Quand j’étais petit et que le Seder de Pessah en
arrivait aux dix plaies, je me souviens exactement du
sentiment qui me submergeait. Je m’étranglais d’angoisse.
Je me rappelle avoir alors pensé aux enfants en
Égypte. À la question de pourquoi cette nuit était différente
de toutes les autres nuits, la réponse était que l’eau n’était
plus buvable.
Et tandis que les plaies se succédaient en
empirant, les punitions se faisant de plus en plus
terrifiantes, l’issue restait la même.
Les ténèbres s’étaient étendues partout. Puis les
enfants commençaient à mourir.
La semaine dernière, en parlant de ce que
Benjamin Netanyahou appelle « une affaire interne
palestinienne » - une demande de l’Autorité Palestinienne dans
le cadre de la campagne de l’AP pour saper le pouvoir du Hamas
à Gaza, le cabinet de sécurité du premier ministre a voté une
coupure significative de la quantité d’électricité vitale
qu’Israël fournit aux habitants de la bande de Gaza.
Le cabinet a agi ainsi sachant que cette étape
pouvait être un encouragement à l’escalade vers une guerre
avec le Hamas. Il l’a fait sachant que même si cette escalade
ne se produisait pas, l’Autorité de l’électricité de Gaza
avait averti que tout accroissement de la réduction de la
fourniture d’électricité à la bande de Gaza conduirait à un
désastre humanitaire.
Lundi, Israël a appuyé sur l’interrupteur de la
mort.
Pendant les jours les plus longs de l’année, dans
la chaleur étouffante de l’été à Gaza, avec encore des jours à
passer dans le jeûne de Ramadan du lever au coucher du soleil,
avec une fourniture d’électricité déjà gravement compromise
dans la bande de Gaza, avec des salles déjà fermées dans des
hôpitaux ainsi que des usines de désalinisation d’eau de mer
par manque d’énergie, avec des eaux usées coulant dans les
rues et entre les maisons, les coupures de lundi ont signifié
que les Gazaouis qui s’en sortaient déjà plus ou moins avec
seulement quatre heures d’électricité par jour, allaient avoir
45 minutes de plus sans électricité chaque jour.
C’est la chose la pire qu’est faite Israël de
toute cette année. Mardi cela a empiré.
La Corporation israélienne d’électricité a coupé le courant encore
davantage, a annoncé mardi l’autorité de l’électricité de
Gaza. Les nouvelles coupures n’ont laissé à la partie ouest de
la ville de Gaza et au nord de la bande que deux heures et
demie à trois heures d’électricité par jour.
Pour sa part, Israël a rejeté le blâme pour les
coupures sur l’Autorité Palestinienne. L’AP dit que le Hamas
en est responsable.
Mais chacun sait ceci : Israël a pris sa décision
seul. Il aurait pu dire non à l’AP. Israël a dit oui. Les
généraux à la tête de l’armée ont noté que la décision pouvait
déclencher une escalade (le Hamas a employé le terme
« d’explosion »), mais, selon les mots d’un représentant
officiel israélien, l’armée s’est prononcée contre
l’indulgence envers le Hamas. En tous cas, Yisraël Katz,
ministre d’État de la sécurité, a dit la semaine dernière à
propos des coupures d’électricité : « les intérêts israéliens
doivent être protégés avant tout ».
Voilà où nous en sommes. Voilà comment le
gouvernement considère sa propre base : des gens qui
valorisent la cruauté comme un but en soi. Des gens qui
croient que quel que soit le traitement, la privation d’eau,
d’électricité, d’hôpitaux qui fonctionnent – en laissant même
des centaines d’enfants mourir au cours de la guerre,
l’ensemble des 1,9 millions d’habitants de Gaza vont l’avoir.
Ce gouvernement voit sa propre base comme des
racistes impitoyables au sang chaud. Et il agit conformément à
cela. Il veut que nous sachions que le doigt d’Israël sur le
bouton est le medium. Il se voit comme le gouvernement de la
racaille, par la racaille, pour la racaille.
La réduction d’électricité a son origine dans une
lutte féroce entre l’Autorité Palestinienne et les dirigeants
Hamas de Gaza. Elle survient à un moment où l’AP, qui a fait
pression sur Israël pour que celui-ci fasse des coupures dans
la fourniture de courant électrique, a aussi taillé de façon
dramatique dans les paiements vitaux au système de santé de
Gaza.
La conséquence, selon des données réunies par
Médecins pour les Droits Humains-Israël et le ministère
palestinien de la santé, le manque d’équipement et de
médicaments, aggravé par la pénurie d’électricité, affecte
gravement toute une série de Gazaouis en situation médicale
préoccupante.
