Maxime Vivas
Le
texte qui suit est celui de mon éditorial prononcé le lundi 11
septembre à l’antenne de Radio Mon Païs (radiomonpais.fr) à Toulouse
dans le cadre d’une émission culturelle hebdomadaire que j’anime et où
s’expriment cinq chroniqueurs : théâtre, cinéma, littérature, histoire
et revue de presse (par Bernard Gensane).
Nous
sommes le 11 septembre et personne n’a oublié un tragique 11 septembre
de l’autre côté de l’Atlantique, un 11 septembre qui a plongé le monde
dans l’effroi. Ces avions porteurs de mort dans le ciel. Les cris
d’épouvante et les larmes des familles des victimes (des milliers de
victimes).
Ce 11 septembre une démocratie a été la cible de
fanatiques qui ne savent même pas ce que le mot démocratie veut dire. Ce
11 septembre, du haut du ciel, la mort est tombée, brusquement, sans
préavis.
Ce 11 septembre a été la froide mise en œuvre d’un plan ourdi dans l’ombre par, aurait dit Aragon, des « assassins que craignent les panthères et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché ».
Comment
le continent américain pourrait-il être le même après le 11 septembre ?
Après ce carnage, après tant de vies innocentes prises par la violence
de l’acier, d’un acier guidé par des monstres ?
Ces avions
porteurs de mort dans le ciel. Et la démocratie pour cible. Et la
liberté pour cible. Et le droit d’un peuple pour cible.
Ces
avions dans le ciel, qui bombardent le palais présidentiel de la Moneda
avec Salvador Allende dedans. C‘était le 11 septembre 1973 à Santiago
du Chili. Revenons un peu en arrière.
Salvador
Allende était le premier président socialiste élu démocratiquement en
Amérique latine.
Il a redistribué les terres aux paysans pauvres, il a réquisitionné ou
nationalisé des entreprises (dont les mines de cuivre) et neuf banques
sur dix. Il a mis en place des mesures sociales comme l’augmentation des
salaires et la distribution gratuite de lait pour les enfants.
Alors,
alors, les USA prennent des mesures économiques contre le Chili tandis
que les médias, à coup de mensonges, préparent l’opinion à un coup de
force.
La CIA investit 7 millions de dollars, distribués aux
partis politiques et aux journaux. Une partie des fonds servira à
organiser la grève des camionneurs qui va asphyxier le pays et créer des
pénuries. Le cours du cuivre s’est effondré. Des ménagères manifestent
avec des casseroles vides pour dire qu’elles n’ont rien à manger.
Et
puis, l’opposition se déchaîne : violences de rues, guerre civile
larvée. Le gouvernement élu organise de grandes manifestations de
soutien, mais la presse ment et prépare les esprits. Le plus influent
quotidien du Chili, El Mercurio, reçoit depuis 2 ans des centaines de
milliers de dollars des États-Unis pour attiser un mécontentement
populaire afin qu’Allende soit obligé de démissionner ou que le peuple
approuve son renversement par la violence.
Salvador Allende a prévu d’annoncer le 12 septembre l’organisation d’un référendum pour que le peuple tranche.
Il
nomme Pinochet, général en chef des armées. Et Pinochet, en ce 11
septembre le trahit, trahit son peuple et trahit la démocratie.
Des avions et des chars d’assaut tirent sur le palais présidentiel. Le
président est tué ou s’est suicidé. Le stade national de Santiago
devient un camp de concentration, de tortures et d’exécutions à ciel
ouvert.
La junte militaire dissout le Congrès national, des conseils municipaux,
des syndicats et des partis politiques. La liberté de la presse est
abolie, le couvre-feu instauré. L’état d’urgence est proclamé.
Les
opposants sont arrêtés, exilés, torturés ou exécutés. Des femmes sont
violées par les putschistes. On voit des cadavres joncher les bords des
routes ou flotter sur le fleuve Mapocho qui traverse Santiago.
La
répression s’abat principalement sur les communistes, socialistes et
militants du MIR. En quelques semaines, près de 1800 personnes sont
assassinées, et des milliers d’autres arrêtées.
Le Figaro d’aujourd’hui [11/9/2017] écrit que « La
dictature du général Pinochet a fait environ 3 200 morts et disparus,
et près de 38.000 personnes ont été torturées, selon des chiffres
officiels ».
Ajoutons enfin que le Chili vivra l’horreur fasciste jusqu’en 1990.
Un 11 septembre qui va durer 17 ans
Durant
ces années, près de 150 000 personnes ont été emprisonnées pour des
motifs politiques. Les exilés sont plusieurs centaines de milliers
(entre 500 000 et un million). La France en a accueilli 15 000. Parmi
lesquels les parents de Raquel Garrido, connue en France pour être
avocate et une des porte-parole de la France insoumise.
C’était d’abord ça, le 11 septembre. Et les citoyens libres, consommateurs d’une presse libre dans les pays libres l’ont oublié
Par la grâce des médias, ils ne retiennent qu’un autre 11 septembre,
celui de 2001, celui des Twin Towers de Manhattan où 2 992 personnes (en
comptant les dix-neuf terroristes), 2 992 personnes de 93 nationalités
vont malheureusement trouver la mort.
La situation à
laquelle a été confronté Salvador Allende au Chili en 1973 se répète,
pratiquement à l’identique dans le Venezuela de 2017
L’opposition
fasciste violente est là, les troubles dans la rue sont là,
l’organisation des pénuries est là, la chute du prix des matières
premières est là, la CIA est là, les sanctions des USA contre le pays
sont là, les médias sont là avec leurs abominables mensonges que leur
répétition en boucles déguise en vérités.
Il manque un Pinochet.
Eh
bien, chers amis auditeurs, dans quelques jours je serai à Caracas pour
participer à une grande rencontre mondiale où des journalistes,
écrivains, intellectuels de nombreux pays diront que le Venezuela a
besoin de corriger des erreurs (comme tous les pays du monde, je crois),
le Venezuela a besoin de lutter contre la corruption, mais il n’a pas
besoin d’un Pinochet.
Il a un président, Nicolas Maduro, élu
jusqu’en 2018 et c’est le peuple, par ses bulletins de vote, qui fera
son choix. Et ça s’appelle la dé-mo-cra-tie.
La démocratie qui parfois (ou souvent) sort des urnes, qui toujours monte du peuple, mais qui jamais ne tombe du ciel.
Le Grand Soir
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