Le vieux monde se meurt, mais le matin neuf n’est pas encore levé
Aviez-vous déjà noté que la vergogne, cette forme de pudeur et de
retenue vaguement craintive est un nom féminin, quand le scrupule,
originellement ce petit caillou pointu qui empêche d'avancer
sereinement, est masculin ? Et surtout, aviez-vous remarqué que cette
notion de vergogne n'existe plus de nos jours que dans sa locution
contraire, « sans vergogne »...
Cet entre-deux tours a été particulièrement violent et haineux. Il a
confirmé la disparition progressive de l'empathie, cette capacité à
envisager le point de vue de l'autre et sinon à l'accepter, du moins à
essayer de le comprendre. Il s'est principalement agi, des radios aux
plateaux télés et évidemment sur les inénarrables réseaux sociaux, de
monter sur ses ergots et de chanter le plus fort, comme des milliers de
coqs de feu – dont c'est hélas l'année.
Le sentiment de faillite politique est terrible
Un
candidat LR investi sur une image de rectitude morale, qui maintient sa
candidature le dos courbé d'affaires et de scandales. Deux candidats
qualifiés au second tour malgré les suspicions de détournements et de
conflits d'intérêts. Et ça n'a pas cessé de dégringoler dans l'abject et
l'absurde, je ne parle même pas du débat télé de cour de récré... Tous
noyés dans un océan de médiocrité.
Note : D'ailleurs puisqu'on parle de médiocrité, j'ai revu
Idiocratie – oui, autant boire la coupe jusqu'à la lie- et je n'avais
jamais remarqué à quel point le futur type le plus intelligent du monde
ressemble à François Ruffin, je ne sais quoi en penser.
Ce qui me mine le plus dans cette période, c'est ce que révèlent les
injonctions et l'absence de réflexion autonome, l'obligation faite à
chacun de crier le plus fort possible pour son camp. La sourde
inquiétude que la politique soit devenue une gigantesque réserve de
trolls.
Comme le disait un pote à Noël, navré de la mauvaise musique dont
quelqu'un avait monté le son : c'est pas parce que c'est plus fort que
c'est meilleur. Voilà. Nos ennemis peuvent toujours nous hurler dessus,
ce n'est certainement pas ce qui nous fera changer d'avis, et de notre
côté on n'est pas dans un concours de gauchistes, ça ne sert à rien de
s'égosiller pour prouver sa radicalité. On n'est pas dans un jeu télé,
on parle de réalités au quotidien pour des millions de gens et ça mérite
un peu de gravité, de réflexion et de silence avant de raconter
n'importe quoi. La colère n'est pas bonne conseillère. Et parfois je me
prends à me demander si c'est vraiment le FN qui s'est banalisé, ou les
gens qui se sont extrémisés. Moi qui rêvais de belle colère, c'est raté.
Après ce déluge, je crois de plus en plus que la sincérité politique
ne peut dissocier la forme du fond. Je me souviens de longues
discussions à ce sujet avec le philosophe Henri Pena-Ruiz il y a
quelques années, quand précisément la forme employée par certains,
l'insulte et le sectarisme érigés en arguments, m'étaient devenus
insupportables et desservaient nos idées. Je sais que nous sommes
nombreux à ne plus le supporter. J'ai fait des pas de côté, tenté de
diffuser et d'incarner un autre écho mêlant radicalité et aménité. De réintroduire en politique un peu de poésie, de contemplation, de silence et de raison.
Un peu de punkitude des mésanges aussi, parce qu'on n'est pas fait d'un seul bois et qu'il y a aussi une douce folie qui guide nos pas. ICI
La manière compte en politique
L'ignorer, c'est
jouer avec le feu et prendre le risque de créer de nouveaux monstres.
Ceux de Gramsci qui naissent du clair-obscur du vieux monde qui se meurt
quand le nouveau tarde à apparaître.
Car oui, le vieux monde se meurt. Cette élection présidentielle a
signé la fin du bipartisme, elle a vu grandir une force nouvelle avec la
France Insoumise, la pulvérisation du « front républicain », la montée
de l'abstention comme forme de revendication politique. Oui : le vieux
monde se meurt. Mais ne faisons pas table rase pour autant, car le matin
neuf n'est pas encore levé. Il nous appartient de l'aider à accélérer,
mais ne nous tirons pas une balle dans le pied en hurlant avec la meute
et en flinguant nos outils d'ici là. Car on a encore besoin de cohésion à
gauche, de liens avec les réseaux, de structures politiques, de
militants organisés et d'élus prêts à résister. Et on a besoin de
respect. Plus que jamais.
Et puis, on a encore besoin de principes
Ces lignes
rouges qui évitent de se poser une question complexe au moment où on y
est confronté. Parce que sur le coup on trouve toujours une bonne raison
de déroger. « Est-ce qu'il ne faut pas quand même accepter ce petit
pas, même si l'ensemble nous fait régresser ? » « Le FN oui je sais,
mais quand même, on ne va pas voter pour cet utra libéral là »
« Finalement cet amendement du FN à la Région, sur le fond il est pas si
mal, non ? »... Non. Parce qu'il n'est pas dissociable du projet
politique qui le sous-tend, que l'intention fait toute la différence et
que ça doit rentrer en ligne de compte, parce qu'on n'est pas hors-sol :
ni dans l'isoloir, ni à la Région. Marine le Pen aka la façade n'est pas dissociable des arrières-boutiques de la fachosphère et des anciens du Gud qui en dirigent le financement et la ligne.
Ni des groupes violents de Lyon qui mettent le feu à des librairies et
organisent des ratonnades de nuit en laissant des compagnons à nous sur
le trottoir ou à l'hosto. En politique on ne peut pas saucissonner, ni
se permettre d'errer. Les principes sont là pour nous en garder.
Las, les élections rendent fou.
Et ce n'est pas fini. Parce qu'aux législatives, tout va recommencer.
La possibilité de victoires et de contre-pouvoir, certes, mais aussi
les histoires de négociations, de division, les injonctions, les
triangulaires et le risque FN. Et franchement j'aimerais bien que ça se
passe différemment. Dans mon coin, la France Insoumise est arrivée en
tête, on a une chance historique
de battre Hervé Mariton et d'avoir un député aussi beau que la circo,
Didier Thévenieau. Didier fait partie des personnes avec qui je partage
mes combats politiques depuis des années. C'est un compagnon de route et
un ami auquel ma confiance et ma loyauté sont acquises, car fondées et
expérimentées. Pour moi ces législatives sont autant question de
victoire future que de dignité du présent : nous n'avons cessé avec
Didier de combattre les volontés d'hégémonie et de sectarisme, nous
avons toujours privilégié l'intérêt général, quitte parfois à nous
mettre en retrait ou en difficulté. Je ne peux croire que cela ne finira
pas un jour par être reconnu, et je ne me résigne pas à ce qu'on laisse
passer cette opportunité, enfin, après tant d'années à labourer le
terrain, d'en voir les graines germer. S'il existe un petit dieu des
justes de la politique, c'est le moment de te manifester.
Retrouvons un peu de décence. Un peu d'élégance...
En écho au chaos et au vacarme, je rêve de me réfugier dans la puissance
curative du silence, de la nature et de la littérature. J'aspire de
toutes mes forces au temps de l'Otium,
mais d'abord les législatives : je vais y mettre toute la rage de ma
dignité, comme on s'agrippe à une bouée pour ne pas se noyer. Pour ne
pas finir misanthrope. Pour pouvoir me dire que je m'étais trompée.
Les petits pois sont rouges
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