mardi 18 avril 2017

Crise écologique : comment en sortir ?

Corinne Morel darleux             

Il aut cesser de considérer l’écologie comme relevant du seul domaine des environnementalistes. Le climat, la raréfaction des ressources naturelles, nos modes de production et de consommation d’énergie, notre usage des minerais, de l’eau et des sols, recèlent des enjeux géostratégiques puissants qui ne peuvent plus être ignorés.

Nous héritons d’une situation, à l’échelle internationale, de dette écologique. L’essor industriel, l’avènement du capitalisme puis la mondialisation des échanges ont conduit à une pression de moins en moins soutenable sur les ressources naturelles nécessaires à la production de marchandises pour assurer des retours sur le capital investi de plus en plus importants. Les pays « industrialisés », historiquement producteurs, sont devenus essentiellement consommateurs. Les productions – ainsi que les déchets, pollutions, et émissions de gaz à effet de serre induites [1] – ont été délocalisées dans d’autres pays disposant de main d’oeuvre moins chère et de législations sociales et environnementales moins contraignantes. Ces pays devenus ateliers du monde, dans des conditions de travail souvent indécentes, sont également souvent ceux qui fournissent les matières premières. Ainsi, c’est une véritable exploitation, à la fois des travailleurs et des ressources, qui s’est mise en place à l’échelle mondiale, en accentuant les inégalités à la fois entre pays du Nord et du Sud, mais aussi entre oligarchies et populations au sein même de ces pays.
Les modes de consommation des pays et individus les plus riches ont pour conséquence un prélèvement de plus en plus fort sur des ressources de plus en plus limitées. L’empreinte écologique illustre bien ces inégalités et le caractère insoutenable des consommations actuelles : la bio-capacité disponible est de 1,6 hectare global (gha) par personne. Or la ponction aux Emirats arabes unis est de 10,6 gha par habitant, elle est de 8,2 aux Etats-Unis, de 5,1 en France. Elle n’est que de 1,2 en Inde et 1,0 au Kenya. Or ce qui est consommé à un moment et un endroit donné, ne le sera pas ailleurs. Plus les ressources s’épuisent, plus les inégalités s’emballent. Et au lieu d’en organiser le juste partage, en faisant preuve de davantage de sobriété là où la surconsommation est devenue la règle, les institutions internationales - Union européenne (UE) en tête - passent des contrats pour s’assurer de l’approvisionnement qui leur assurera de n’avoir rien à changer. Et rien ne change, en effet.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a publié le 21 mars dernier ses données pour l’année 2016 [2]. Tous les indicateurs montrent une aggravation de la situation. La température moyenne à la surface du globe est de +1,1°C au-dessus de celles constatées à l’ère pré-industrielle ; cette hausse va jusqu’à + 6,5°C dans certaines régions arctiques. La concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a dépassé le seuil symbolique des 400 ppm (partie par million). La modélisation et le travail sur des hypothèses fiables deviennent de plus en plus délicats pour les experts. Les projections sont compliquées par l’emballement climatique, phénomène par lequel le réchauffement précipite le réchauffement – par la fonte du pergélisol ou permafrost notamment, qui libère le méthane qui était piégé dans le sol, lui-même puissant gaz à effet de serre. Les scientifiques reconnaissent que nous entrons en terre inconnue. Dans plusieurs régions du monde, le réchauffement océanique modifie les routes migratoires des poissons et leurs lieux de reproduction. La répartition, sauvage ou organisée, des zones de pêche industrielle risque de produire des conflits et d’avoir des conséquences alimentaires et financières dramatiques pour les peuples pêcheurs concernés, de la Mauritanie au Chili en passant par l’Afrique du Sud. Dans l’Arctique les banquises fondent, partout le niveau des mers et océans s’élève. Le recul des côtes et littoraux provoque des déplacements de populations vers l’intérieur des terres. Le dérèglement climatique entraine des aléas de plus en plus sévères. Des lacs s’assèchent. Le désert de Gobi, en Chine, progresse de 10 000 km2 par an. Au Sahara, les éleveurs peuls du Mali et du Burkina Faso se déplacent vers le Ghana. Ce n’est que le début d’exodes majeurs. Selon les Nations unies, en 2050 les migrants environnementaux seront 200 millions.

