les économistes du FN affirment qu’ils rembourseraient cette dette en francs.
Ce serait une vraie déclaration de guerre faite à nos créanciers internationaux, lesquels possèdent 60% de notre dette, et ils seraient en position de force pour nous entrainer dans une bataille juridique sans fin, refusant d’être payés avec ce qu’ils pourraient appeler de la « monnaie de singe ».
Ce choix ferait risquer la faillite des banquiers et des assureurs français, puisqu’ils sont gorgés d’emprunts d’état, et que l’épargne préférée des français est l’assurance vie.
Cette sortie de l’euro enclencherait une spirale infernale puisque personne n’accepterait pour un bout de temps de prêter le moindre centime à la France, condamnée à une autarcie dont elle n’a pas les moyens.
En effet, si l’Allemagne affiche une balance commerciale positive de 252,9 milliards, la France se trouve négative de 48 milliards d’euros.
Notre pays serait donc obligé de tenir un budget équilibré, tout en continuant de payer les intérêts de la dette, lesquels se montent aujourd’hui à plus de 300 milliards par an.
Début 2013, le coût réel de la dette publique était déjà de 315 milliards par an, et elle n’a cessé depuis de grimper. lien
En 2016, la France avait un déficit primaire de 1,5% de son PIB (Produit Intérieur Brut), quand des pays comme la Grèce, l’Italie, ou même le Portugal ont des excédents primaires.
Comme le rappelle l’économiste Emmanuel Combe, professeur de sciences économique : « en 15 ans la France a perdu tous ses excédents avec ses partenaires de la zone euros, y compris les pays du sud comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, sauf la Grèce ! À ce qu’on se protège de la Chine, on aura donc résolu à peine la moitié de notre problème ». lien
Il faudrait donc réduire immédiatement nos dépenses d’au moins 30 milliards d’euros, faisant courir le risque de ne plus payer les fonctionnaires...à moins d’augmenter l’impôt sur le revenu de 50%...ou d’imaginer de nouvelles taxes, de nouveaux impôts, mesures que le FN assure ne pas vouloir envisager.
Cette situation révèle tout le paradoxe du programme FN qui assure pouvoir augmenter le Smic de 200 €, alors que manifestement, c’est bien le contraire qui pourrait se produire. lien
D’autres experts, comme Thierry Fabre, et Ghislaine Ottenheimer, ont analysé la situation avec précision.
Augmenter le salaire de 200 € correspondrait à faire baisser les cotisations sociales, et relever le point d’indice des fonctionnaires aurait un coût d’une vingtaine de milliards : « face à ces multiples promesses, les recettes et les économies envisagées ne sont pas crédibles ».
Quand aux taxes sur les importations, leurs retombées sont très aléatoires, car les états menacés pratiqueraient des mesures de rétorsion sur nos importations, (lesquelles ne sont déjà pas très brillantes).
Au sujet des économies supposées liées à la baisse de l’immigration, pour les deux experts, le chiffre de 40,8 milliards est « totalement fantaisiste  », et selon la Fondation Concorde, cela correspondrait à une économie de 63 000 euros par immigré et par an, ce qui est totalement irréaliste, concluant : « en économie, les experts du FN prennent trop souvent leurs désirs pour des réalités ». lien
Comme le résume dans son dernier ouvrage l’économiste Patrick Artus, très critique pourtant sur le fonctionnement de l’Euro : « l’explosion de l’Europe et surtout de la zone euro serait une folie aux coûts économiques et sociaux incalculables », ajoutant « les partis populistes européens on tort d’essayer de convaincre les citoyens européens que la liquidation de la monnaie unique leur apporterait d’avantage de bien-être et de prospérité  ». lien
Dans cet ouvrage « Euro, par ici la sortie », signé conjointement avec Marie-Paule Virard (Fayard éditeur), les auteurs évoquent des propositions à la fois économiques et institutionnelles pour sauver l’euro et faire de l’Europe un pôle de prospérité et de stabilité dans un monde de plus en plus imprévisible. lien
Maël de Calan, autre économiste, diplômé d’HEC et de Sup de Co, ne dit pas autre chose : « ce programme à tout, ou presque, d’une opération suicide (...) cette sortie de l’euro ruinerait les épargnants et entrainerait une fuite des capitaux, mais refait exploser le remboursement des dettes de la France. Privée de subventions européennes, l’agriculture serait à genoux. Quand à la politique budgétaire, elle provoquerait un déficit immense (10% du PIB) la faillite du système des retraites, et une augmentation de 1500 Md d’euros de la dette en 5 ans ». lien
Bien sur du coté du FN, on assure qu’il s’agit de mettre en place un « protectionnisme intelligent  », mais Emmanuel Combe, et Jean-Louis Mucchielli, professeur des Universités agrégé es sciences économiques, affirment en chœur : « le protectionnisme intelligent est une imposture (...) il repose sur un constat factuel erroné, car les pays à bas coût ne sont pas la cause principale de notre déficit commercial, qui est beaucoup plus important avec nos partenaires de la zone euro (...) le déficit bilatéral de la France avec l’Allemagne et la Belgique réunis est supérieur à celui avec la Chine, soit 23 milliards d’euros  ». lien
Pour Jacques Nikonoff : « le programme du FN n’a aucune crédibilité quand on le regarde de près.
Il ne suffit pas de reprendre des revendications de gauche pour être crédible », et Jacques Sapir, évoquant un « grand amateurisme » ne dit pas autre chose : « en l’état, ce programme ne constitue pas une véritable alternative ». lien
Il ajoute qu’il faudrait au moins des accords bilatéraux de « non agression » entre plusieurs états qui sortiraient ensemble de la zone euros, ce qui n’est pas prévu dans le programme FN, et qui de toutes façons est plus simple à imaginer qu’à réaliser...lien
Mais le plus cocasse, c’est que Marine Le Pen n’hésite pas à citer régulièrement les experts qui auraient inspiré son « programme économique »...
Pas de chance, tous ceux qu’elle cite à tout bout de champ n’ont cessé de critiquer celui-ci.
De Jacques Sapir, à Christian St Etienne, en passant par Emmanuel Todd, ou Maurice Allais, ils disent tous combien ce projet est « suicidaire  » pour l’un, « stupide » pour un autre, et « nul » pour le dernier. lien
Ceci dit, on sait par expérience qu’il arrive aux économistes de se tromper plus souvent qu’à leur tour...mais quand une telle unanimité se fait jour, comment ne pas s’interroger ?

Comme dit mon vieil ami africain (tout comme Jean Yanne) : « le monde est plein d’imbéciles qui se battent contre des demeurés pour sauver une société absurde ».

agoravox.fr

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