Mais dans quel pays on vit… Jusqu’où va-t-on chuter, juridiquement et moralement…
Depuis Calais, on recevait des témoignages récurrents sur
l’usage de sprays au gaz poivre par les policiers sur des migrants, et
en particulier des enfants. Ce gaz, toxique pour la santé,
peut être utilisé dans des situations de crise dans la gestion de la
violence, mais son usage systématique en dehors de toute répression de
la violence, parfois sur des personnes qui dorment, et en atteignant
volontairement le matériel et la nourriture, sont des faits d’une
particulière gravité. Souvent de la Convention européenne des droits de
l’homme, il s’agit de traitements inhumains et dégradants, sanctionnée
par l’article trois.
La
question posée est donc de savoir s’il y a un usage généralisé de ses
sprays au gaz poivre, et donc un recours à des traitements inhumains et
dégradants sur des personnes en grande vulnérabilité.
Vu la gravité de la situation, Human Rights Watch
a pris le temps de procéder à une enquête approfondie, avec l’audition
de 60 migrants, la moitié étant des mineurs, mais aussi les témoignages
des travailleurs humanitaires et des médecins. Le résultat est la
publication d’un rapport très documenté « C’est comme vivre en enfer »,
dont je recommande vivement la lecture. Ici, je reproduits des
témoignages, et la réponse du préfet.
Témoignages des migrants
Nebay
T., un Érythréen de 17 ans : « Les aspersions ont lieu presque chaque
nuit. Les policiers s’approchent de nous pendant que nous dormons et
nous aspergent de gaz. Ils le pulvérisent sur tout notre visage, dans
nos yeux ».
Moti
W., un jeune Oromo de 17 ans : « Ce matin, je dormais sous le pont. Les
policiers sont arrivés. Ils nous ont aspergé le visage, les cheveux,
les yeux, les vêtements, le sac de couchage, la nourriture. Il y avait
beaucoup de gens endormis. La police a tout recouvert de gaz poivre ».
Abel
G., un Erythréen de 16 ans : « S’ils vous attrapent quelque part dans
la rue, ils vous aspergent de leur véhicule au moment où ils passent
près de vous. Si vous êtes en train de dormir, ils se contentent de vous
pointer leur bombe dessus ». Il décrit les
effets : « Vous pleurez. Vous avez très chaud au visage. Votre gorge est
contractée. Vous ne pouvez plus respirer. »
Mirwas A., un Afghan : « Ils n’ont pas dit un mot, ils nous ont juste aspergés ».
Saare
Y., un Érythréen de 16 ans : « Hier soir, après le repas, les policiers
sont venus. ‘‘Allez-vous-en, allez, allez’’, ils ont dit. L’un d’eux
m’a attrapé. Il m’a tenu par le bras, et un autre agent de police est
arrivé et m’a aspergé les yeux. Le gaz poivre est aussi entré dans mon
nez ».
Birhan
G., un Erythréen de 16 ans : « Il était environ minuit. Je suis venu
chercher à manger. Les policiers étaient là. Ils ont dit au groupe :
‘‘Vous ne devez pas donner de nourriture’’. Nous avions faim. Nous
avions soif. Mais les policiers ont commencé à nous asperger, alors nous
nous sommes enfuis. Nous trébuchions tout en courant vers les bois, et
les policiers se moquaient de nous ».
Meiga T., un Oromo de 16 ans : « Mon visage me brûle. J’ai l’impression d’être en feu ».
Demiksa
N., Un Oromo de15 ans, a déclaré : « Après l’action du spray, vous êtes
désorienté. C’est comme si vous ne saviez plus rien ; vous n’arrivez
pas à réfléchir. Vous ne voyez plus rien, vous ne vous rappelez plus de
rien. Vous avez le sentiment qu’il vaudrait peut-être mieux vous tuer ».
Biniam
T., un Ethiopien de 17 ans : « Dès que les policiers nous trouvent sur
la route ou dans une zone ouverte, ils nous aspergent. C’est normal pour
nous. Ça fait partie de notre vie. S’ils nous trouvent quand nous
dormons, ils pulvérisent du gaz sur nous puis ils prennent toutes nos
affaires. Ils font ça tous les deux ou trois jours. Ils viennent et
prennent nos couvertures ».
Jalil M., un Afghan : « Les policiers ont tout aspergé, nos couvertures, nos vêtements. »
Hassan
E., un Ethiopien de 17 ans : « Il y a deux nuits, j’étais en train de
dormir. Les policiers sont arrivés. Ils ont tout pris – toutes nos
couvertures et nos sacs de couchage ».
Wako
L., un Oromo de 15 ans : « Ce matin les policiers sont passés, donc je
n’ai plus de sac de couchage. Les policiers l'ont pris. Ils l’ont
aspergé de gaz ».
Negasu
M., un Oromo de 14 ans : « Quand les policiers me trouvent, ils
m’aspergent de gaz. Ils prennent ma couverture. Parfois ils prennent mes
chaussures. Parfois ils prennent mes vêtements. […] J’essaie de ne
jamais dormir au même endroit. »
Témoignages des humanitaires
Un
humanitaire : « J’ai vu deux policiers en train d’asperger un garçon
dans les yeux. Il a fait quelques pas avant de tomber par terre, sur les
genoux. Les deux travailleurs humanitaires sont alors allés chercher un
collyre dans le véhicule de distribution et les policiers les ont
laissés soigner le garçon. Ensuite les policiers l’ont obligé à
continuer son chemin, dès qu’il a pu marcher »,
Arthur
Thomas, coordinateur pour la protection des enfants pour les
organisations Refugee Youth Service et l’Auberge des Migrants : « Hier,
j’ai vu un enfant qui m’a dit que les policiers l’avaient aspergé au
visage. Il avait des problèmes aux yeux. Et un autre enfant, qui disait
lui aussi qu’il avait été atteint au visage, a fait une réaction
allergique au spray »,
Une
travailleuse médicale : « Lors de nos visites aux sites de distribution
de nourriture fin juin, nous avons vu des enfants avec des bandages
sous les yeux ; lorsque nous leur en avons demandé la cause, ils nous
ont raconté que des policiers leur avaient envoyé du gaz poivre au
visage la nuit précédente ».
Réponse du préfet
Vincent
Berton, le sous-préfet de Calais : « Ce sont des allégations, des
déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits. Ce sont
des calomnies. (…) La police est le corps administratif le plus
contrôlé, et répond à des codes et des règles de déontologie très
strictes ».
Donc, tout ceci est inventé, et il ne s’est rien passé. Nous sommes rassurés.
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