mardi 2 mai 2017

La chasse aux sorcières contre les abstentionnistes est ouverte

Antoine Buéno      

Depuis les résultats du 1er tour, la ligne officielle du régime est claire : tous avec Macron contre le FN. Gare à quiconque oserait en dévier. Ou même seulement se poser des questions.

Depuis dimanche, une extraordinaire machine à culpabiliser, stigmatiser, amalgamer s'est mise En Marche. Hésiter à voter Macron, c'est être frontiste, c'est être fasciste. Allez, c'est être Nazi tant qu'on y est. Rien n'est trop exagéré pour satisfaire sa bienpensance républicaine.
L'entre-deux tours s'est transformé en un fantastique, un gigantesque point Godwin. Le point Godwin, ce moment où, à court d'arguments, on évoque "les heures les plus sombres de l'Histoire", "les panzers aux portes de Paris" et "le ventre de la bête immonde", même quand il s'agit de remplir un simple constat amiable à l'occasion d'un accrochage de circulation. Le point Godwin : le plus court chemin entre la pensée et l'anathème inquisitorial.
Mais ouf, on se sent mieux, depuis dimanche le monde est plus simple. Avant, il y avait trop de candidats, c'était difficile.
Mais ouf, on se sent mieux, depuis dimanche le monde est plus simple. Avant, il y avait trop de candidats, c'était difficile, on a trop réfléchi. Maintenant, c'est bon, plus besoin de se faire des nœuds au cerveau: il y a les gentils et les méchants, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. C'est facile.
Du coup, les électeurs de Mélenchon n'ont pas le droit d'hésiter; Pierre-Emmanuel Barré n'a pas le droit de faire une chronique sur l'abstention et quand Emmanuel Macron se plante lamentablement à Whirlpool, on peut lire un peu partout qu'il "reprend la main".
Condamnations, excommunications, censures, contre-vérités médiatiques. Effectivement, le fond de l'air est frais. Il était déjà mal vu d'être abstentionniste avant le 1er tour. C'est maintenant carrément interdit. On connaît la chanson: c'est "faire le jeu du FN". Non, s'abstenir ce n'est pas faire le jeu du FN.
Alors disons-le clairement, au risque d'être cloué au pilori : non, s'abstenir ce n'est pas faire le jeu du FN. Depuis 2002, il est arrivé que les scores électoraux du FN fléchissent alors même que l'abstention était forte. Ce qui prouve qu'il n'y a pas de corrélation mécanique.
Dire que s'abstenir c'est faire le jeu du FN, c'est aussi grandement préjuger de ce que feraient les millions d'abstentionnistes si on les obligeait à voter. Il est fort à parier qu'un certain nombre d'entre-eux pourrait être tenté par le vote FN. D'autant plus sûrement que, comme le vote FN, la démarche de l'abstention est celle d'une contestation, d'une protestation. L'abstention structurelle ne fait pas le jeu du FN, elle est au contraire un immense bassin de rétention contre le FN.
C'est pourquoi il faut opposer à la stratégie du "vote utile" une stratégie de "l'abstention utile".
La stratégie du vote utile nous mène droit dans le mur, c'est-à-dire droit à la victoire du FN. Parce que c'est justement l'instrumentalisation de la peur du FN qui conduit les partis dits républicains à s'exonérer de réellement réformer nos institutions. Et c'est justement de cet immobilisme que se nourrit structurellement le FN. La stratégie du vote utile doit voler en éclat pour que les forces politiques non-extrêmes comprennent qu'il faut démocratiser notre système.
La stratégie du vote utile nous mène droit dans le mur, droit à la victoire du FN.
C'est tout l'enjeu de l'abstention utile. Une abstention active, consciente d'elle-même, qui tente de se structurer pour devenir un groupe de pression. Si demain 1 million d'abstentionnistes déclarés disent : nous sommes prêts à revenir aux urnes si vous vous engagez, par exemple, à reconnaître le vote blanc, c'est le visage de notre démocratie qui change. Parce que cela peut rééquilibrer le rapport de force entre l'offre et la demande politique, entre les partis et les citoyens.
Il faut s'adresser directement aux électeurs du FN pour renouer le dialogue. Parce que si on ne le fait pas, on a vraiment perdu la bataille contre le FN. Renouer le dialogue pour clairement tenter de convaincre que, pour contester et protester, pour faire la "quenelle" au système, il vaut mieux s'abstenir, en demandant des réformes institutionnelles, que voter FN!
Si 1 million d'abstentionnistes disent : nous sommes prêts à revenir aux urnes si vous vous engagez à reconnaître le vote blanc, c'est le visage de notre démocratie qui change.
C'est pourquoi, même dans la situation actuelle, celle du match Macron/Le Pen, il y a bien une abstention légitime. Il est légitime de s'abstenir quand on a voté FN. Et il est aussi légitime de s'abstenir quand on a voté Mélenchon ou que l'on s'est abstenu au 1er tour parce qu'alors on a pleinement conscience que le choix qui nous est proposé est illusoire. 

Le véritable choix, compte-tenu du danger représenté par la stratégie du vote utile et en l'absence de réforme institutionnelle, c'est le FN aujourd'hui ou le FN dans 5 ans.

Huffingtonpost

Aucun commentaire: