Gilles Devers
Christophe
Oberlin, chirurgien et professeur de médecine, se rend régulièrement à
Gaza dans le cadre de son activité professionnelle, pour pratiquer la chirurgie et l’enseignement.
Depuis 2001, il effectue là-bas trois séjours par an, et disons qu’il connaît un peu son sujet ce qui nous permet de bénéficier de ses écrits et de ses interventions.
Cette
fin juillet, de retour d’une mission, il est revenu avec une interview
du Docteur Bassem Naïm, ministre de la santé à Gaza. Voici ce document, publié sur son blog, un tableau saisissant des capacités et des difficultés qui sont le quotidien du peuple palestinien.
Quatre questions au Ministre de la santé de Gaza
Le
docteur Bassem Naïm a repris la fonction de Ministre de la santé qu'il
occupait déjà il y a dix ans à Gaza. L'occasion de faire un bilan et
aussi de pousser un cri d'alarme. Il est interrogé le 9 juillet 2017.
Christophe Oberlin : Pouvez-vous vous présenter ?
Bassem Naïm :
J’ai 55 ans. Après des études de médecine en Allemagne débutées en
1982, j’ai été diplômé en chirurgie générale en Jordanie puis chirurgien
à Gaza pendant dix ans, de 1996 à 2006, puis Ministre de la santé de
2006 à 2012. J’ai ensuite été pendant deux ans et demi Conseiller pour
les affaires internationales. J’ai quitté le gouvernement lorsque s’est
constitué un gouvernement d’union nationale. Depuis mars 2017 je suis à
nouveau en charge de la santé, des affaires sociales et de
l’environnement.
Si
vous comparez le niveau de la santé publique lorsque vous étiez
ministre il y a 10 ans et maintenant quels sont les points noirs et les
aspects positifs ?
Le
point négatif le plus important est lié au siège. En principe nous
avons un bon système de santé dont la mise en place a couté des
milliards de dollars, infrastructure, formation des médecins et du
personnel paramédical, formation continue… Nous avons aussi un personnel
très impliqué qui aime son métier, au service de la famille et de la
population. Il y a dix ans, sans l’investissement de son personnel le
secteur santé aurait implosé. Mais à cause du siège, le résultat
n’atteint pas ce que nous attendons. Nous avons néanmoins été capables
d’envoyer plus de 150 médecins compléter leur formation en Égypte, en
Jordanie, au Qatar, en Turquie, au Soudan et certains aussi en Europe.
Ils sont revenus et ceci a eu un impact très positif. Nous avons aussi
été très fortement soutenu par la venue régulière d’une expertise
étrangère dans le cadre de services très spécifiques. Et ceci a été
l’occasion d’un grand progrès : cardiologie, chirurgie cardiaque,
urologie, chirurgie des nerfs périphériques. Nous avons aussi beaucoup
progressé dans la collecte des données et dans leur analyse, dans le
système d’évaluation. Nous avons aussi fait de grands progrès dans la
transparence des financements et le contrôle de la corruption.
Malgré
le siège nous avons été capables d’augmenter le nombre de lits
d’hospitalisation, le nombre de membres du personnel, le nombre et la
qualité des services, l’offre de soins en général. En 2006 je crois que
nous n’avions qu’un seul scanner aujourd’hui nous en avons plusieurs
dizaines, des I.R.M. le cathétérisme cardiaque etc. La chose la plus
importante, nous avons été capables de maintenir le système de santé
primaire. La couverture vaccinale, par exemple, est de de 99,6 %,
comparable à celle de certains pays européens.
On
sait que Ramallah approvisionne Gaza par des donations régulières de
médicaments, de matériel à usage unique, d’équipements etc.
Constatez-vous aujourd’hui des modifications ?
L’Autorité
Palestinienne avant 2006 était basée à Gaza, elle est maintenant à
Ramallah et responsable de la totalité du territoire palestinien. Avant
2006 l’Autorité Palestinienne fournissait tout ce qui était nécessaire
au système de santé, y compris le personnel, dans une proportion de 40 %
pour Gaza et 60 % pour la Cisjordanie. À partir de 2006 elle a
restreint progressivement les relations avec Gaza. Ainsi à partir de
2007 aucun nouvel employé n’a été recruté par l’intermédiaire de
Ramallah. Ils ont payé beaucoup d’entre eux à condition qu’ils quittent
leur travail et restent à la maison. Et nous parlons ici de milliers de
fonctionnaires de l’administration et en particulier du secteur de
santé. Ils touchent leur salaire maintenant depuis plus de 10 ans sans
travailler. Plus récemment, depuis le début 2017 une action très
agressive a été entreprise à l’encontre de Gaza. L’approvisionnement de
Gaza en fioul nécessaire à l’unique centrale de production d’électricité
a été stoppé. Gaza n’a plus que trois à quatre heures d’électricité par
jour.