Migrations forcées et désordres géopolitiques

Ces migrations forcées sont des facteurs de déstabilisation géopolitique importants. En Syrie, suite à la sécheresse sans précédent des années 2007-2010, on estime qu’1,5 million de réfugiés ont afflué vers les grandes villes du Sud du pays [3]. Le manque de précipitations a été aggravé par les choix du gouvernement de privilégier la culture du coton, gourmande en eau, et la surexploitation des nappes phréatiques. Ces facteurs conjugués ont provoqué une chute de la production agricole, la flambée des prix et l’exode rural. La moitié de la population a souffert de faim et de malnutrition. Dans ce contexte, les premiers soulèvements contre le régime sont partis des régions agricoles les plus touchées. Dans la ville de Deera, en 2011, on comptait 200 000 migrants récemment arrivés des campagnes. Non seulement la sécheresse a déstabilisé et précipité l’insurrection en Syrie, mais le pays s’est engagé dans un cercle vicieux : le conflit lui-même a aggravé à son tour la situation en retardant l’entretien du système d’irrigation, le contrôle du barrage de Tabqa qui crée avec le lac Assad la plus grande réserve d’eau du pays est devenu un enjeu stratégique dont le bombardement risque d’entrainer des inondations catastrophiques [4], et la famine est devenue arme de guerre.
Ce lien entre accès aux ressources naturelles et conflits, ainsi que son caractère de réciprocité, a été mis en évidence par une étude publiée en 1999 [5]. Ses auteurs indiquent que la raréfaction des ressources, si elle est rarement une cause suffisante et immédiate de conflits violents, y contribue en revanche de manière importante lorsqu’elle est accompagnée d’autres facteurs économiques, sociaux ou ethniques. C’est une cause aggravante des conflits, et la réciproque est vraie : les conflits à leur tour détériorent l’environnement et dégradent les conditions d’accès aux ressources nécessaires à l’humanité.
La sécheresse est considérée comme le plus grand fléau à venir du monde arabe, au Proche et Moyen Orient. Elle y a déjà touché 38 millions de personnes entre 1970 et 2009. Les deux pays les plus concernés par la baisse des précipitations sont la Jordanie et la Syrie, mais en Turquie 160 000 km2 de sols cultivables sont également menacés par l’érosion et le manque d’eau. En Egypte, la moitié des terres arables sont en cours de salinisation, qui les rend impropres à la culture. L’accès à l’eau se pose aussi d’autre manière en Egypte. Dans le bassin du Nil, qui concerne dix pays et 160 millions d’habitants, la pression démographique est importante : la population augmente de 2 à 3% par an et accentue la tension autour de la ressource en eau. Celle-ci est particulièrement forte entre deux pays : l’Ethiopie, dont les plateaux fournissent 86% des eaux du Nil, et l’Egypte, dont le Nil fournit 95% des besoins en eau [6]. Le réchauffement climatique va accentuer ces tensions et les enjeux de l’accès à l’eau. Celle-ci devient une ressource stratégique, comme elle l’est déjà dans les territoires occupés de Cisjordanie, où les colonies israéliennes s’implantent en priorité à proximité des puits en privant les palestiniens de l’accès à cette ressource indispensable, notamment à la paysannerie.
L’accès à la ressource devient une nouvelle forme d’impérialisme, qui pose des questions non seulement environnementales, mais aussi économiques et sociales : géostratégiques. Le poids des intérêts économiques et des lobbies pétroliers ou du BTP dans ce nouvel impérialisme est majeur. Les uns et les autres ont des intérêts particuliers à ces conflits armés qui leur permettent de s’assurer l’accès au pétrole d’une part, et à d’importants chantiers de reconstruction d’autre part. Ces intérêts à la guerre ont été singulièrement mis en lumière lors de la guerre en Irak. Si besoin était, un livre-enquête, Fuel on Fire [7], a achevé de démontrer que l’accès aux 4e réserves de brut du monde [8] avait été décisif dans l’entrée en guerre du Royaume-Uni aux côtés des Etats-Unis en 2003. La ministre du commerce, la Baronne Symons, avait en effet promis aux « majors » du pays – British Petroleum (BP), Shell, British Gas – l’accès au pétrole irakien après la chute de Saddam Hussein [9]. Cette promesse a été faite dès 2002. Elle fut tenue. En 2009, BP obtint, avec le chinois CNPC, l’exploitation de Roumaila, le plus grand des champs pétroliers concédés à des compagnies étrangères, avec des réserves estimées à 17,7 milliards de barils [10].
De la crise des déchets en Tunisie ou au Liban, aux concurrences entre le gazoduc russe South Stream et l’européen Nabucco [11], ou encore la course ouverte entre le Canada et la Russie pour s’emparer des nouvelles routes commerciales ouvertes par la fonte spectaculaire de l’Arctique, on pourrait citer bien d’autres exemples établissant à quel point des questions « écologiques » se révèlent d’importants déclencheurs d’instabilité politique ou de tensions géostratégiques.

Comment en sortir ?

