C’est une véritable hécatombe, comme la côte Atlantique n'en avait
pas connu depuis 1997.
Ce début d’année, et en particulier ces deux
derniers mois, a vu un nombre record de cadavres de dauphins communs, delphinus delphis
pour les latinistes, découverts sur les plages landaises, girondines,
charentaises et vendéennes.
Selon l’observatoire Pelagis, rattaché au
CNRS et à l’université de La Rochelle, 800 cétacés des eaux du golfe de
Gascogne se sont ainsi échoués en l’espace de quatre semaines : un niveau d’échouage trente fois plus élevé que le niveau « normal ».
Une mortalité rendue visible par les tempêtes
Ces chiffres, auxquels s’ajoutent «quelques carcasses»
récupérées ces derniers jours, préoccupent fortement les scientifiques
chargés d’étudier les mammifères marins sur la côte. À partir des outils
de modélisation de l’observatoire, Willy Dabin, chargé de la
coordination du suivi des échouages (notamment au travers du Réseau
national des échouages), indique qu'« a minima », 3 500 dauphins
sont morts en haute mer depuis le début de l’année, sur une population
totale estimée à 80 000 individus sur le plateau continental, de la
pointe de la Bretagne à Hendaye. «On est inquiet car cette surmortalité n’est pas supportable pour la viabilité des populations à moyen terme, soulève l’ingénieur. A partir de ces résultats, on pourrait voir disparaître le dauphin commun dans le proche Atlantique d’ici cinquante ans.»
Les causes de cette hausse de la mortalité, rendue visible par
plusieurs tempêtes exceptionnelles, sont par ailleurs connues des
scientifiques. À cette période de l’année, les delphinidés ont
l’habitude de se rapprocher de la côte pour chasser les bancs de
poissons à leur menu, le bar et le hareng de préférence. Ils rentrent
alors en zone de pêche où les «chaluts pélagiques en bœuf» français et étrangers tractent de grands filets entre deux eaux qui capturent accidentellement de nombreux dauphins.
«Les animaux que nous avons recueillis étaient, avant de s’échouer, en
bonne santé et sans aucune pathologie. Il y a donc un réel problème avec
ce type de pêche industrielle», souligne encore Willy Dabin. Les
cétacés échoués sur les plages de l’Atlantique portaient également des
traces de fractures et d’amputations propres à ces captures
accidentelles.
« Pas un modèle de pêche durable »
« Il y aura toujours des captures accidentelles, mais
certaines techniques de pêche jugées efficaces ont les conséquences que
l’on connaît. Et en plus, elles sont inadaptées pour la pêche du bar, observe de son côté Denis Ody, responsable océans et côtes pour WWF France. La pêche industrielle n’est pas un modèle de pêche durable.» Pour éviter cette surmortalité, l’océanologue préconise donc de «revoir les méthodes de pêche», afin que des techniques moins létales pour les dauphins soient privilégiées.
Ces technologies durables ne pourront voir le jour que si la
recherche dans ce domaine est enfin financée, comme le recommandait déjà
le Conseil économique social et environnemental (Cese) dans un avis de 2012 sur la politique commune de pêche (PCP). « L’accent
doit avant tout porter sur la mise au point et la diffusion de
pratiques et d’engins de pêche de plus en plus sélectifs, écrivait sa rapporteure, Joëlle Prévot-Madère. Cela
passe par le soutien et l’encouragement, y compris financier, aux
nombreuses actions de recherche et développement en la matière. Mais
aussi par la mise en place de dispositifs de sensibilisation et de
formation des pêcheurs, pour qu’ils utilisent les techniques innovantes
rendues ainsi disponibles. »
Difficile de collaborer entre scientifiques et pêcheurs
« Il faut aussi pouvoir se mettre autour d’une table et monter sur les bateaux », propose
pour sa part Willy Dabin de l’observatoire Pelagis. Adopté en
décembre 2002 dans le cadre de la réorientation de la PCP européenne, un règlement du Conseil de l’Europe prévoit en effet le renforcement des contrôles sur les bateaux de pêche avec la présence d’observateurs indépendants, qui « vérifient si les chalutiers respectent les règles de la politique commune de la pêche ».
Hélas, les scientifiques observent toujours des difficultés à
travailler en collaboration avec les professionnels de la pêche, ce
qu’ils souhaitent ardemment, pour faire état des captures de mammifères
marins et autres espèces non consommables. « Il y a tout un tas de
pêcheurs ennuyés quand il y a des dauphins dans leurs filets, mais
l'Etat ne fait pas assez d'efforts pour garantir le devoir
d’observation », complète Denis Ody, de WWF France. Sollicité pour
savoir quelles solutions étaient envisagées pour une meilleure
conservation des espèces marines et limiter ces captures accidentelles,
le ministère de l’Ecologie n’a pas encore donné suite à nos demandes.
Affectée par ailleurs par l’augmentation du trafic maritime ainsi que
les pollutions chimiques, plastiques et sonores dans les mers et les océans, l’espèce reste classée en «préoccupation mineure» dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
liberation.fr
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