Alors
que la coalition des nouveaux impérialistes se réjouissait par avance
d'un coup double à jouer en Syrie, éliminer Bachar et le Hezbollah tout
en écorniflant l'Iran, voilà que l'organisation de résistance libanaise
sort renforcée de la victoire d'Alep. Il faut donc abattre Nasrallah et
ses troupes par un autre moyen, le vieille arme de la CPI et des "crimes
de guerre". La machine est en route.
Ce
qui est pénalisant dans le vieillissement, ce n’est pas seulement la
difficulté que l’on éprouve à lacer ses chaussures, c’est que l’on parle
de moments d’histoire que personne n’a connus. Outre les amis bancals
qui vous accompagnent sur le chemin du cimetière. Ainsi Geneviève Tabouis,
une journaliste qui a déclamé pendant trente ans ses chroniques sur
« Radio Luxembourg », ça ne vous dit rien ! Cette amie d’Eleonor
Roosevelt et de Joseph Staline avait coutume de démarrer son couplet par
un sonore « Attendez-vous à savoir... ».
N’étant ni l’ami de
Melania Trump ni le cousin de Vladimir Poutine, je m’autorise quand même
à vous lancer mon personnel « Attendez-vous à savoir... ».
Attendez-vous à savoir que dans les ateliers de Washington, là où l’on
forge si bien le mensonge, une grande campagne est en cours de montage.
Une entreprise de première grandeur qui mobilise aussi les orfèvres
israéliens, toutes les petites mains du lobby néoconservateur et les
forces pures et vives de ces organisations non gouvernementales (sic)
qui, par chance et goût de la démocratie, embrassent toujours les vœux
de la CIA ou ceux de George Soros. C’est-à-dire la même chose.
Attendez-vous
donc à savoir que le Hezbollah, pour le comportement supposé de ses
soldats en Syrie, va être livré à l’accusation publique. Certains
combattants de cette juste cause rêvent même de l’édification d’une CPI
« spéciale », comparable à celle chargée de désigner qui a envoyé Rafic
Hariri au ciel.
Lecteurs de combat, donc penseurs de l’autrement,
vous avez tout de suite compris l’ambition des manipulateurs et leur
enjeu : continuer par d’autres moyens, par l’arme médiatique, leur
guerre perdue à Alep. Un ami sincère, un frère pourtant habitué à la
magie des montreurs de lune, m’a informé de l’offensive. J’ai été
surpris et même meurtri que ce combattant des toutes les libertés tombe
dans le panneau : « Si, si, à Alep les miliciens du Hezbollah ont
multiplié les atrocités »... Me voilà donc, une fois encore, alors que
pour les connaitre je déteste les guerres, obligé de présenter le
massacre comme une bagatelle. Et il l’est, si j’ose dire. La certitude
est la suivante, si les disciples de Nasrallah ont commis des crimes de
guerre, il en va tout autant des soldats de la République Arabe de Syrie
et de ces humanistes islamistes décrits sous l’alléchante banderole de
« Rebelles modérés ». Sans parler des tueurs d’Al Nosra, amis de Fabius,
et des barbares de Daech. La guerre est toujours un crime et l’attelage
des deux mots est une tautologie.
Attendez-vous donc à ce que nos
journaux, qui n’ont rien vu à redire de l’impeccable comportement des
criminels de masse agissant – du bon côté – en Afghanistan, en Irak, au
Kosovo, en Libye, au Yémen, vous clouent les combattants chiites
libanais au pilori planétaire. Alors que Trump ressort son bâton de
Guignol contre l’Iran, il est bon que ces admirateurs de l’imam Hussein
ne sortent pas trop puissants de ces ruines d’Alep qui ont été aussi un
tombeau pour les espoirs de l’OTAN. Comme chacun sait, et comme vous le
confirmera une lecture ordinaire du Monde, en dépit de ses dizaines de
têtes nucléaires, « Israël est menacé dans sa survie par les criminels
du Hezbollah ». D’urgence pendons donc ces soldats chiites si cruels et
dangereux. Urgence... urgence... pas si sûr puisque, dans leur soif de
justice, les experts du trébuchet mondialisé seront –forcément- occupés à
punir dans un tour de rôle d’autres « crimes de guerre », ceux de
Kissinger, Bush, Olmert, Clinton, Netanyahou, Sarkozy, du droneur Obama
et autres étalons de la démocratie. Rappelons l’incontournable doctrine
du vieux maître Vergès : « Vous ne pouvez condamner Barbie sans juger
Massu ».
Ayons confiance en l’instinct suicidaire de la presse
qui, d’un mensonge l’autre, roule sa toile de cirque pour s’en faire un
linceul. Depuis sa chaire du Collège de France, Pierre Bourdieu a fini
sa vie en combattant le système des « médias-mensonges ». En chirurgien
des idées il évoquait la raison d’agir des journaux, surtout ceux du
gratin, vrais chiens de garde de « l’opinion », forts de leur « monopole
de la violence symbolique ». Sans être un digne exégète, en parlant
aujourd’hui de ces journalistes, je vais extrapoler la pensée du grand
sociologue. Faut dire qu’il y a « urgences », comme on l’écrit aux
portes des hôpitaux, et mon néo concept post bourdieusien est de dire
maintenant que nos nouveaux journalistes détiennent le missile parfait :
le « monopole de la diffamation légitime ».
Après qu’aucune star
du journalisme vrai, genre Florence Aubenas, n’a été expédiée à Alep
pour nous écrire le bilan de six années de guerre, soyons sûrs que les
ateliers de la contrefaçon vont nous abreuver d’horribles nouvelles
tirées de ce noir et récent passé. En 1999 suite à la guerre du Kosovo
qui, même à « zéro mort » du côté des bons ne font pas en dentelles
mais en mensonges, l’admirable Edwy Plenel – qui veut être à la presse
ce que Marx fut au capital – nous a régalé d’un scoop : « sans
l’intervention de l’OTAN des dizaines de milliers de kosovars auraient
été exterminés dans un « génocide » ». Eh oui ! La preuve ? Plenel
s’était procuré le plan « Fer à cheval », celui qui programmait,
planifiait les massacres. Hélas le document d’Edwy était un faux écrit
par les services secrets allemands. Zut.
Résumons. Entre des
journalistes qui publient des documents façonnés et d’autres qui
découvrent du gaz sarin où l’ONU n’en a pas remarqué, l’horizon
médiatique est favorablement ouvert aux guerriers de l’info. Eux qui ne
passent pas leur temps dans la boue ou les abris de béton mais dans les
fauteuils Eames des officines « occidentales ». Celles où l’on invente
les « unes » de demain.
Chronique publiée dans le mensuel Afrique Asie du mois de février.
Le Grand Soir
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