Michel
Le
grand barnum médiatique autour de la mort de Johnny Halliday se termine
et c’est une autre histoire qui commence, celle de la disparition de la
poule aux œufs d’or et des conflits inévitables autour du partage qui
vont s’ensuivre.
Une cérémonie parfaite
Réglée
comme un concert de Johnny, la cérémonie grandiose à laquelle nous
avons eu droit interroge tout de même par l’ampleur des moyens publics
et la mobilisation des politiques autour du cercueil. Une chaîne
publique privatisée pendant quatre ou cinq heures pour assurer la
retransmission ainsi que toutes les principales chaînes privées auront
capté l’attention du téléspectateur jusqu’à lui en faire oublier le
Téléthon relégué sur la Cinq et qui a souffert d’une baisse de dons
conséquente pendant la période de retransmission. Le centre de Paris
totalement bloqué des forces de police conséquente mis à disposition du
cortège funèbre interrogent également.
Côté
mise en scène, les ordonnateurs de la cérémonie ont assuré : un
corbillard vitré assurant la meilleure vue sur le cercueil blanc (comme
Elvis…), un cortège de berlines allemandes noires, la croix du défunt
sur la poitrine de la veuve, la vitre arrière de sa berline
opportunément ouverte lors d’un arrêt laissant voir la peine des
enfants, pour faire de belles photos qu’on reverra dans la presse people
et les derniers pas à la Jackie Kennedy vers l’église de la veuve et de
ses deux enfants derrière le corbillard.
Côté
église, rien à dire là non plus, le carré VIP habillé de noir aux
premiers rangs avec la famille, avec sur les côtés les politiques et les
personnalités du showbiz les plus proches de Johnny et, au fond de
l’église, les « blousons » en jeans ou en cuir qui ont frappé dans les
mains en fin de cérémonie rythmant la musique : la seule improvisation
bienvenue dans cette cérémonie convenue.
Tout
était parfait, mais d’où vient ce malaise éprouvé devant tout ce cirque
médiatique, ce « trop » généralisé, cette emphase en totale
contradiction avec ce qu’était le personnage qui, aux dires de ses amis,
était quelqu’un de plutôt modeste ?
Une mort récupérée et confisquée
De
Macron à Sarkozy, en passant pas Hollande, Larcher, Raffarin, La
Ministre de la Culture et celui de l’éducation (!) et tant d’autres
moins connus, tous les politiques se sont pressés autour du cercueil du
défunt et de la veuve et ses enfants en un ballet indécent à tel point
qu’un téléspectateur débarquant de l’autre bout du monde aurait pu
croire qu’un homme ou une femme politique de premier plan venait de
s’éteindre.
Récupération
est le mot qui convient. Il s’agissait de montrer au-delà d’une
certaine sincérité, au petit peuple de fans qui campaient dehors depuis
de heures et ceux scotchés devant leurs téléviseurs que les politiques
n’étaient pas uniquement les amis des riches et des peoples mais qu’ils
savaient célébrer à l’unisson de la France d’en bas le décès d’une
idole. « Très fédérateur », ce comportement, ont dû leur glisser leurs
communicants et on ne sait jamais, si ça peut faire oublier les cadeaux
aux riches, la diminution des APL et l’augmentation de la CSG pour les
petits retraités…
La
confiscation et la médiatisation à outrance sont sans doute l’œuvre du
clan Halliday lui-même. Face à la perte de la poule aux œufs d’or, même
s’il avait tendance à dépenser sans compter, la famille est devant des
choix commerciaux, en particulier la nécessité de faire survivre
« l’idole » dans les mémoires afin de continuer à vendre les produits
dérivés, les cassettes des concerts et à toucher les droits de
retransmissions. Il faut bien vivre et le partage du patrimoine donnera
sans doute lieu à des déchirements familiaux dont la presse people se
fera l’arbitre des élégances.
Déjà
le site de vente en ligne Le Bon Coin accumule les propositions de
vente d’objets et de colifichets rappelant l’artiste. Lorsqu’il y a de
l’argent à se faire… Prochainement nous verrons apparaitre des produits
dérivés de bon ou mauvais goût, telle la boule à neige avec photo du
chanteur ou le cendrier à son effigie, sans compter la reproduction de
la croix made in Taiwan vendue pour quarante euros seulement, frais de
port inclus, le tout avec reversement de royalties à la famille.
Ils sont la France !
Un
peu gênée aux entournures devant tant de mièvrerie dégoulinante, de
récupération et de confiscation du mort, une partie de la presse a
essayé de mettre en parallèle les décès de Jean D’Ormesson et celle de
Johnny Halliday en titrant « pourquoi ils sont la France ? » (Marianne).
La lecture des articles consacrés aux deux défunts donne tout de même
une image un peu tortueuse de notre beau pays.
