mardi 25 juillet 2017

Lettre de Jean-Guy Greilsamer au Président de la République

UJFP

Paris, le 20 juillet 2017
Monsieur Le Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 - Paris

Monsieur le Président de la République,
Votre discours le 16 juillet en présence de Benyamin Netanyahou vous a permis de mieux préciser votre politique en direction des Juifs et en direction de l’Etat d’Israël.
Je suis Juif (et suis l’un des anciens coprésidents de l’Union Juive Française pour la Paix).
Permettez-moi de vous poser plusieurs questions, dont la majorité concerne divers points de vue exprimés depuis longtemps et sur lesquels vous ne vous êtes pas franchement prononcé.
Ce serait pour moi un honneur que vous répondiez à ces questions.
PREMIÈRE QUESTION
J’ai fait des recherches généalogiques sur mes ancêtres et ai eu la chance de pouvoir remonter trois siècles pour la totalité de ma famille. Il s’avère que pendant ces trois siècles toute ma famille était juive et vivait en Alsace ou, pour une partie d’entre elle, de l’autre côté du Rhin.
Je n’ai pas pu remonter plus loin, et ne saurai donc jamais si mes lointains ancêtres appartenaient à l’antique peuple hébreu. D’ailleurs une proportion infinitésimale de Juifs sait si ses ancêtres appartenaient au peuple Hébreux.
J’en déduis donc que le mythe du « retour après 2000 ans d’exil » n’est pas recevable, qu’en pensez-vous vous-même ?
SECONDE QUESTION
Je tiens à souligner que, même s’il s’avérait que mes ancêtres vivaient sur un territoire où vivaient des Hébreux il y a 2000 ans, cela ne justifierait pas l’expulsion d’habitants palestiniens vivant sur ce territoire avant la création de l’Etat d’Israël (ou de Palestiniens y vivant après 1948).
C’est comme si l’État italien revendiquait la ville de Nîmes ou l’Etat grec la ville de Marseille.
Qu’en pensez-vous ?
TROISIÈME QUESTION
Concernant la solution du « conflit » israélo-palestinien, vous, comme vos prédécesseurs, estimez qu’il est nécessaire de négocier. Or tous les « processus de paix » depuis les accords d’Oslo ont échoué et n’ont pas eu d’autres résultats que de permettre à Israël de continuer la colonisation de la Cisjordanie, puis le blocus de Gaza, et les ségrégations contre les Palestiniens vivant en Israël.
Est-ce que vous niez cette réalité et si oui pouvez-vous apporter des preuves pour contredire mon point de vue ?
QUATRIÈME QUESTION
Niez-vous que l’État d’Israël viole depuis longtemps de nombreuses résolutions de l’ONU, qu’il s’agisse de celles condamnant la colonisation de la Cisjordanie et du plateau du Golan, de celles condamnant le blocus de Gaza ou de la résolution 194 de l’ONU sur le droit au retour des réfugiés ?
CINQUIÈME QUESTION
Un État violant depuis longtemps le droit international ne finit par s’y conformer que s’il est sévèrement sanctionné. Les exemples de sanctions que la France a approuvées sont nombreux : contre la Russie, la Birmanie, l’Iran, etc...
Reconnaissez-vous qu’épargner Israël est un mauvais service pour la population de cet État et pour les Juifs du monde entier, parce que ne pas traiter Israël comme tout autre État ne peut que favoriser l’antisémitisme ?
SIXIÈME QUESTION
C’est dans le contexte de l’impunité d’Israël que la société civile palestinienne a lancé le mouvement BDS, Boycott Désinvestissement Sanctions contre Israël jusqu’à ce que cet État se conforme au droit international, mouvement qui s’inspire du boycott qui avait contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud.
Ce mouvement est non violent et antiraciste et se fixe trois objectifs : mettre fin à l’occupation, la colonisation et le blocus de Gaza ; obtenir l’égalité des droits entre Juifs israéliens et Palestiniens d’Israël ; et la mise en œuvre du droit au retour conformément à la résolution 194 de l’ONU.
De nombreuses autorités, de nombreuses organisations et de nombreux juristes reconnaissent que ce mouvement relève de la liberté d’expression.
