jeudi 11 mai 2017

La poissonnière et le financier

Olivier Cabanel     

En cette fin de campagne, les fabulistes nous manquent.
Ils savent prendre du recul, et jeter un autre regard sur cette campagne présidentielle si brutale, si pestilentielle, en la colorant d’un peu d’humour et d’amour.

Ce bon De La Fontaine aimait user de la métaphore animale pour démasquer les travers humains, et, en ces temps où il ne faisait pas bon de s’en prendre aux puissants, il proposait les fables pour les décrypter, voire les critiquer.
L’une des plus osée est peut-être "l’homme et la couleuvre", dans laquelle il narre la triste fin du reptile, capturé par un homme, qui, sans la moindre raison, lui ôtera la vie en le fracassant contre un mur, avec en guise de conclusion cette chute courageuse et lucide : « on en use ainsi chez les grands : la raison les offense ; ils se mettent en tête que tout est né pour eux, quadrupèdes et gens, et serpents. Si quelqu’un desserre les dents, c’est un sot, j’en conviens, mais que faut-il donc faire ? Parler de loin, ou bien se taire ?  »
Les fables refont surface par ces temps présidentiels, et Anne Roumanoff a tiré la 1ère en écrivant une fable singulière : sur l’air de « on voit toujours les mêmes, il faut changer de système », elle met en scène un hibou taciturne, aux sourcils bien fournis, un oiseau rêveur, de la famille des Hamon, et un bouledogue insoumis... puis surgit une louve déguisée en brebis, fille d’un loup borgne, qui avait échoué dans sa volonté de prendre le pouvoir, et un renard qui se faisait passer pour un agneau gentil.
Pour la découvrir entièrement, voici sur ce lien
Séduit par cette approche, à mon tour, je me suis lancé dans l’exercice, et j’ai commis cette modeste fable : « la poissonnière et le financier  ».
Une ample poissonnière, aux allures de matrone
trônait majestueuse derrière son étal.
Vulgaire et populiste, elle harangue le chaland
et vante ses merlus, ses sardines, ses harengs,
« Ils sont frais mes poissons », hurle-t-elle à la ronde,
alors qu’à l’évidence, ils ne l’étaient pas tous.
Des mouches tournoyaient, attirées par l’odeur
et les rares clients qui s’en venaient par là
repartaient aussitôt, comprenant leur erreur.
Alors la poissonnière changea de stratégie,
et parsema son stand de fougères et d’algues
pendant qu’un ventilo dispersait un parfum
iodé et délicat, aux effluves de marine.
Le chaland est séduit, ouvre son portefeuille
et tombe dans le piège tendu par la « poissonne ».
Après avoir mangé les poissons achetés,
il tombera malade, les organes abimés
songeant, mais bien trop tard,
qu’on ne l’y prendrait plus.
À quelques enjambées, siégeait un financier,
Il tenait dans ses mains les destins d’une banque dont le but avoué était de s’enrichir.
L’argent n’a pas d’odeur, au contraire du poisson
Mais pourtant il fait peur, le client se fait rare.
Non pas qu’il soit frileux, ou prudent ou avare,
mais il est méfiant, le doute l’accapare.
certains, dans ce milieu, évoquent une crise...
Alors notre banquier va faire des promesses,
dispensant au client, sourires et largesses.
Le client est séduit, dépose son magot,
sans douter un instant qu’il est pris pour ballot.
La crise qui s’en vint transforma en poussière
ses lingots, ses billets, ses bijoux et ses pierres.
La banque a fait faillite, tout le monde a perdu,
sauf le banquier bien sur...
Les pieds en éventail, dans un lieu monacal,
il se dore au soleil d’un paradis fiscal.
Le lecteur attentif qui s’interrogerait
du lien qui unirait poissonnière et banquier,
a déjà la réponse :
qu’ils vendent du poisson, de l’or ou de l’argent, les férus de puissance en sont arrivés là.
Ils veulent le pouvoir et pour y parvenir,
tous les moyens sont bons pour enfin l’emporter...a l’opposé des fables, ils n’ont pas de morale.
Jacques Chirac ne disait-il pas : « les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui y croient  », même si cette phrase est aussi attribuée à Charles Pasqua. lien
Ceci dit, le nouveau Roi de France s’appelle Macron 1er, mais il ne devrait pas trop se réjouir, car, tout compte fait, seulement 43,6% des inscrits ont voté pour lui, et 42% de ceux-ci affirment avoir voté pour lui, afin de faire barrage au FN, ce qui est loin de lui donner une légitimité. lien
Si on pousse le raisonnement un peu plus loin, sachant que seulement 66% des français ont voté, que Macron a recueilli 66% de ces voix, et que les médias assurent que seulement 42% de ces voix sont des votes d’adhésion, finalement, le nouveau président ne peut revendiquer que 18% de voix pour lui.
En effet, si l’on ajoute aux abstentions, les votes blancs ou nuls, on atteint un total de près de 15 millions d’électeurs...face aux 11 millions de voix que Macron avait obtenu au 1er tour, auxquels se sont ajoutés 9 millions de « barragistes »
Au second tour, (lien) la situation du nouvel élu pourrait s’avérer délicate, surtout si l’on se souvient que MLP avait tout de même récolté 7,6 millions de voix au 1er tour. lien
Jean Luc Mélenchon en avait récolté presque autant au 1er tour, et les législatives qui viennent pourraient bien contrecarrer les plans présidentiels.
Quant aux superstitieux, ils pourraient s’interroger sur le score final de Macron, 66%...qui n’est pas si éloigné d’un autre chiffre, celui du diable, d’autant qu’entre Mamon, ce démon qui nous pousse à posséder toujours plus de richesses (lien), et Macron, la différence n’est que de deux petites lettres...lien

Comme dit mon vieil ami africain : « Le présomptueux devient raisin sec avant d’avoir été raisin mur ».

agoravox.fr

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