Ils
se rejoignent sur un point : les problèmes avec le fisc, le chanteur
étant connu pour ses départs pour la Suisse, puis sa volonté d’adopter
la nationalité Belge, pour pouvoir ensuite mieux parvenir au statut de
résident fiscal Monégasque, le graal en matière d’optimisation.
Aujourd’hui, les techniques d’optimisation fiscale ont sans doute permis
au clan Halliday de transférer une partie des revenus vers des sociétés
basées à l’étranger (cf le confondant aveu de Pagny sur ses droits
d’auteurs versés au Portugal) et la petite entreprise pourra continuer à
fonctionner sans trop reverser au fisc Français. Nous ne sommes plus au
temps de la condamnation du chanteur en 1975 à verser 100 Millions de
Francs au fisc.
Du
côté de Jean d’Ormesson et cela se savait peu, ce sont 16 Millions,
d’euros cette fois, qui étaient dissimulés au fisc sur un compte en
Suisse. Pas mal, pour l’ancien directeur du « Figaro » qui pourfendait
la fiscalité et la dépense publique en oubliant que des gens comme lui
obligeait d’autres moins nantis, et moins bien nés, à payer davantage
d’impôts en raison de leurs comportements frauduleux.
Côté
défense de la patrie, le chanteur n’a pas cherché à se défiler de ses
obligations militaires, ce qui doit être salué, alors que l’académicien,
qui aurait pu comme son confrère Giscard d’Estaing, s’engager dans
l’armée de la libération à la fin de la guerre, s’est bien gardé de le
faire, ce qui constitue un manque important dans le parcours d’un homme
public comme lui. Cela ne l’a pas empêché d’être décoré de la
grand-croix de la Légion d’Honneur par Hollande en 2014…
Autre
ressemblance, politique cette fois, ils avaient en commun d’être tous
les deux de droite, le chanteur ayant à plusieurs reprises apporté son
soutien à des hommes politiques de ce camp, le second étant, de par ses
origines et ses choix éditoriaux dans le Figaro, très marqué à droite.
Sur
le plan du comportement individuel des deux défunts, on notera la
propension à l’excès du chanteur pour les paradis artificiels (alcool,
cocaïne) et la fête, défauts (ou non) que l’on ne connaissait pas à
l’académicien, plus porté sur les conversations de salon bienveillantes
dans lesquelles il n’oubliait jamais de faire preuve d’une très grande
modestie et d’une très grande humilité (surtout vers la fin de sa vie).
Alors,
sont-ils la France ? Non, et le qualificatif de héros employé pour
Johnny semble pour le moins exagéré. Comment comparer un chanteur qui a
fait son boulot à un militaire ou un policier qui se fait tuer pour
défendre le pays, un résistant qui meurt sous la torture, ou un jeune
qui sauve un grand père de la noyade ?
Le pays réel
Ces
deux morts sont la France, certes, dans toutes ses contradictions, son
individualisme, ses renoncements, ses égarements, ses excès, mais il ne
faudrait tout de même pas généraliser et penser que les 65 Millions de
Français leur ressemblent. Leur mode de vie aura été celle de l’élite
possédante grâce à des talents personnels que nous ne sommes pas obligés
de partager tous, et certainement pas le mode de vie de la majorité des
français. Alors, au lieu de célébrer la mort d’un chanteur adulé et de
s’enfermer dans le souvenir d’une commémoration funèbre dithyrambique
destinée à faire rêver un peu plus le petit peuple dans des jours
meilleurs et lui faire les poches en l’incitant à acheter le dernier
coffret de CD ou la cassette de la cérémonie qui ne tarderont pas à
sortir, réfléchissons un peu sur ceux qui sont la France.
Il
y a un mois, j’assistais aux obsèques d’un homme de 44 ans, mort par
accident de la route, percuté par l’arrière par un autre véhicule et
catapulté sur un troisième véhicule venant en face. L’enquête est en
cours et un procès suivra sans doute, tant les responsabilités semblent
évidentes.
Artisan
de son état, venant de finir la construction d’un atelier et de ses
bureaux, marié et père de deux enfants, il laisse sa famille dans un
état total de désarroi. C’est un beau projet de vie qui s’effondre avec
toutes les incertitudes matérielles, mais aussi sur le devenir de ceux
qui restent qui devront vivre avec ce choc toute leur vie.
Il
ne repose pas à Saint Barth mais dans un petit cimetière de la campagne
bretonne et j’ai tendance à penser que c’est lui qui représente le
mieux la France aujourd’hui. Pas mort d’un arrêt cardiaque à 92 ans ni
même à 74, après avoir mené un parcours erratique et s’être égaré, non,
juste quelqu’un de 44 ans, travailleur, fier de sa réussite mais à qui
un conducteur a ôté toutes chances de s’accomplir complètement.
Il faut savoir remettre certaines choses à leur place.
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