Pourquoi la France serait-elle frileuse face à ce qui relève de la liberté d’expression ?
SEPTIÈME QUESTION
Vers la fin de votre discours le 16 juillet sur la commémoration du 75ème anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, vous avez dit : « … nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Or l’antisionisme est simplement l’opposition à l’idéologie sioniste, qui énonce que les Juifs ne peuvent cesser d’être victimes de l’antisémitisme que s’ils créent eux-mêmes leur propre État. Il y a toujours eu des Juifs antisionistes depuis qu’existe l’idéologie sioniste. Nous pouvons constater aujourd’hui le résultat de la politique sioniste : Israël est l’un des États dans lequel les Juifs sont le moins en sécurité et de plus la politique d’Israël contribue à un climat d’insécurité pour beaucoup de Juifs vivant dans d’autres pays qu’Israël.
D’où ma question : bien loin d’être un rempart contre l’antisémitisme, le sionisme, bien au contraire, ne le favorise-t-il pas ?
HUITIÈME QUESTION
Pour vous, les Juifs de France sont représentés par le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), qui vous demande constamment de soutenir la politique d’Israël et de réprimer ses opposants. Non seulement le CRIF ne représente qu’une partie, loin d’être majoritaire, de l’opinion des Juifs de France, mais réduire l’opinion des Juifs de France à celle du CRIF, c’est considérer les Français juifs comme des citoyens à part, ainsi que le souligne le communiqué de l’Union Juive Française pour la Paix
Franchement, pourquoi ne reconnaissez-vous pas que la population juive de France, comme toute autre population, est traversée par divers courants d’opinion ?
NEUVIÈME QUESTION
Sous réserve de vos réponses aux autres questions, pouvez-vous préciser, s’il vous plait, quelle est votre conception de l’État palestinien dont vous dites souhaiter l’existence. Sur quelles frontières ? Y incluez-vous bien Gaza ? Souhaitez-vous vraiment une égalité de droits entre les États d’Israël et de Palestine, notamment une égalité des droits économiques et militaires ?
Il est en particulier impensable, si l’État d’Israël est armé, qu’un État palestinien puisse exister s’il est désarmé.
DIXIÈME QUESTION
Enfin, une dernière question. Vous adhérez, comme beaucoup de politiciens, à la formule « contre le racisme et l’antisémitisme » Est-ce à dire que selon vous l’antisémitisme est un racisme à part, supérieur aux autres, et que la population juive doive être plus protégée contre le racisme que les autres populations visées par le racisme ? Vous savez que d’autres populations sont victimes de pratiques ou de préjugés racistes : les musulmans ou supposés tels, les Rroms, les jeunes arabes vivant dans des banlieues, certains migrants, etc... Pointer particulièrement les Juifs ouvre à la concurrence des victimes et finit par se retourner contre les Juifs eux-mêmes. Et si vous estimez que les Juifs ne sont pas une race, permettez-moi de vous répondre que non seulement la notion de race est controversée depuis longtemps, mais que si vous souhaitiez dissocier les Juifs de la notion de race, pourquoi n’opteriez-vous pas pour une formule telle que « contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie » ?
Je serais satisfait, Monsieur le Président, que malgré vos très nombreuses obligations, vous répondiez à ma lettre, qui, je le pense, soulève de graves questions dont de nombreux citoyens s’inquiètent. En attendant, soyez convaincu que je continuerai à me définir comme étant Juif antisioniste et continuerai à m’engager dans la Campagne BDS, parce que je suis fermement attaché à la justice, à l’égalité et à la dignité des peuples,
Veuillez accepter, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.

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