Si nous étions en 1984, des drones pourraient nous surveiller d’en
haut, de maison en maison, de rue en rue, de quartier en quartier…
Nous
nous lèverions le matin pour aller travailler dans un ministère
quelconque, sous l’oeil de BIG BROTHER dès le petit déjeuner. Notre
smartphone, notre télé, notre caméra de sécurité. On nous surveille, on
nous protège ?
Au boulot nous discuterions avec les collègues des terroristes et de
la guerre, en espérant bien qu’un jour tout cela se termine. Mais nous
ferions attention à ce que nous pourrions dire, on ne sait jamais…
Nous en serions sûrs, nous les gentils on finirait bien par gagner. D’ailleurs l’ennemi n’avait-il pas reculé ?
On rentrerait chez nous la peur au ventre quand nous croiserions une
femme sous une burqa (serait-ce vraiment une femme ?), prêts à la
dénoncer au moindre geste suspect.
On s’enfermerait chez soi pour apprendre à nos enfants ce qu’il faut
faire et comment, ce qui est bien ou pas. En regardant le télécran –
notre smartphone. Il nous dirait que nous sommes heureux, et que tout va
aller mieux. Il suffirait de regarder comment dans le « monde libre »
des gens avaient une vie merveilleuse, et comment ailleurs on vivait
dans la barbarie. On regarderait des émissions dans lesquelles on peut
cracher sa haine, seuls ou en groupe, pendant bien plus que deux
minutes.
On cesserait de faire l’amour pour regarder des pornos en réalité
virtuelle, et on mangerait la merde que des « grands chefs » nous
vendraient pour pas cher. On tuerait l’imagination et la réflexion par
le travail et les mille choses du quotidien, avec des célébrations
commémoratives populaires auxquelles ne pas se rendre vous rendrait
suspect : on saurait qui est Charlie et qui ne l’est pas.
Nous écouterions de la musique faite par des algorythmes, améliorées
par des ordinateurs à l’oreille absolue, et nous lirions des articles
rédigés par des machines. On transformerait l’Histoire au fur et à
mesure qu’elle se déroule pour faire correspondre la réalité avec le
fantasme de croissance perpétuel vendu quotidiennement par des médias
impartiaux.
Le double-langage et la double-pensée seraient si aboutis qu’on
finirait presque par croire qu’un licenciement massif est un plan de
sauvegarde de l’emploi. Ou que la suppression des aides sociales est une
motivation. Ou que le CDI de courte durée est à durée indéterminée. Ou
que la guerre c’est la paix.
Notre président serait un grand frère attentionné et proche de son
peuple. Il gouvernerait par ordonnances et contrôlerait tout. Ne
supportant pas la critique et ayant une vue globale des événements
incompatible avec l’aveuglement des masses, il instaurerait l’état
d’urgence de manière permanente, lutterait contre l’indépendance des
médias et ferait restreindre nos libertés au nom de notre sécurité, sans
jamais nous l’apporter. Il jouerait sur nos peurs pour nous faire
accepter son autoritarisme.
En matière de travail il nous libérerait des patrons, en nous
permettant à tous de le devenir ; et seuls les membres du parti
bénéficieraient de certains privilèges. Eux seuls mangeraient les
produits sains, voyageraient sans contrainte et posséderaient des
esclaves (enfin des collaborateurs). Il faudrait aimer ce grand frère
comme s’il était la perfection.
Si nous étions en 1984 il n’y aurait qu’un seul parti, et notre
gouvernement serait maintenu en place par le seul jeu des institutions.
Le gouvernement formerait un jour une alliance avec un dirigeant
autoritaire, et puis le lendemain avec son ennemi (autoritaire
lui-aussi). Il fabriquerait l’Histoire a posteriori pour qu’elle
corresponde aux victoires de la Nation. Nous aurions aussi notre
Goldstein, les terroristes. Goldstein serait comme BIG BROTHER,
immortel. Susceptible de frapper partout et à n’importe quel moment, et
ce malgré un état d’alerte permanent, cet ennemi serait toujours sur le
point d’être vaincu mais ne mourrait jamais.
On expliquerait à la population qu’il faut faire des efforts, et que
leur misère est due aux ennemis qui veulent envahir nos chères contrées
pacifiques. De victoire en victoire nous serions in fine perpétuellement
en guerre, juste pour nous maintenir dans la peur de l’autre, juste
pour nous maintenir sous le contrôle du gouvernement.
Notre temps serait si pris par l’activité que nous n’aurions plus le
temps de penser. Ni même d’imaginer que nous pourrions ne pas être
libres. Nous ferions ce qu’on nous dit et pour ceux qui ne voudraient
pas se soumettre on les ferait disparaître soit des écrans, soit
complètement. On leur pourrirait tellement la vie qu’ils regretteraient
d’avoir osé défié le pouvoir.
Si nous étions en 1984 celui qui lit ces lignes penserait que je suis
un affabulateur, un pessimiste ou un grincheux. Un complotiste ? Il se
dirait que puisqu’il peut lire ces lignes il n’y a rien à craindre :
nous sommes en démocratie. Personne ne pourrait croire un truc pareil !
Heureusement que nous sommes en 2017 !
Caleb Irri
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