Il y a quinze ans ce mois-ci l’armée israélienne bombardait et attaquait
le camp de réfugiés de Jénine pendant plus de dix jours. Ceci faisait
partie de l’Opération israélienne du prétendu « Rempart » (Operation
Defensive Shield), pendant laquelle Israël envoya des troupes au cœur de
six cités majeures de Cisjordanie occupée et dans les villes et camps
de réfugiés alentour qui étaient censés être sous le contrôle de
l’Autorité palestinienne.
Dans un rapport sur l’attaque, les Nations Unies ont conclu que
l’armée israélienne a tué des douzaines de Palestiniens dans un camp de
tout juste 0,4 kilomètres carrés et qui hébergeait environ 15000
personnes.
Après l’attaque un long débat eut lieu sur le nombre de victimes.
L’estimation de ce nombre, dans le chaos régnant dans le camp tout de
suite après l’assaut, était très élevée.
Israël empêcha les membres de la commission onusienne d’investigation
mandatée par le Conseil de sécurité de conduire une enquête, mais un
rapport ultérieur rédigé par le secrétaire général conclut qu’au moins
52 Palestiniens avaient été tués dans le camp de réfugiés de Jénine.
Près de 500 Palestiniens furent tués et 1500 autres blessés au cours de
l’attaque d’Israël en Cisjordanie entre mars et mai 2002.
Toutefois, ce ne furent pas seulement les nombres invoqués qui
choquèrent le monde à l’époque, mais la nature brutale de l’assaut
israélien, sans précédent même dans la dure histoire de l’occupation.
Cette brutalité s’apprécie le mieux en visitant le camp. Cet endroit
surpeuplé a été attaqué depuis les airs par des hélicoptères de combat,
bombardé par des tanks à partir des collines qui le dominent et envahi
par de monstrueux véhicules —l’hybride entre un tank et un bulldozer que
les Israéliens surnomment Achzarit, le Brutal, qui rasait les maisons
et transformait les allées en autoroutes pour que les tanks puissent
passer.
Les tanks revisitèrent le camp après l’opération, arrivant
généralement au milieu de la nuit, traumatisant les enfants pour les
années à venir avec leur grondement.
« La Géographie du désastre »
Je suis allé au camp la semaine dernière dans le cadre d’une visite à
la branche de l’université ouverte d’Al-Quds à Jénine. Nous avons dû
nous hâter pour atteindre la ville et en revenir, depuis ce qui était en
1948 la Palestine (maintenant Israël), car la compagnie privée qui gère
le checkpoint de Jalameh devait fermer le passage pour les quelques
jours à venir afin que les Juifs israéliens puissent célébrer Pâques, en
oubliant les Palestiniens assiégés en Cisjordanie.
L’armée a imposé une fermeture de villages et de quartiers en
Cisjordanie et enfermé des millions de personnes dans des enclaves
locales pour que les colons israéliens puissent se déplacer comme si
c’était une terra nullius – un pays sans population.
L’université ouverte d’Al-Quds répond aux besoins, entre autres, des
enfants des prisonniers politiques et des martyrs. Elle est hébergée
dans un bâtiment de location, avec l’espoir qu’un jour elle déménagera
sur un véritable campus — si les millions de dollars nécessaires pour
son achèvement peuvent être trouvés.
Plus de 50 000 Palestiniens utilisent les services de l’université
dans ses branches de Cisjordanie et de la bande de Gaza, dans la réalité
géopolitique de la fragmentation et du contrôle imposés par Israël, qui
requiert que l’université aille aux étudiants, puisque les étudiants ne
peuvent aller à l’université.
La ténacité et la résistance peuvent se manifester de bien des façons
et en 2017 -à la différence de la résistance armée de 2002- c’est par
cette sorte de détermination que l’on rappelle au régime actuel en
Israël qu’il ne peut effacer, ou ignorer totalement, les millions de
personnes qu’il a opprimées quotidiennement depuis 1967.
À l’intérieur de cette géographie du désastre, il y a des degrés de
pauvreté et d’oppression. Il y a une division claire entre la cité de
Jénine et le camp.
Vous êtes conscient du moment où vous avez quitté la ville et où vous
êtes entré dans ce camp immense, qui est construit sur la pente d’une
colline escarpée à l’ouest de la ville. Il est aussi très facile de voir
quelles maisons dans le camp ont été démolies pendant le massacre de
2002 — ce sont celles qui ont été reconstruites avec l’aide de l’argent
des pays du Golfe. Très peu de maisons sont restées intactes sous
l’attaque féroce de 2002. Si vous montez au sommet de la colline, vous
pouvez voir l’endroit où les tanks israéliens étaient positionnés,
faisant pleuvoir leurs tirs sur le camp sans défense en contre-bas,
semant le chaos et la mort, des tactiques rendues bien trop familières
par les attaques israéliennes répétées sur Gaza.
