Karim Akouche – Écrivain
Hollywood m’a menti. L’Amérique qu’il m’a vendue ne correspond
aucunement à celle que je découvre. Au poste frontalier avec le Québec,
le douanier me prend d’emblée pour un ennemi. La raison : le « DZ »
inscrit sur mon passeport canadien. Il tape sur son clavier et découvre
mon pays de naissance : l’Algérie, un pays susceptible d’exporter le
terrorisme. Il me pose des questions auxquelles je réponds dans un
anglais approximatif, mais clair. Il me crie dessus, froisse mon
invitation et la jette à la poubelle.
Je me dois alors de justifier mon innocence. Heureusement que je suis
invité à New York comme écrivain et que j’ai une conférence programmée
le surlendemain. Il tape sur Google, tombe sur des articles parlant de
moi et de mes livres. Il se décrispe tout à coup : « Congratulations ! You have a Wikipedia page ! You are a celebrity ! » Je
n’en reviens pas. En l’espace de quelques minutes, il passe de la
violence à l’amabilité. C’est à cause de la supposée notoriété dont je
dispose sur Internet. Autrement dit : le paraître et le clinquant ont
gommé la « tare » des origines.
Cactus
Bienvenue au pays de toutes les énigmes. L’écart entre l’Amérique
réelle et l’Amérique fantasmée, celle véhiculée par les médias, est si
grand que je ne sais plus comment le formuler. La première image qui
me vient à l’esprit est celle d’une plante épineuse, le cactus : il est
beau à la vue, mais il pique au toucher.
Il y a en effet plusieurs Amériques, souvent opposées, qui se
côtoient et se querellent. Celle des bons, celle des bêtes et celle des
truands. D’un côté, le Nouveau Monde et, de l’autre, le monde archaïque.
L’Amérique du rêve et celle du cauchemar. Celle des riches métropoles
et celle des laissés-pour-compte. Celle des forts et celle des faibles.
Celle des champions et celle des perdants.
L’Amérique des Caucasiens et l’Amérique des Noirs. Celle de Philip
Roth et celle de Donald Trump. Celle de la Silicon Valley et celle de
Brooklyn. Celle de la statue de la Liberté et celle de Guantánamo. Celle
de Coca-Cola et celle de l’injection létale. Celle de la violence
protéiforme et celle, burlesque, de Charlie Chaplin.
L’Amérique des Simpsons et l’Amérique de Fox News. Celle du
puritanisme religieux et celle de l’industrie du porno. Celle du
football et celle de l’obésité. Celle du gospel et celle des gangs de
rue. Celle du patriotisme excessif et celle de l’individualisme de
masse. Celle de la Révolution et celle de l’extermination des Indiens.
Celle de la guerre de Sécession et celle de la traite négrière.
L’Amérique arrogante et l’Amérique qui accueille. L’Amérique
terrorisée et l’Amérique qui terrorise. L’Amérique inculte et l’Amérique
cultivée. La simplicité volontaire de Thoreau et l’axe du mal de Bush.
La dictature de l’instant et le mépris de l’histoire. Le
ici-et-maintenant et le passé-jamais. Wall Street et les ghost towns.
Wounded Knee et Omaha Beach. L’Amérique qui massacre et l’Amérique qui
libère. Le Ku Klux Klan et Jésus Christ. Geronimo et Ben Laden. Le Vieil
homme et la mer et le Patriot Act. La NSA et Edward Snowden… Il y a de
tout : le faste et le fade, la fureur et la foi, la fougue et la folie.
Pays des cow-boys
Un ami vivant au New Jersey me confie à juste titre : « Il est plus facile, pour les Américains pauvres, de se procurer une arme que de se faire soigner. » N’ayant
pas réussi à trouver un assureur à cause de son diabète, il doit
200 000 dollars à des hôpitaux. Il est loin d’être le seul dans cette
situation. La plupart de ses concitoyens sont surendettés : la santé et
l’éducation les ruinent.
La veille de mon voyage, il m’a donné quelques consignes : « Si la
police t’interpelle, sois calme, obéis, ne farfouille pas dans tes
affaires, place tes papiers bien en vue, car tout geste de trop pourrait
être mal interprété… Nous sommes au pays des cow-boys, les flics ont la
gâchette facile. »
En effet, les relations entre la police et les citoyens, surtout les
minorités, sont tendues. Le taux de criminalité annuelle à Détroit,
Baltimore, Cleveland, Oakland, Saint-Louis et Memphis, entre autres,
frôlent les 2000 cas par 100 000 habitants.
La violence sociale et économique, c’est le quotidien des Américains.
On est loin des cartes postales et des confessions à l’eau de jasmin
que les starlettes étalent sur les réseaux sociaux. Le marketing fausse
tout. Il y a un fossé entre le discours officiel et la réalité.
Kennedy, par exemple, dont on a voulu faire une icône, n’a en réalité
jamais été un modèle : il ne respectait pas les femmes et a fait la
guerre à Cuba et au Vietnam. Au pays de l’oncle Sam, le vivre-ensemble
et la liberté ne sont que des vocables creux : c’est le vivre-à-côté et
le politiquement correct qui règnent. Chacun pour soi et Dieu pour
personne.
Si tu es un winner, tu auras ta place entre les winners,
donc dans la société. Alors tu as intérêt à sortir tes muscles, à
accumuler plusieurs boulots, à suer, à dormir peu, à manger vite et
gras. Tu seras alors fier d’étaler ta richesse, ta paie, ton ranch, ta
bagnole… Si, dans le cas contraire, tu es pauvre, cache-toi, souffre en
silence et prie. Tu peux toujours chanter la rengaine d’Obama, Yes we can,
l’État ne viendra jamais à ton secours.
Ici, la vie n’a de valeur que
si elle est convertible en billets verts. Bosse ou crève. In Money we trust.
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