Depuis les résultats du 1er tour, la ligne officielle du régime est
claire : tous avec Macron contre le FN. Gare à quiconque oserait en
dévier. Ou même seulement se poser des questions.
Depuis
dimanche, une extraordinaire machine à culpabiliser, stigmatiser,
amalgamer s'est mise En Marche. Hésiter à voter Macron, c'est être
frontiste, c'est être fasciste. Allez, c'est être Nazi tant qu'on y est.
Rien n'est trop exagéré pour satisfaire sa bienpensance républicaine.
L'entre-deux
tours s'est transformé en un fantastique, un gigantesque point Godwin.
Le point Godwin, ce moment où, à court d'arguments, on évoque "les
heures les plus sombres de l'Histoire", "les panzers aux portes de
Paris" et "le ventre de la bête immonde", même quand il s'agit de
remplir un simple constat amiable à l'occasion d'un accrochage de
circulation. Le point Godwin : le plus court chemin entre la pensée et
l'anathème inquisitorial.
Mais ouf, on se sent mieux, depuis dimanche le monde est plus simple. Avant, il y avait trop de candidats, c'était difficile.
Mais
ouf, on se sent mieux, depuis dimanche le monde est plus simple. Avant,
il y avait trop de candidats, c'était difficile, on a trop réfléchi.
Maintenant, c'est bon, plus besoin de se faire des nœuds au cerveau: il y
a les gentils et les méchants, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut
pas faire. C'est facile.
Du coup, les électeurs de Mélenchon n'ont pas le droit d'hésiter; Pierre-Emmanuel Barré n'a pas le droit de faire une chronique sur l'abstention et quand Emmanuel Macron se plante lamentablement à Whirlpool, on peut lire un peu partout qu'il "reprend la main".
Condamnations,
excommunications, censures, contre-vérités médiatiques. Effectivement,
le fond de l'air est frais. Il était déjà mal vu d'être abstentionniste
avant le 1er tour. C'est maintenant carrément interdit. On connaît la
chanson: c'est "faire le jeu du FN". Non, s'abstenir ce n'est pas faire le jeu du FN.
Alors
disons-le clairement, au risque d'être cloué au pilori : non, s'abstenir
ce n'est pas faire le jeu du FN. Depuis 2002, il est arrivé que les
scores électoraux du FN fléchissent alors même que l'abstention était
forte. Ce qui prouve qu'il n'y a pas de corrélation mécanique.
Dire
que s'abstenir c'est faire le jeu du FN, c'est aussi grandement
préjuger de ce que feraient les millions d'abstentionnistes si on les
obligeait à voter. Il est fort à parier qu'un certain nombre d'entre-eux
pourrait être tenté par le vote FN. D'autant plus sûrement que, comme
le vote FN, la démarche de l'abstention est celle d'une contestation,
d'une protestation. L'abstention structurelle ne fait pas le jeu du FN,
elle est au contraire un immense bassin de rétention contre le FN.
C'est pourquoi il faut opposer à la stratégie du "vote utile" une stratégie de "l'abstention utile".
La stratégie
du vote utile nous mène droit dans le mur, c'est-à-dire droit à la
victoire du FN. Parce que c'est justement l'instrumentalisation de la
peur du FN qui conduit les partis dits républicains à s'exonérer de
réellement réformer nos institutions. Et c'est justement de cet
immobilisme que se nourrit structurellement le FN. La stratégie du vote
utile doit voler en éclat pour que les forces politiques non-extrêmes
comprennent qu'il faut démocratiser notre système.
La stratégie du vote utile nous mène droit dans le mur, droit à la victoire du FN.
C'est
tout l'enjeu de l'abstention utile. Une abstention active, consciente
d'elle-même, qui tente de se structurer pour devenir un groupe de
pression. Si demain 1 million d'abstentionnistes déclarés disent : nous
sommes prêts à revenir aux urnes si vous vous engagez, par exemple, à
reconnaître le vote blanc, c'est le visage de notre démocratie qui
change. Parce que cela peut rééquilibrer le rapport de force entre
l'offre et la demande politique, entre les partis et les citoyens.
Il
faut s'adresser directement aux électeurs du FN pour renouer le
dialogue. Parce que si on ne le fait pas, on a vraiment perdu la
bataille contre le FN. Renouer le dialogue pour clairement tenter de
convaincre que, pour contester et protester, pour faire la "quenelle" au
système, il vaut mieux s'abstenir, en demandant des réformes
institutionnelles, que voter FN!
Si 1 million d'abstentionnistes disent : nous sommes prêts à revenir aux urnes si vous vous engagez à reconnaître le vote blanc, c'est le visage de notre démocratie qui change.
C'est pourquoi,
même dans la situation actuelle, celle du match Macron/Le Pen, il y a
bien une abstention légitime. Il est légitime de s'abstenir quand on a
voté FN. Et il est aussi légitime de s'abstenir quand on a voté
Mélenchon ou que l'on s'est abstenu au 1er tour parce qu'alors on a
pleinement conscience que le choix qui nous est proposé est illusoire.
Le véritable choix, compte-tenu du danger représenté par la stratégie du
vote utile et en l'absence de réforme institutionnelle, c'est le FN
aujourd'hui ou le FN dans 5 ans.
Huffingtonpost
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