Parmi eux se trouvent 321 patients atteints de
fibrose kystique, dont la plupart sont des enfants et pour
lesquels les ventilateurs ont été arrêtés par la crise de
l’électricité tandis que les antibiotiques et autres
médications sont en quantité limitée, voire indisponibles.
Le manque de médicaments et d’autres biens vitaux
compromettent aussi, selon ce qui se dit, le traitement de
centaines de patients et aussi de 240 bébés souffrant de
problèmes de croissance.
Si tout cela ne suffisait pas, il y a de forts
indices que la pollution grave de l’eau résultant de l’absence
de traitement des eaux usées qui se déversent dans la
Méditerranée, va bientôt salir l’eau d’Ashkelon et d’autres
lieux en Israël, ce qui pourrait causer une explosion de
maladies à Gaza et en Israël.
« Dès qu’il y a une coupure de courant à Gaza, le
système d’assainissement s’arrête », a averti jeudi Yossi
Inbar, l’ancien directeur général du ministère israélien de la
protection de l’environnement, « et les eaux usées qui
s’écoulent dans la mer se déplaceront vers le nord du fait que
le sens du courant va du sud vers le nord ».
« Au-delà du fait que l’eau va être polluée et
que nous ne pourrons plus nager, il est aussi probable que
l’usine de désalinisation (de la région d’Ashkelon) proche de
la frontière soit arrêtée », a déclaré Inbar à la radio de
l’armée, argumentant
contre la coupure de coutant. « Il peut aussi y avoir une
pollution de l’eau souterraine, une accumulation d’ordures
dans les rues ou des « lacs » d’un genre ou d’un autre,
susceptibles de créer des dangers liés aux moustiques et
autres nuisances, et
donc une explosion de maladies. »
La frontière entre Gaza et Israël est virtuelle,
elle n’a pas de sens s’agissant de la mer, a poursuivi Inbar,
et la pollution pourrait atteindre Ashkelon, puis les plages
des environs d’Ashdod très rapidement. Il a noté que la
coupure de courant qui était déjà responsable de la privation
d’eau au robinet pour les Gazaouis pourrait affecter
l’adduction d’eau en Israël également. « Au-delà de la
souffrance des habitants de la bande de Gaza, nous aurons
aussi les maladies et la puanteur ».
« Les poissons dans le Nil mourront », lit-on
dans l’Exode à
propos de la première plaie, « et le fleuve sentira mauvais et
les Égyptiens ne pourront plus boire son eau ».
En Israël, les gens commencent à agir contre la
décision du gouvernement. La semaine dernière, Gisha, une ONG
qui se concentre sur Gaza, a publié une lettre au procureur
général Avishaï Mandelbit, lui demandant d’intervenir auprès
du cabinet pour qu’il revienne sur la décision de couper le
courant.
La lettre est co-signée par tout un éventail de
groupes de défense des droits des êtres humains: Adalah,
HaMoked: le Centre pour la Défense des Individus,
l’Association pour les Droits Civils en Israël, Médecins pour
les Droits Humains-Israël, Zazim, Bimkom, Yesh Din, Amnesty
International Israël, B’Tselem, Breaking the Silence, Haqel,
Akevot, Ir Amim, Peace Now, et les Rabbins pour les Droits
Humains.
Lundi, sur la plage d’Ashkelon, des dizaines de
militants israéliens, dont des habitants de zones contiguës de
la bande de Gaza, ont
lancé des lanternes de papier dans le ciel pour montrer leur
solidarité avec les Gazaouis souffrant des coupures.
Mardi, l’organisation des Femmes en campagne pour
la Paix a déclaré à propos de Gaza : « cette cocotte minute de
millions de gens en situation catastrophique, pauvreté, et
maintenant sans électricité, va exploser. Nos cœurs sont avec
les mères, les enfants, les âgés et les jeunes – avec les gens
qui veulent vivre ».
Quant au gouvernement de Netanyahou, il peut
continuer à blâmer l’AP pour cela. Ou il peut blâmer le Hamas.
Mais nous ne serons pas pardonnés d’avoir fait ça. Et nous ne
devrions pas l’être.
Nous ne devrions pas non plus nous pardonner
nous-mêmes. Nous avons infligé à Gaza la plaie des ténèbres.
C’est une punition qui vise de très grands
nombres de gens qui n’ont commis aucun crime. C’est un acte de
terrorisme.
Source : Haaretz
Photo : Ziad Medoukh
Agence Média Palestine
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