mercredi 7 juin 2017

Le mélange des genres

Olivier Cabanel        

Ce gouvernement, tout comme beaucoup de ceux qui l’ont précédé, pratique un étrange mélange des genres, qui ne laisse augurer rien de bon... c’est encore grâce au « Canard Enchaîné » que l’on découvre à quel point des membres du gouvernement, ou leurs conseillers, ont tout pour devenir d’efficaces lobbyistes.

La liste dressée par le palmipède enchaîné comporte 16 noms, citant leur origine, leur fonction, et sans pour autant leur faire un mauvais procès en suspicion, on peut tout de même être raisonnablement inquiet en se disant qu’ils pourraient être tentés de faire un peu de lobbyisme pour leurs anciennes entreprises...
Le premier de la liste est bien évidemment le 1er ministre, Édouard Philippe, dont les liens avec l’industrie nucléaire en général, et Areva en particulier, sont bien connus, puisqu’il y a passé récemment trois longues années, et qu’il est un pro nucléaire convaincu... pour faire du lobbyisme, on ne peut être mieux placé.
Areva, cette entreprise nucléaire, est dans la tourmente financière depuis quelques années, et l’EPR de Flamanville en est en partie la cause : projet qui devait couter 3 milliards et qui a passé la barre de 10 milliards... elle devait démarrer en 2012... on évoque aujourd’hui fin 2018...lien
On poursuit avec Benoit Ribadeau-Dumas, camarade de promotion à l’ENA du 1er ministre, qui après un petit détour dans le cabinet Raffarin, a occupé pendant 11 ans divers postes chez Thales, avant d’obtenir le poste de directeur général de l’équipementier aéronautique Zodiac Aerospace, lequel groupe négocie une éventuelle fusion avec Safran, entreprise dont l’État possède 14%...
Il a aussi officié chez CGG, entreprise spécialisée dans le forage du pétrole et du gaz.
On présume que les opposants au gaz de schiste l’auront particulièrement à l’œil.
Pour la petite histoire, Macron souhaitait mettre à Matignon son ami Nicolas Revel, qui dirige actuellement la CNAM (caisse nationale d’assurance maladie), mais le 1er ministre à tenu à Benoit Ribadeau-Dumas, son ami de longue date. lien
Du coté des banques, à part Emmanuel Macron dont on sait le parcours, on découvre un autre Emmanuel, Moulin en l’occurrence, et Bertrand Dumont, tous 2 nommés respectivement directeur et directeur adjoint au ministère de l’économie : tous deux énarques également, ont fait leur classes privées au sein de banques américaines.
Plus tard, en 2015, Dumont était directeur de la gestion prudentielles chez HSBC, alors que Moulin dirigeait les activités françaises de la banque d’affaire italienne Mediobanca, après avoir fréquenté Citigroup et avoir été administrateur suppléant de la Banque Mondiale.
En 2007, il était directeur adjoint du cabinet de Christine Lagarde, puis directeur général adjoint d’Eurotunnel...lien
Les actionnaires qui se sont fait lessiver dans cette affaire sont-ils rassurés ? lien
Restons dans la banque avec Gilles de Margerie, ancien conseiller de Roger Fauroux, et Michel Rocard, il a passé 10 ans à la Banque Verte, et se retrouve directeur du cabinet de la ministre des solidarités et de la santé...De la finance à la santé...on tente de comprendre ?
Ajoutons qu’il a été directeur « assurances-gestion d’actif et de fortune » au Crédit Agricole, après avoir rejoint la banque Indo Suez, et occupé diverses fonctions chez Lazard et Rothschild. lien
L’énarque Marc Schwartz, qui a fait un court passage dans cette même Banque Verte, puis magistrat à la Cour des Comptes, vient d’être nommé dircab au ministère de la culture.
Ajoutons que cet homme a été impliqué directement dans les médiations opposant Google et les éditeurs de presse, mais aussi avait été chargé de mener une réflexion stratégique sur l’avenir du groupe France Télévision. lien
L’énarque Clément Beaune, quant à lui, était d’abord à la direction du Budget au bureau des lois de Finances, puis à Bercy en tant que conseiller pour les affaires européennes et budgétaire, et enfin directeur général adjoint de la filiale ADP management (Aéroport De Paris), tout en écrivant les discours du candidat Macron, lorsqu’il s’agissait d’évoquer l’Europe. lien
Même origine ADP pour une autre énarque, Justine Coutard en l’occurrence, ex inspectrice des finances, laquelle est nommée directrice adjointe du cabinet de Gérard Darmanin ministre de l’action et aux comptes publics. lien
C’est chez Danone qu’il faut chercher l’origine de la DRH Muriel Penicaud, laquelle avait quitté son poste de conseillère à la formation professionnelle de Martine Aubry, du temps qu’elle était ministre du travail, devenue depuis la championne du travail intérimaire, l’un des secteurs qui a le plus le vent en poupe dans notre pays. lien
