Il n’aura pas fallu trois mois pour que l’illusion se dissipe. Et
voilà : Emmanuel Macron est banalement de droite. La belle découverte !
À force de répéter à longueur de colonnes que tout est nouveau dans
notre paysage politique, les commentateurs avaient fini par le croire.
Ils en avaient perdu de vue l’essentiel. C’est-à-dire, précisément, ce
qui n’a pas changé. Car, Macron ou pas Macron, la politique est toujours
affaire de répartition des richesses et de conflictualité sociale. On
ne peut pas raconter longtemps des histoires aux gens que l’on
appauvrit. Une habile communication avait fait tourner la tête de
beaucoup d’habitués des plateaux de télévision. Le magicien de l’Élysée
avait réussi, nous disait-on, à dépasser le clivage gauche-droite. Il
devait beaucoup, il est vrai, au ralliement ventre à terre des « réputés
» de gauche, issus de l’ancienne majorité.
Mais, il n’aura pas fallu trois mois pour que
l’illusion se dissipe. Et voilà : Emmanuel Macron est banalement de
droite. La belle découverte ! L’affaire de la diminution des aides au
logement a dégrisé les esprits. Notre président « ni de droite ni de
gauche » est allé prendre dans la poche de nos concitoyens qui vivent
sous le seuil de pauvreté, tandis qu’il exonère de l’impôt sur la
fortune les actionnaires et les rentiers de la finance. Aucun de ses
prédécesseurs ne s’était à ce point caricaturé. D’autant que, quelques
jours auparavant, il avait annoncé le gel du point d’indice des
fonctionnaires et la hausse de la CSG. Résultat : une chute dans les
sondages plus rapide que pour son prédécesseur dans le même laps de
temps. Cette « hollandisation » précoce est un mauvais présage. D’autant
qu’il a devant lui la réforme du code du travail, grande affaire de la
rentrée.
Que
les analystes politiques soient déniaisés (quand ils n’étaient pas
complices) ne change, hélas, rien au rapport de force. Car, d’un point de
vue institutionnel, rien n’empêche à présent l’exécutif d’agir à sa
guise. C’est le paradoxe et l’absurdité de notre République : après huit
mois d’intenses débats, d’arguments et de contre-arguments distillés
jusqu’à saturation, les Français n’ont plus voix au chapitre. Ils ont
voté, et cela vaut blanc-seing pour cinq ans. Cette situation est
illustrée par le fonctionnement du groupe majoritaire à l’Assemblée. Les
députés de cette « France très soumise » ont été invités à faire, par
écrit, vœu de silence et d’obéissance. C’est promis, et pour ainsi dire
contractualisé, ils voteront tout sans barguigner. Ils ne déposeront pas
d’amendements. Même les états d’âme leur sont fortement déconseillés.
Pas de contact improvisé avec la presse. Ils ne s’appartiennent plus, ni
à eux ni à leurs électeurs. Si l’expression « députés godillots »
n’existait pas depuis la majorité gaulliste des années 1960, il faudrait
l’inventer.
Mais la discipline qui cimente le groupe de La
République en marche est d’une autre nature. Il y avait bien sûr quelque
chose de militaire au temps du général. Et loin de moi l’envie d’en
faire l’éloge aujourd’hui. Mais nous avons affaire ici à un projet très
nouveau dans la politique française : une mainmise du privé sur la chose
publique. C’est un peu la directive « secret des affaires » étendue à
la politique. Le groupe dévoué à Emmanuel Macron fonctionnera comme un
conseil d’administration. Si bien que le système Macron, l’air de rien,
finirait par ressembler à une sorte d’idéal libéral dont rêvaient les
idéologues du Mont-Pèlerin [1]. Puisqu’il s’agit de mener une politique
au profit des grandes entreprises et de la finance, pourquoi ne pas
emprunter les mœurs et l’opacité des milieux d’affaires ?
Cette faible culture démocratique fait évidemment problème. La
politique n’est pas faite pour être privatisée. Faut-il alors se
résigner à compter les coups qui vont être portés aux salariés ? Non,
bien sûr.
Car il y a fort à parier que rien ne se passera
comme les conseillers d’Emmanuel Macron le voudraient. Si les lieux
institutionnels sont verrouillés, les espaces délibératifs vont
nécessairement se déplacer. On verra sans doute de plus en plus
fréquemment les députés France insoumise, communistes et peut-être même
de la Nouvelle Gauche, porte-voix en mains, au cœur des manifestations.
La jonction avec le mouvement social sera impérative pour tout élu de
gauche qui veut exister. On peut aussi imaginer que les élus de La
République en marche finiront par oublier leurs vœux d’abstinence
démocratique. Ce sera évidemment affaire de climat politique dans le
pays.
Ce qui est sûr, c’est que les enjeux de l’automne 2017 seront
considérables. Non seulement en raison de la gravité de l’offensive
contre le code du travail, mais aussi parce qu’il s’agira de défendre
une certaine idée de la démocratie.
[1] Société fondée en 1947, notamment par l’économiste Friedrich Hayek, inspiratrice de toutes les politiques ultralibérales.
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