vendredi 28 juillet 2017

Si nous étions en 1984

Caleb Irri               

Si nous étions en 1984, des drones pourraient nous surveiller d’en haut, de maison en maison, de rue en rue, de quartier en quartier…

Nous nous lèverions le matin pour aller travailler dans un ministère quelconque, sous l’oeil de BIG BROTHER dès le petit déjeuner. Notre smartphone, notre télé, notre caméra de sécurité. On nous surveille, on nous protège ?
Au boulot nous discuterions avec les collègues des terroristes et de la guerre, en espérant bien qu’un jour tout cela se termine. Mais nous ferions attention à ce que nous pourrions dire, on ne sait jamais…
Nous en serions sûrs, nous les gentils on finirait bien par gagner. D’ailleurs l’ennemi n’avait-il pas reculé ?
On rentrerait chez nous la peur au ventre quand nous croiserions une femme sous une burqa (serait-ce vraiment une femme ?), prêts à la dénoncer au moindre geste suspect.
On s’enfermerait chez soi pour apprendre à nos enfants ce qu’il faut faire et comment, ce qui est bien ou pas. En regardant le télécran – notre smartphone. Il nous dirait que nous sommes heureux, et que tout va aller mieux. Il suffirait de regarder comment dans le « monde libre » des gens avaient une vie merveilleuse, et comment ailleurs on vivait dans la barbarie. On regarderait des émissions dans lesquelles on peut cracher sa haine, seuls ou en groupe, pendant bien plus que deux minutes.
On cesserait de faire l’amour pour regarder des pornos en réalité virtuelle, et on mangerait la merde que des « grands chefs » nous vendraient pour pas cher. On tuerait l’imagination et la réflexion par le travail et les mille choses du quotidien, avec des célébrations commémoratives populaires auxquelles ne pas se rendre vous rendrait suspect : on saurait qui est Charlie et qui ne l’est pas.
Nous écouterions de la musique faite par des algorythmes, améliorées par des ordinateurs à l’oreille absolue, et nous lirions des articles rédigés par des machines. On transformerait l’Histoire au fur et à mesure qu’elle se déroule pour faire correspondre la réalité avec le fantasme de croissance perpétuel vendu quotidiennement par des médias impartiaux.
Le double-langage et la double-pensée seraient si aboutis qu’on finirait presque par croire qu’un licenciement massif est un plan de sauvegarde de l’emploi. Ou que la suppression des aides sociales est une motivation. Ou que le CDI de courte durée est à durée indéterminée. Ou que la guerre c’est la paix.
Notre président serait un grand frère attentionné et proche de son peuple. Il gouvernerait par ordonnances et contrôlerait tout. Ne supportant pas la critique et ayant une vue globale des événements incompatible avec l’aveuglement des masses, il instaurerait l’état d’urgence de manière permanente, lutterait contre l’indépendance des médias et ferait restreindre nos libertés au nom de notre sécurité, sans jamais nous l’apporter. Il jouerait sur nos peurs pour nous faire accepter son autoritarisme.
En matière de travail il nous libérerait des patrons, en nous permettant à tous de le devenir ; et seuls les membres du parti bénéficieraient de certains privilèges. Eux seuls mangeraient les produits sains, voyageraient sans contrainte et posséderaient des esclaves (enfin des collaborateurs). Il faudrait aimer ce grand frère comme s’il était la perfection.
Si nous étions en 1984 il n’y aurait qu’un seul parti, et notre gouvernement serait maintenu en place par le seul jeu des institutions. Le gouvernement formerait un jour une alliance avec un dirigeant autoritaire, et puis le lendemain avec son ennemi (autoritaire lui-aussi). Il fabriquerait l’Histoire a posteriori pour qu’elle corresponde aux victoires de la Nation. Nous aurions aussi notre Goldstein, les terroristes. Goldstein serait comme BIG BROTHER, immortel. Susceptible de frapper partout et à n’importe quel moment, et ce malgré un état d’alerte permanent, cet ennemi serait toujours sur le point d’être vaincu mais ne mourrait jamais.
On expliquerait à la population qu’il faut faire des efforts, et que leur misère est due aux ennemis qui veulent envahir nos chères contrées pacifiques. De victoire en victoire nous serions in fine perpétuellement en guerre, juste pour nous maintenir dans la peur de l’autre, juste pour nous maintenir sous le contrôle du gouvernement.
Notre temps serait si pris par l’activité que nous n’aurions plus le temps de penser. Ni même d’imaginer que nous pourrions ne pas être libres. Nous ferions ce qu’on nous dit et pour ceux qui ne voudraient pas se soumettre on les ferait disparaître soit des écrans, soit complètement. On leur pourrirait tellement la vie qu’ils regretteraient d’avoir osé défié le pouvoir. 


Si nous étions en 1984 celui qui lit ces lignes penserait que je suis un affabulateur, un pessimiste ou un grincheux. Un complotiste ? Il se dirait que puisqu’il peut lire ces lignes il n’y a rien à craindre : nous sommes en démocratie. Personne ne pourrait croire un truc pareil !
Heureusement que nous sommes en 2017 !

Caleb Irri

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