Jacques-Marie Bourget
Le
problème des larmes, comme encre pour écrire, c'est qu'elles ne laissent
pas de trace. Alors il ne faut pas seulement pleurer mais tenter
d'emboiter des mots pour tenter de décrire l'indicible.
Fût
un temps où les chinois, quand ils exécutaient un condamné à mort
–c’est-à-dire souvent-, demandaient à la famille de payer le prix de la
balle, celle du peloton. En regard, je pense que les Palestiniens
restent des privilégiés : Israël n’envoient pas de facture aux parents
de ceux qu’elle massacre. La preuve que ce pays est vraiment une grande
démocratie.
Pour avoir reçu, le 21 octobre 2000 à Ramallah, une
balle de M16 produite par IMI (Israël Military Industry) dans le poumon
gauche, je peux témoigner qu’il ne faut pas en faire une montagne. Et
que ces gazaouis qui se font assassiner sont vraiment des pleurnichards.
Quoi de plus noble que d’être touché (comme par la grâce) par un de ces
divins projectiles qui sont comme une onction ? Si vous en êtes atteint
c’est, forcément, que vous étiez en faute, pas dans le droit chemin
mais dans la traverse de l’histoire. Une balle religieuse c’est comme
une goutte d’eau bénite, ça fait du bien où ça coule et ça ne peut pas
se tromper. Et c’est réconfortant de mourir en sachant qu’on est
justement châtié. Survivant, on vous reprochera votre résurrection.
Pour
être objectif, comme mes confrères journalistes qui couvrent en ces
heures si complètement et humainement l’affaire du safari humain de
Gaza, je dois dire que la réception d’un balle de M16, dans le buffet,
est assez surprenante, sidérante. Le calibre 5,56 à 975 kilomètres
heure, c’est bousculant. D’ailleurs on tombe. Après c’est le bonneteau.
Ou vous restez en vie (où ce qu’il en reste), ou vous êtes mort. Voyez
que j’avais raison d’affirmer que ce n’est pas si grave.
Voilà ma
contribution pour rassurer les bonnes consciences, les pétitionnaires
que l’on n’entend pas aujourd’hui. Qu’elle dorme tranquille la clique
des Bruckner et des Val, un bon palestinien est un palestinien mort.
C’est fou ce que certains entendent faire comme bruit autour d’un fait
divers moyen-oriental, même s’il se passe au printemps !
Les
Palestiniens se souviennent un peu plus aujourd’hui, que le reste de
leur temps perdu, de la Nakba, le « cauchemar », la « catastrophe ». Qui
marque, au printemps 48, l’exil pour 800 000 d’entre eux. Pendant
longtemps les menteurs de guerre ont tenté de nous faire avaler que
cette fuite répondait à un appel du grand mufti de Jérusalem disant, en
gros : « quittez le pays pour mieux revenir en conquérants ». C’est une
baliverne. Les Palestiniens ont été chassés par les armes, par la
violence, le crime et la torture, chassés par les milices embryon de la
future « Tsahal ». On nous parle, parfois de Deir Yassin, « l’Oradour
sur Glane de Palestine », comme « le » souvenir du massacre (une
centaine de villageois exécutés). Mais cette tuerie cache d’autres Deir
Yassin, aujourd’hui connus grâce au travail des « nouveaux historiens »
israéliens. Le photographe français Bruno Fert, dans son livre « Les
Absents », glaçant comme l’iceberg du Titanic, nous montre les quelques
pierres et vestiges qui restent de ces villages détruit en 1948. Effacés
de l’histoire.
En septembre 1982, j’ai vu le massacre de Sabra et
Chatila à Beyrouth. Nain face à l’immensité de cette horreur pilotée
par Israël, j’ai attendu 30 années avant de pouvoir apporter un
témoignage. Les crimes son tels que l’on refuse d’en faire des mots. En
décembre de cette année de deuil, l’Assemblée générale de l’ONU a
qualifié cette éradication « d’acte de génocide », acte imprescriptible.
Mais jamais instruit ni puni. Les massacres sont la litanie de
l’histoire des palestiniens, les stations de leur calvaire.
Jadis
cette barbarie récurrente mobilisait les cœurs purs, des hommes et des
femmes descendaient en masse dans les rues de la planète pour hurler.
Puis le 11 septembre, l’attentat contre les tours de New York a été
l’occasion du coup de sifflet final. Les Palestiniens ne sont plus des
combattants luttant pour leur terre, mais des terroristes. Faux dans sa
réalité, le slogan qui a fait des enfants d’Arafat des clones de Ben
Laden et Daech a été efficace. Mieux, avec la montée en force du Hamas
(groupe dont la création a été aidée par Israël), avec ses femmes
voilées et ses barbes, son allégeance aux Frères Musulmans, les
palestiniens ont cessé d’être perçus comme des combattants
nationalistes. Ils sont devenus des pèlerins de la Oumma. Ils ont quitté
le champ de l’indignation pour foncer dans les querelles d’églises, le
Qatar étant la nouvelle Mecque des chefs du Hamas. Ai-je dit qu’il était
juste et bon de bombarder, massacrer, d’affamer Gaza ? Non, mille
fois. Je tente seulement d’expliquer que dans un monde d’images, la
cause palestinienne en passant des icônes de Leila Khaled et d’Arafat au
polaroïd de Khaled Meechal a perdu la guerre de l’émotion.
Cette
banalité des morts palestiniens, voulues par l’opinion publique
israélienne, se traduit dans les lignes, commentaires et titres de notre
presse française, propriété de milliardaires. Sur BFM-TV, Ulysse
Gosset, clown à tête de Lucifer, est très en colère que les morts de
Gaza « soient venus gâcher la fête de Jérusalem, l’ouverture d’une
ambassade des USA qui, une fois de plus, enterrait le droit
international. Les cathos bretons d’Ouest France, eux, voient ces
crimes se situer « en marge » de la pathétique pitrerie de l’ambassade.
Ah les crimes de marge. Marge ou crève ! Pour les autres savants de
presse les mots pour le dire sont prêts : « c’est la faute du Hamas ».
Thème
ancien puisqu’en 2000, juste avant de croiser cette balle de M16 tombée
du ciel, j’avais longuement enquêté sur les ressorts de la « seconde
Intifada ». On accusait Arafat ou Abou Jihad de tirer les ficelles
rouges de la révolte en envoyant la jeunesse au casse-pipe. Et c’était
faux. D’abord nul n’oblige un soldat, même israélien, à tirer sur des
êtres désarmés ou équipés de frondes. Ensuite j’ai vu les mères, elles
aussi chargées de cailloux, qu’elles lançaient à leurs enfants pour les
faire rentrer de force à la maison.
Dire que la mort d’un « martyr »
est, pour ceux qui restent, un épisode de bonheur est une ignominie
badigeonnée de racisme. Jusqu’à ce que soit publiée une étude conduite
de concert par Trump et Netanyahou, du Darwin à rebours, les
Palestiniens sont des êtres vivants. La preuve, ils saignent.
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