À Riyad, Trump ne pouvait pas mentionner l’origine de la plupart des
pirates de l’air du 11 septembre ou quelle culte ou croyance sunnite
était l’inspiration de Daech, ni quel pays coupait les têtes avec le
même engouement que Daech. (Réponse : l’Arabie Saoudite).
Et quand il est arrivé en Israël lundi, Trump a été confronté à un
nouveau protocole de censure : ne mentionnez pas qui occupait les
propriétés de qui en Cisjordanie ou quel pays volait scandaleusement et
incessamment des terres – légalement détenues par des Arabes – pour les
Juifs et les Juifs seulement. (Réponse : Israël).
Donc bingo, dans la plus grande alliance du Moyen-Orient jamais
créée dans l’histoire, les Saoudiens, les autres dictateurs arabes
sunnites, le Président américain fêlé et le cynique Premier ministre
israélien sont tous d’accord sur l’identité du pays diabolique qu’ils
peuvent tous maudire d’une seule voix, qui a inspiré la « terreur
mondiale », instigateur de l’instabilité du Moyen-Orient, la plus grande
menace pour la paix mondiale : l’Iran chiite.
Donc quelques minutes après l’atterrissage à l’aéroport de Tel-Aviv,
dont une partie des pistes se trouve de fait sur des terres possédées
légalement par des Arabes palestiniens il y a 60 ans –, les rédacteurs
de discours de Trump (parce que Trump ne peut certainement pas écrire
ça) ont encore une fois débité leur haine de l’Iran, du « terrorisme »
de l’Iran, des complots de l’Iran, du désir continu de l’Iran de
construire une bombe nucléaire. Et tout cela alors que l’Iran vient de
réélire un Président sain d’esprit qui a de fait signé l’accord
nucléaire il y a deux ans, ce qui a considérablement réduit la menace
stratégique que représente l’Iran pour Israël, les Arabes et l’Amérique.
« Il ne faut jamais permettre à l’Iran de posséder une arme nucléaire
», a déclaré le Commandant en chef des États-Unis. L’Iran « doit cesser
son financement, sa formation et son équipement mortels [sic] de
terroristes et de milices ». Un martien qui aurait également atterri à
Tel-Aviv en même temps conclurait sans doute que l’Iran était le
créateur de Daech et qu’Israël était déjà en train de bombarder les
cultistes cruels et violents du califat islamique. Et les martiens –
sûrement plus intelligents que le Président des États-Unis – seraient
donc vraiment abasourdis de découvrir qu’Israël a bombardé les Iraniens
et les Syriens et leurs milices, mais n’a jamais bombardé Daech – pas
une seule fois.
Pas étonnant que Trump ait essayé de s’en tenir à son script préparé.
Sinon, il aurait pu faire quelque chose de sain d’esprit. Comme
féliciter le nouveau Président de l’Iran pour sa victoire électorale et
pour sa promesse de respecter l’accord nucléaire ; comme exiger la fin
de l’occupation israélienne et de la colonisation israélienne des terres
arabes ; comme dire aux dictateurs et princes du monde arabe vieux et
croulants que la seule façon de se débarrasser – et de débarrasser
l’Amérique – de la « terreur » est de traiter leurs peuples avec dignité
et de préserver leurs droits de l’homme. Mais non, c’est trop sensible,
trop juste et trop moral, et bien trop compliqué, pour un homme qui,
depuis longtemps, a perdu pied avec la réalité et est entré dans le
monde de Twitter. Et il parlait donc du « deal ultime » entre Israël et
les Palestiniens – comme si la paix n’était qu’une marchandise à acheter
ou à vendre. Tout comme le marché qu’il venait de conclure en Arabie
Saoudite : des armes contre du pétrole et des dollars.
Mais ensuite, assis à côté de Netanyahu, l’homme est sorti du script.
Au soulagement de tous, il est revenu sur les horreurs de l’accord
nucléaire avec l’Iran, l’accord qui était « incroyable », une chose «
terrible » dans laquelle s’étaient fourrés les États-Unis. « Nous leur
avons donné une bouée de sauvetage – et nous leur avons également donné
la possibilité de continuer la terreur ». La menace de l’Iran, a-t-il
dit à Netanyahu, « a forcé les gens [sic] à s’unir d’une manière très
positive ».
C’était vraiment « incroyable ». Trump, dans son innocence étrange,
croit que le désir du monde musulman sunnite de détruire les l’Iran
chiite et ses alliés est la clé de la paix israélo-arabe. Peut-être que
c’est ce qu’il voulait dire, s’il voulait dire quoi que ce soit, quand
il a déclaré que sa visite marquait « une occasion rare d’apporter la
sécurité et la paix à cette région, à son peuple, de vaincre le
terrorisme et de créer de l’harmonie et de la paix futures » (ce passage
était dans le script, en passant, dans ce qu’il a appelé « cette terre
ancienne et sacrée »). Il parlait d’Israël, mais il a utilisé la même
phrase pour l’Arabie saoudite et le fera sans aucun doute à propos de la
Suisse, du Lesotho, ou, pourquoi pas, de la Corée du Nord si cela lui
apportait un quelconque bénéfice. Ou de l’Iran, d’ailleurs.
Qui sait si Trump va pouvoir faire face aux questions de la
colonisation juive, du vol de terre et du petit dictateur palestinien
lorsqu’il rencontrera Mahmoud Abbas mardi. Ou des droits de l’homme. Ou
de la justice. Son discours au musée d’Israël sera phénoménal s’il sort
du script. Mais les paris sont fermés sur le contenu : l’unité des
Arabes sunnites dans la haine de l’Iran chiite (il laissera
gracieusement les termes « sunnites » et « chiites » de côté pour ne pas
trahir son jeu), les relations plus étroites entre les dictateurs du
Golfe et leurs princes avec Israël-qui-accapare-les-terres, la nécessité
pour les Palestiniens de mettre fin à la « terreur » contre leurs
occupants (le mot « occupant » doit également être laissé de côté, bien
sûr), et l’amour éternel, sans fin et sacré de l’Amérique pour Israël,
quoi qu’ils fassent et en toutes circonstances, et quelles que soient
les conséquences.
Dimanche, CNN a fait les titres avec le terme de « réinitialisation »
avec les Arabes. Lundi, la BBC a titré une « réinitialisation » avec
Israël. Ce qu’ils voulaient tous les deux dire, mais n’osaient pas
exprimer, est que Trump pense qu’il peut amener les Arabes et Israël à
détruire le pouvoir de l’Iran après les horribles années morales
d’Obama.
Cela signifie « la guerre », de préférence entre musulmans. Le «
deal ultime », en effet.
Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.
Photo : Novembre 2012 - Ahmad Abu Daqqa, âgé de treize ans, est pleuré lors de
ses funérailles à Abbassan al-Kabira, à l'est de Khan Younis, dans le
sud de la bande de Gaza. Le garçon a été touché par une balle dans le
ventre tirée par un soldat israélien alors qu'il jouait au football à
l'extérieur de sa maison - Photo : Anne Paq/ActiveStills
23 mai 2017 – The Independent – Traduction : Sayed Hassan
Chronique de Palestine
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