Cette ancienne patronne de Business France se retrouve donc au ministère du travail. lien
C’est chez Nestlé que l’on trouve un certain Bertrand Sirven, désormais conseiller de Bruno Lemaire, au ministère de l’agriculture...il avait perdu sa place de dircom à la suite de la diffusion d’un reportage inquiétant sur le jambon, chez « Cash Investigation »... ce jambon dont la belle couleur rose n’est dû qu’a des injections de nitrites de sodium, réputés responsables de possibles cancers colorectaux. lien
Antoine Foucher, nouveau directeur de cabinet au ministère du travail, était auparavant directeur général adjoint des relations sociales au Medef, et avait quitté ce poste après l’échec des négociations sur l’assurance chômage, pour rejoindre Schneider Electric, où il était directeur des relations sociales.
Rappelons que cette entreprise s’est spécialisée dans la distribution électrique, l’automatisme, et s’est alliée à Areva dans le domaine du stockage de l’énergie. lien
Il a été aussi l’un des conseillers de Xavier Bertrand, lorsque celui-ci était ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé. lien
La nouvelle secrétaire d’État s’appelle Sophie Cluzel, et cette diplômée de l’école supérieure de gestion de Marseille nous vient de l’industrie pétrolifère, contrôleuse de gestion chez Esso.
Quant au directeur de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, on trouve un certain Philippe Baptiste, lequel était précédemment directeur scientifique chez Total.
Le gouvernement a donc fait « le plein », note avec humour Odile Benyahia-Kouider dans les colonnes du « Canard Enchaîné ».
Après le pétrole, l’aviation, Dassault en tête, puisque l’avocate, Sophie Ferracci, épouse de Marc du même nom, lequel est un économiste et intime du Président, a été nommée cheffe de cabinet au ministère de la santé, et œuvrait auparavant dans le groupe Dassault.
Cette avocate a piloté toutes les sorties d’Emmanuel Macron, lorsqu’il n’était que candidat. lien
On cherche en vain les liens qui uniraient cette juriste de chez Dassault à la Santé  ?
Tournons-nous vers Mounir Mahjoubi, nommé secrétaire d’état au numérique, ancien assistant manageur chez l’Oréal, mais aussi chez BETC Digital, partie du groupe Havas, lequel est sous la houlette de Vincent Bolloré... ce qui nous rappelle que cette entreprise noue le plus grand nombre de contrats avec les ministères, soit pour fournir des communicants, soit pour les campagnes de com, les sondages d’opinion...
Finissons par le nouveau secrétaire général de l’Elysée, l’énarque Alexis Kohler, auparavant directeur financier chez l’armateur MSC, entreprise concernée par la question des chantiers navals de St Nazaire, avec l’entreprise STX, et qui voudrait bien entrer au capital de cette entreprise en difficulté, sur laquelle lorgne le constructeur naval italien Fincantieri déjà actionnaire à 48% de l’entreprise française. lien
Ajoutons qu’il a fait ses premières armes à la direction générale du trésor, à Bercy, avant de travailler pour le FMI (Fond monétaire International), et l’APE (agence des participations de l’État). lien
C’est donc entre les lignes qu’on découvre que les préoccupations premières de ce nouveau gouvernement concernent surtout les banques, le pétrole, le nucléaire, la communication, semblant prêter un intérêt limité aux énergies propres, à la défense du service public, et sans augurer de la suite, il est probable que les décisions prises par le gouvernement précédent seront durablement promues...
Les premiers signes avant-coureurs d’une dérive nucléaire viennent d’apparaître : La France, par l’intermédiaire d’Alsthom, mène un drôle de jeu en Inde depuis l’élection de notre nouveau président.
Tout en affirmant avoir arrêté la production de matières fissiles, la France construit pourtant actuellement un transformateur électrique pour un site d’enrichissement d’uranium en Inde, et dès le lendemain du second tour de la présidentielle, l’entrevue avec Narendra Modi, premier personnage de l’état indien, avait été préparée avec le plus grand soin.
Officiellement, la France s’est engagée pour un arrêt définitif de la production de matières fissiles à des fins militaires, et notre pays n’est-il pas en pleine contradiction lorsqu’il décide d’aider l’Inde à augmenter son stock de matière fissile à des fins militaires ? lien

Comme dit mon vieil ami africain : « ce sont les trous creusés par les rats qui font tomber le cheval »...

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