Apparue aux États-Unis, cette pratique consiste à humilier les enfants
dont les parents n'ont pas payé les frais de cantine. En France, la loi
affirme le droit à accéder au restaurant scolaire, ce qui n'empêche pas
certaines dérives.
Le lunch shaming, traduit par « déjeuner dégradant », peut prendre
plusieurs formes, mais l'objectif est le même : stigmatiser les enfants
pour inciter les parents « mauvais payeurs » à rembourser les factures
de cantine. C'est en interdisant cette pratique que l'État du
Nouveau-Mexique l'a mise en lumière.
Le 13 avril dernier, la loi Hunger-Free Students' Bill of Rights est
signée par la gouverneure du Nouveau-Mexique (États-Unis), Susana
Martinez. Elle rend illégal le lunch shaming dans l'État.
Tampons sur les poignets des enfants
À l'initiative du texte, le sénateur Michael Padilla à lui même témoigné avoir été victime de ces pratiques. « Je devais m'occuper de laver le sol de la cantine. Tout le monde voyait que je faisais partie des enfants pauvres de l'école », a-t-il déclaré au Telegraph.
Il s'agit d'un cas parmi d'autres : pour punir la pauvreté,
l'imagination ne manque pas. On a pu voir fleurir sur Twitter de
nombreuses photos de tampons « I need lunch money » (« Je n'ai
pas d'argent pour manger ») sur les poignets des enfants ou des
bracelets permettant au personnel de cantine de les reconnaître. Dans ce
cas, pas de repas chaud pour eux, au mieux un sandwich au fromage,
décompté au même prix que le repas qui, lui, sera jeté.
'I need lunch money,' Alabama school stamps on child's arm https://t.co/ATVfNJtKPX pic.twitter.com/Jh13XY5wxr— AL.com (@aldotcom) 13 juin 2016
La loi du Nouveau-Mexique est une avancée significative mais, si elle
interdit les pratiques dégradantes, elle ne résout aucunement le
problème structurel du système américain : le déficit budgétaire.
En France, de nombreux textes législatifs rendent illégaux des
procédés comme le lunch shaming. Notamment la loi Ferry de 1881
établissant la gratuité absolue de l'école primaire, mais, plus
récemment, la loi Égalité et citoyenneté, adopté le 27 janvier 2016.
L'article 186 assure que l'inscription à la cantine scolaire est un droit sans distinction de situation des enfants et de leurs parents.
« Il s'agit d'une grande avancée à nos yeux, explique Liliana Moyano, présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves. Cette
loi permet d'établir un cadre qui dit les choses, qui à la fois protège
l'élu local et affirme le droit à l’accès à la cantine scolaire. Mais
nous sommes bien conscients qu'il nous faudra être extrêmement vigilants
quant à son application. »
« Une méthode déplorable mais nécessaire »
Preuve en est, deux mois après l'adoption de la loi, la polémique des
« enfants raviolis » de la ville de La Teste-de-Buch, en Gironde, a
largement été médiatisée. La raison ? Le menu « de substitution »,
composé de raviolis en boîte, mis en place par la mairie (Les
Républicains) pour les enfants dont les parents étaient en retard sur le
paiement des frais. Face aux critiques des parents d'élèves,
Jean-Bernard Biehler, adjoint au maire en charge de l'éducation, a
expliqué que cette mesure n'était pas fréquente : elle n'aurait concerné
que cinq enfants après de nombreuses relances des parents par courrier.
« La méthode est certes déplorable mais nécessaire », expliquait-il.
D'autres enfants ont carrément été empêchés d'aller à la cantine.
Dans le XVe arrondissement de Paris, le maire Philippe Goujon (LR) avait
privé une vingtaine d'enfants de cantine en novembre 2016, au prétexte
qu'ils bénéficiaient déjà d'un repas dans le centre d'hébergement
d'urgence où ils vivaient. Un « doublon injustifié » selon l'élu.
Un choix politique
Dans les cas français, on constate que ce sont les maires qui sont à
l'initiative de ces mesures : avant 2017, chaque collectivité locale
était libre de mettre en place des conditions d’éligibilité à l'accès au
restaurant scolaire. On ne peut ignorer la dimension politique dont
relève ce choix. L'encre avait coulé lorsque, en 2014, la mairie (Front
national) du Pontet dans le Vaucluse avait supprimé la gratuité totale
de la cantine scolaire pour les enfants issus de familles démunies. Le
maire Joris Hébrard avait estimé qu'il fallait « responsabiliser les parents ».
Ce mot revient très – peut-être trop – souvent dans ce genre
d'affaires. Après la polémique à La Teste-de-Buch, le maire Jean-Jacques
Éroles a publié un communiqué sur sa page Facebook intitulé : « Oser la fraternité oui, oser les responsabilités aussi ». « Ce discours c'est un grand classique », affirme la présidente de la FCPE.
Il traduit cependant bien ce que ATD Quart monde a appelé la pauvrophobie, mettant un mot sur les discriminations pour précarité sociale.
politis.fr
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