L’ancien premier ministre (juif) britannique Benjamin
Disraeli (1804-1881) aurait affirmé qu’il distinguait trois sortes de
mensonges, par ordre de gravité : les mensonges ordinaires, les “foutus mensonges”
et les statistiques [1]. Celles que publie le gouvernement israélien
méritent d’être classées dans une catégorie bien à elles, largement plus
pourrie que toutes les autres.
Comme chaque année à pareille époque, le bureau officiel des statistiques israélien publie une synthèse des dernières données relatives à la population
et au développement économique, juste avant le jour où Israël va
célébrer l’anniversaire de sa déclaration d’indépendance en mai 1948. Et
plus que jamais, ce qui est supposé être un austère recueil de données
est en fait un document de propagande dans lequel la manipulation et le
déni de la réalité pulvérisent les limites du ridicule.
Mais si les contorsions des statisticiens israéliens sont absolument
grotesques, elles ont le mérite de trahir le parti-pris fondamentalement
raciste qui imprègne la vision sioniste de la réalité.
Selon leurs données, la population israélienne atteint 8,68 millions
d’individus, dont 74,7% de Juifs, 20,8% d’Arabes et 4,5% d’“autres” (pour la plupart des chrétiens qui ne sont pas Arabes).
On pourrait relever qu’avec une telle supériorité numérique il est
cocasse d’entendre sans cesse les ministres israéliens et leurs
propagandistes pour qui toute manifestation de contestation, toute œuvre
littéraire, théâtrale ou cinématographique ou même tout commentaire
sur Facebook “sape le caractère juif de l’État”. Avec une
majorité aussi écrasante (dans tous les sens qu’on puisse donner
au terme) que 74,7% de la population, de quoi ont-ils peur ? N’est-ce
pas l’éclatante manifestation que le pari du sionisme été gagné ?
L’ennui,
c’est que les chiffres du très officiel Bureau central des statistiques
sont à la fois imprécis et pleins de biais qui constituent autant de
manipulations gorgées de calculs politiques et
d’idéologie colonialiste.
On remarque en premier lieu que les cartes qui illustrent le document
ne font pas la moindre distinction entre le territoire d’Israël et les
territoires palestiniens occupés. (Visuel en tête d'article)
Mieux : la représentation du territoire israélien englobe le Golan,
la Cisjordanie et Gaza (que pourtant Israël affirme ne plus occuper, ses
ministres le répètent sur tous les tons en dépit de l’évidence).
Pas le plus ténu pointillé pour marquer la “ligne verte”, aucune trace cartographique des dispositions des “accords d’Oslo” : ce que représente le Bureau des statistiques israélien, c’est la “solution à un État d’apartheid”.
Mais les données chiffres qui accompagnent les cartes les contredisent : la superficie du territoire qui est indiquée est de 22.072 kilomètres carrés… chiffre qui n’inclut pas la Cisjordanie ni Gaza.
Quant
aux données de la population, le Bureau des statistiques compte les
Juifs qui vivent dans tous les territoires qui sont sous le contrôle
d’Israël, entre la rive de la Méditerranée et le Jourdain et le plateau
du Golan. Mais s’agissant des Arabes (les 20,8%), il ne compte que ceux
qui vivent à l’intérieur des frontières israéliennes d’avant 1967,
plus Jérusalem-Est et le Golan (qui ont été annexés unilatéralement par
Israël). Les millions de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza n’existent tout simplement pas.
Concrètement, cela signifie par exemple qu’en ce qui concerne la population de la ville de Hébron
les quelques 550 colons juifs sont comptabilisés comme “résidents
d’Israël” tandis que les ±190.000 Palestiniens ont mystérieusement
disparu on ne sait où.
Quant aux quelques centaines de colons juifs installés dans cette
ville, c’est l’inverse : ils sont comptés mais le territoire dans lequel
ils vivent ne fait pas partie des 22.072 kilomètres carrés affichés
dans les tableaux de chiffres. Non seulement ils croient que la terre
palestinienne leur a été donnés par Dieu, mais apparemment elle se situe
quelque part dans les cieux… Au paradis des statisticiens
propagandistes ou des propagandistes statisticiens ?
L’explication de l’incohérence des chiffres de population ne
réside évidemment pas dans un manque de données disponibles : la
démographie étant une véritable obsession pour les dirigeants
israéliens, c’est Israël qui contrôle les registres de la population de
l’Autorité Palestinienne de Ramallah en Cisjordanie et même à Gaza. Les
autorités israéliennes sont immédiatement au courant de chaque
naissance, chaque mariage, chaque divorce, de chaque expatriation
temporaire ou définitive, chaque décès (dans ce dernier cas d’autant
plus sûrement qu’elles en sont souvent la cause).
Dans le domaine économique aussi toutes les données voulues sont
disponibles pour avoir des statistiques complètes, puisque c’est la
monnaie israélienne qui est utilisée partout et que toutes les
frontières, terrestres, maritimes et aériennes sont sous contrôle
israélien exclusif.
C’est donc bien d’une volonté délibérée qu’il s’agit : les chiffres
complets ne peuvent pas être publiés parce qu’alors la majorité juive
serait singulièrement réduite, voire disparaîtrait purement et
simplement. La condition d’existence statistique de “l’État juif” c’est l’apartheid.
La distorsion des chiffres n’est pas une nouveauté. Le Bureau central
des statistiques inclut les colons dans les “résidents d’Israël” depuis
1972. Depuis lors, tous les statisticiens officiels se sont conformés à
la doctrine qui veut que les Juifs et les Arabes soient comptés selon
des méthodes différentes, et cela alors que la loi qui a institué le
Bureau central leur impose théoriquement de travailler “en conformité avec les considérations scientifiques”.
Le sionisme est donc aussi une science. Celle de la tromperie, qu’évoquait Benjamin Disraeli.
[1] il existe plusieurs versions de la citation, dont l’esprit est constant : “le mensonge, le parjure et la statistique”, ou encore “le mensonge ordinaire, le mensonge carabiné et les statistiques”.
Il y a d’autres articles du site concernant les problèmes liés à la démographie ICI
voir en particulier : «La hantise de la mise en minorité des juifs entre Jourdain et Méditerranée : ne vous tracassez plus, c’est fait !» (sept. 2013)
voir en particulier : «La hantise de la mise en minorité des juifs entre Jourdain et Méditerranée : ne vous tracassez plus, c’est fait !» (sept. 2013)
Pour la Palestine
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