Face à ces enjeux, l’inaction ne sert que les intérêts guerriers et les puissances de l’argent. Les transformations à mener sont de l’ordre d’un changement en profondeur de notre modèle de société. Des mesures de transition vers la sortie du capitalisme doivent être engagées d’urgence. En voici quatre, en guise de propositions immédiates versées au débat.
La première est d’inscrire dans les constitutions d’un plus grand nombre de pays possible le principe qui consiste à ne pas prélever davantage de ressources renouvelables à la nature que ce qu’elle est capable de reconstituer en une année. C’est ce que nous appelons la « règle verte », en opposition à la règle d’or austéritaire de Bruxelles. Il s’agit d’une règle de prélèvement juste, calculée sur la base de la consommation, et non sur la production – celle-ci étant comme on l’a vu largement délocalisée. La méthode de calcul existe au niveau international, avec le « jour du dépassement global », une notion proche de l’empreinte écologique. Il s’agit du jour où l’humanité a consommé tout ce qu’elle pouvait consommer en une année sans oblitérer l’avenir. En 1971, cette date arrivait le 24 décembre. En 1981, c’était le 13 novembre. En 2000, le 25 septembre et depuis cette date n’a cessé de s’avancer plus tôt dans l’année. L’an dernier, en 2016, nous aurions dû nous mettre en apnée le 8 aout, dès le milieu de l’été.
Pour les ressources non renouvelables, l’urgence est de réduire notre dépendance aux énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Ces sources d’énergie fonctionnent comme une drogue dure du capitalisme ; leur surexploitation produit non seulement des conflits armés mais aussi des catastrophes comme celle de Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique. Le pétrole et ses dérivés sont omniprésents dans notre quotidien : carburants, mais aussi textiles, plastiques, engrais. Or le pic de production a déjà été atteint, selon la théorie de Marion King Hubbert, et signe la fin du pétrole accessible et bon marché. Au-delà du cercle des militants écologistes, le Pentagone puis l’armée allemande ont eux-mêmes sonné l’alarme en 2010 [12]. Las, la baisse du prix du baril entre 2014 et 2016 a une nouvelle fois encouragé l’inaction. Des alternatives existent pourtant pour réduire notre dépendance à ces sources d’énergie puis s’en passer, en réduisant les consommations inutiles, en développant la recherche en faveur de l’efficacité énergétique, et en développant les énergies renouvelables pour les besoins restants [13].
Troisième proposition, celle de relocaliser nos productions afin de réduire à la fois les émissions de gaz à effet de serre, l’énergie nécessaire et la pollution liées aux kilomètres parcourus par ces marchandises. Cela passe par la mise en place de mesures de protectionnisme solidaire à nos frontières, en rupture avec les traités européens qui consacrent la libre circulation des marchandises. Il est inacceptable que des produits fabriqués à l’autre bout du monde par des enfants, des travailleurs sans droits, dans des conditions de travail indignes, atterrissent sur nos étagères à bas prix, empêchant par cette concurrence déloyale le développement d’une production locale. Ce système de libre-échange oblige en outre les pays de production à servir nos consommations plutôt que de répondre aux besoins de leurs populations. Le droit à un choix de développement endogène est aussi une question élémentaire de solidarité internationale.
Enfin, il est aujourd’hui établi que les tenants du libéralisme ont un projet commun, dans l’organisation internationale de la division du travail et des capitaux. Il faut leur opposer un autre projet commun, capable de fédérer vers un autre horizon de société. Et parce que c’est à une crise du système que nous devons faire face, parce que les questions écologiques, économiques et sociales sont liées, c’est une vision systémique qui doit guider ce projet. Nous l’appelons écosocialisme, il a fait l’objet d’une présentation sous forme de Manifeste, décliné en 18 thèses [14].

Conclusion

La question climatique renouvelle la notion même d’intérêt général humain et de solidarité internationale. Disposer de ressources naturelles ne peut pas devenir une malédiction pour un pays, de même que nul lobby ne peut s’arroger le droit de vie ou de mort sur des populations au nom de l’accroissement de ses profits. Les pays et individus les plus favorisés font face aujourd’hui à un enjeu lié à leur propre survie et à un impératif de solidarité : celui d’un partage juste et équilibré des ressources à l’échelle de la planète. Cela nous impose de changer de régime, de passer d’une « dissociété » de l’ébriété à une société de la sobriété.

Cela nous donne la responsabilité de faire vivre une internationale écosocialiste par la construction de nouveaux espaces de coopération face à l’inertie de l’Union européenne, entre Europe, Moyen-Orient et Méditerranée.

Cet article est tiré d’une intervention réalisée lors de la troisième Conférence Euro-Méditerranéenne à Benalmadena, Espagne, le 31 mars 2017.

(*) Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale du Parti de Gauche, en charge du développement à l’international de l’écosocialisme. Elle est conseillère régionale en Auvergne Rhône Alpes.
Twitter : @cmoreldarleux

Les petits pois sont rouges
 

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