Les
dotations ont été réduites dans tous les secteurs, incluant les
médicaments, le matériel jetable, et même le lait pour les nouveau-nés !
L’interruption est totale depuis le début du mois de mars. À cause de
ces restrictions des milliers de patients doivent être transférées en
Cisjordanie, à Jérusalem, en Israël parfois, en Égypte, pour être
traités. Nous envoyons ordinairement les demandes de transfert à
Ramallah pour accord de financement. Et ensuite nous envoyons la demande
aux Israéliens pour l’accord de leurs services de sécurité.
Habituellement cela prenait du temps, des semaines avant d’avoir le
permis israélien. Beaucoup de patients sont morts en attendant ce
permis. Aujourd’hui même nous ne recevons plus aucun accord financier de
Ramallah et nous avons plus de 2500 patients en attente. Nous avons
documenté le décès de douzaines de patients en attente, y compris des
enfants, des patients atteints de cancer. Au cours de ces derniers jours
Ramallah a décidé d’envoyer des milliers d’employés du secteur de
l’éducation et de la santé en retraite anticipée. Hier il y a eu un
nouveau paquet de 6145 mises en retraite anticipée dans les deux
secteurs de la santé et de l’éducation. Nous parlons ici des employés
qui reçoivent leur salaire de Ramallah, dépendant du ministère de la
santé il y en a 3500. Toute personne qui a plus de 50 ans, ou a
travaillé plus de 20 ans : ils envoient en retraite des gens
relativement jeunes, 45 ans parfois, les plus expérimentés des médecins,
des infirmières et des techniciens. Ils sont menacés : s’ils continuent
à travailler leur revenu sera coupé complètement.
Pendant
la guerre de 2014 vous avez envoyé un appel depuis Gaza à la suite de
l’attaque de l’hôpital de rééducation el Wafa qui a finalement été
complètement détruit par les bombardements. Quelle est la situation
aujourd’hui, l’hôpital a-t-il été reconstruit, qu’en est-il du
personnel, des médecins des kinésithérapeutes et finalement des
patients ?
Cet
hôpital était le seul hôpital spécialisé en rééducation de la bande de
Gaza. Les patients étaient des victimes de guerre, des blessés crâniens
ou médullaires. C’était l’un des meilleurs hôpitaux de la région, qui
répondait à un besoin très important. Cet hôpital a été détruit en 2014
en dépit de tous les appels, de toutes les interventions comme celle de
la Croix-Rouge Internationale. Maintenant nous avons loué un petit
bâtiment dans le centre de Gaza mais avec une capacité réduite et des
services limités. L’Hôpital el Wafa avait fait l’objet de millions de
dollars d’investissements, non seulement dans l’équipement, le matériel,
des piscines de rééducation, différentes pièces pour différents types
de rééducation. Ce que nous avons aujourd’hui est beaucoup plus simple,
une rééducation courante, avec un personnel limité. La possibilité d’y
placer des patients a été réduite car le coût de cette structure,
privée, est élevé. Il y avait par le passé une importante aide
humanitaire en provenance des pays arabes et d’autres pays étrangers,
qui a chuté de manière dramatique. Aucun des patients n’est en mesure
de payer son hospitalisation, environ 100 $ par jour. Ce n’est à la
portée d’aucun habitant de Gaza, même relativement riche. Les durées
d’hospitalisation sont souvent longues : un mois, six mois, voire
davantage. Ce n’est pas facile pour les familles de prendre certains
patients très lourds à la maison. C’est un dilemme, même pour moi comme
Ministre de la santé. Que faire ? Ils ne peuvent pas être renvoyés à la
maison et nous ne pourrons pas payer pendant des années.
J’espère que
nous allons pouvoir trouver des donateurs ou des fondations qui
pourraient soutenir l’hôpital El Wafa et lui redonner le rôle qu’il a
tenu par le passé.

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