mardi 18 avril 2017

L’Australie est en danger

Amira Hass            

Pourquoi le gouvernement australien a-t-il peur de Bassem Tamimi, un Palestinien du village de Nabi Saleh ? Mercredi dernier, le Service de l’Immigration et de la Protection des Frontières d’Australie a abrogé le visa d’entrée qu’il lui avait délivré un jour plus tôt. 

Tamimi, qui, avec d’autres militants de la résistance populaire de son village et d’au-delà en Cisjordanie, a réussi à attirer l’attention internationale sur les maux de l’occupation israélienne, a été invité par une organisation de gauche et par certaines associations pro-palestiniennes à tenir en Australie une série de conférences et de réunions. Elles ont été, au moins autant que Tamimi, choquées par l’abrogation hystérique de son visa. Comme c’était à prévoir, les sites favorables à l’occupation et à l’expulsion ont été ravis.
Le document d’abrogation, publié sur le site de l’Office Australien de Radiodiffusion (ABC/OAR), déclare “le service (d’immigration) a récemment pris connaissance de renseignements qui montrent qu’il y a un risque que des citoyens réagissent de façon défavorable à la présence en Australie de M. Tamimi en ce qui concerne ses opinions sur les tensions politiques en cours au Moyen-Orient. Sa présence en Australie constituerait ou pourrait constituer une menace pour le bon ordre de la société australienne.
Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine ne pourraient pas avoir mieux formulé la justification d’avoir réduit au silence toute voix exprimant une opposition. Ce que Tamimi a à dire est déplaisant pour certains partis, dit-on en australien. Entre les lignes, ces éléments pourraient se déchaîner en essayant de le réduire au silence ou de perturber des activités auxquelles il participerait, et les autorités australiennes seraient impuissantes à les affronter en raison de leur puissance (politique, financière, physique, ou toutes celles-ci conjuguées). En d’autres mots, il représente une menace parce que d’autres abuseront de leur puissance afin de le réduire au silence.
“Ses opinions,” déclare le document officiel. Comme si ceci était un thème de salon de débats contradictoires et non un témoignage irréfutable, de première main, sur un régime de ségrégation ethnique que façonne Israël. Tamimi aurait parlé des terres, des forêts, des espaces publics et des sources qu’Israël a volé à son village et à d’autres villages au bénéfice des colons juifs ; de l’interdiction par Israël d’ajouter encore un étage aux maisons existant dans son village, alors que les habitations individuelles dans la colonie, de l’autre côté de celui-ci, sont continuellement rehaussées. Il aurait parlé des descentes de l’armée, de l’intimidation des enfants, des soldats qui ont tué deux de ses parents alors qu’ils ne représentaient aucun danger pour ces troupes. Il aurait probablement dit que ceci est l’essence même du régime sioniste. Il aurait déclaré son soutien à la solution à un état, pour les Juifs et les Palestiniens. Il aurait mentionné les militants israéliens juifs qui depuis 2009 ont soutenu son village. Qu’y a-t-il de si effrayant à cela ?
Chacun peut deviner ce qui s’est passé dans les 24 heures entre la délivrance du visa et son annulation : un coup de téléphone hargneux de l’ambassade israélienne au Ministère australien des Affaires étrangères ; un e-mail grandiloquent de quelque organisation de droite, d’une association juive ou d’une association évangélique ; un SMS d’un magnat juif, ou de quelqu’un ayant des relations en Israël, à un député, qui a hâtivement pris contact avec le Service d’Immigration. Ou peut-être le magnat, quelqu’un ayant des relations dans les médias, a-t-il envoyé directement un SMS à un haut fonctionnaire. Cela semble anti-sémite ? Le problème ne vient pas de ces spéculations, mais des modes de fonctionnement anti-démocratiques qu’exporte Israël.
En réponse aux questions posées par un journaliste d’ABC, un porte-parole du Service d’Immigration a déclaré, oui, le gouvernement australien est en faveur de la liberté d’expression, et ainsi de suite,mais il est aussi de sa responsabilité d’empêcher les calomnies sur la société australienne, l’incitation à la discorde en son sein ou sa mise en danger. Bassem Tamimi pourrait-il, à lui seul, faire tout cela ?

Les fonctionnaires israéliens et les partisans de l’apartheid israélien opposent par avance des objections à ses paroles. S’il étaient capables de contester son témoignage ou ses conclusions, ils n’auraient pas agi pour empêcher sa visite. Leur rogne est un aveu de faiblesse, qu’ils essayent de dissimuler par l’intimidation. Et le gouvernement australien, pour ses propres raisons, a peur d’eux et a décidé d’agir comme sous-traitant d’Israël.

Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers.

Source : haaretz

AFPS

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