Une vue dégagée
Mais il y a quelque chose d’autre que vous remarquez quand vous êtes
sur la colline. Vous pouvez voir toute la région s’étendant de Jénine,
au nord de la Cisjordanie, jusqu’à la mer Méditerranée. Vous pouvez voir
à travers Marj Ibn Amr – la région fertile aussi connue sous le nom de
vallée de Jezreel –jusqu’à la ville de Haifa sur la côte.
Les villages et les villes qui étaient là avant 1948 ont été balayés
au cours de la Nakba – le nettoyage ethnique de la Palestine par les
milices sionistes. Nombre de personnes qui y habitaient ont été
conduites dans cette zone et elles pouvaient voir de la colline comment
leurs maisons et leurs champs étaient transformés en colonies juives et
en « forêts » du Fond national juif .
La connexion entre ce que vous voyez depuis la colline et les
horreurs d’avril 2002 est claire. C’est pourtant un autre rappel de ce
que le regretté universitaire Patrick Wolfe a si bien expliqué en
remarquant que le colonialisme est une structure, pas un événement.
Dans le cas du sionisme, c’est une structure de déplacement et de
remplacement, ou pour paraphraser les mots d’Edward Said, une
substitution de la présence avec de l’absence. Ceci a commencé en 1882
avec les premières colonies sionistes, a atteint un certain pic en 1948,
a continué avec véhémence en 1967 et c’est encore fort et bien vivant
aujourd’hui.
La tentative de briser la résistance au déplacement est ce qui est arrivé à ce camp il y a 15 ans.
Des portraits des martyrs, de 2002 et des années suivantes, couvrent
les murs et les rues. Au-dessous sont assis un grand nombre de jeunes au
chômage — le camp de réfugiés de Jénine a l’un des taux de chômage les
plus élevés des camps de Cisjordanie.
En leur parlant, il est clair qu’ils sont déterminés à ne pas
succomber au désespoir ou à l’apathie. L’éducation offerte par
l’université ouverte d’Al-Quds est une manière de faire face à la vie
dans le camp, sous l’oppression. Mais la résistance est une option.
Après tout, ceci est la zone d’où a surgi l’effort anti-colonialiste
palestinien le plus important au début des années 1930 : la rébellion
menée par Izz al-Din al-Qassam.
Il est symbolique qu’au cours de cette visite, j’ai rencontré son
petit-fils, Ahmad. Nous avons brièvement parlé de la manière dont
l’image historique de son grand-père est déformée par quiconque le
compare aux prétendus jihadistes actuels. Il était loin d’en être un.
Si les Britanniques ne l’avaient pas tué en 1935, il serait devenu le
Che Guevara palestinien. C’était un chef anti-colonialiste
charismatique opérant au milieu de gens qui étaient les premières
victimes du sionisme dans les années 1930 — les paysans et les métayers
déplacés, chassés de terres qu’ils avaient cultivées pendant des
siècles.
Une patrie
La géographie et la topographie du camp vous disent quelque chose d’autre : la solution à deux états est une idée absurde.
Le camp est situé près du checkpoint Salem entre la Cisjordanie et
l’actuel Israël. La route de Jénine à Haïfa en voiture par ce point de
passage me prenait 20 minutes les années précédentes.
Avant que les accords d’Oslo ne soient signés entre Israël et
l’Organisation de libération de la Palestine en 1993, le mouvement des
personnes et le commerce étaient libres dans cette partie de la
Palestine septentrionale, qui jusqu’en 1948 était administrée comme une
seule région.
Même après la signature de l’accord —quand le checkpoint de Salem
était l’unique sortie de Jénine vers le monde— il était évident que la
région toute entière faisait partie de la même patrie.
Les architectes d’Oslo ont souhaité casser cette intégrité
historique, culturelle et économique et fermer le point de passage,
obligeant les gens à utiliser le checkpoint de Jalameh au nord. Cela a
transformé un trajet court en un trajet très long, pendant que Salem
devenait une cour militaire où, jusqu’à aujourd’hui, les Palestiniens
sont envoyés en prison, sans procès, ou avec des simulacres de procès.
Oslo était supposé résoudre l’éternel problème sioniste : comment
avoir le territoire sans les gens. La « solution » était de confiner les
Palestiniens dans des enclaves tout en contrôlant leur espace et en
usant de la force brute, comme les Israéliens ont fait à Jénine en avril
2002, chaque fois que les gens en avaient assez, demandaient des
changements ou ripostaient.
Ce projet sioniste colonial continue, mais il sera combattu dans le
pays d’Izz al-Din al-Qassam et dans un camp où les gens n’oublient pas,
et ont peu à perdre.
Ilan Pappe, auteur de nombreux livres, est professeur d’histoire
et directeur du Centre européen d’études palestiniennes à l’université
d’Exeter.
Photo : Des femmes retournant aux ruines de leurs maisons dans le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie occupée, après le retrait des forces israéliennes qui avaient attaqué le camp presque deux semaines plus tôt, le 18 avril 2002. Kael Alford KRT/Newscom.
Source : Electronic Intifada
Agence Media Palestine
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