Maha Hussaini
Des cerfs-volistes palestiniens utilisent des filets de pêche pour
perturber les drones israéliens déployés au-dessus de Gaza dans le but
de cibler et d’intimider les manifestants qui protestent depuis
plusieurs semaines.
Les cerfs-volants colorés ornés de drapeaux,
de slogans et de motifs sont devenus un symbole de résistance face à
l’écrasante force militaire israélienne. Des enfants et des jeunes se
réunissent ainsi chaque vendredi pour déployer ce qu’ils appellent la
« nouvelle génération de F-16 », en référence aux avions de combat
israéliens fréquemment aperçus dans le ciel de l’enclave côtière.
Certains,
dotés d’une queue enflammée, ont également été dirigés vers le
territoire israélien, provoquant plusieurs incendies dans les terres
agricoles et les forêts adjacentes à Gaza et incitant les responsables
israéliens à avertir les cerfs-volistes qu’ils couraient le risque
d’être ciblés par les snipers.
Les forces israéliennes ont fait au moins 132 victimes et
plusieurs milliers de blessés depuis le début des protestations de la
Grande marche du retour en mars, d’après le ministère gazaoui de la
Santé. Et selon des Palestiniens interrogés par Middle East Eye, des
cerfs-volistes ont déjà été visés.
Israël a également déployé des
drones de course pilotés par des amateurs pour intercepter les
cerfs-volants. Néanmoins, les cerfs-volistes affirment avoir réussi à
attraper un des drones en transportant des filets de pêche dans les
airs.
« C’est
toujours excitant de défier les armes israéliennes avec les ressources
très simples dont nous disposons », témoigne à MEE Murad al-Zweiri,
27 ans. C’est lui qui a fait voler le premier cerf-volant en territoire
israélien le premier jour des manifestations.
« Nous avons abattu
un drone israélien vendredi dernier et nous continuerons d’agir ainsi
tant que l’armée israélienne utilisera des drones et des balles réelles
contre des manifestants non armés. C’est la moindre des choses que nous
puissions faire face à toute cette violence. »
D’après
Zweiri, qui ne souhaite pas donner son véritable nom pour des raisons
de sécurité, les forces israéliennes visent également les cerfs-volants
avec des missiles tirés par des drones.
« Je reviens tout juste
des manifestations dans le camp de réfugiés de Bureij, où un drone
israélien nous a ciblés avec un missile alors que nous essayions de
faire voler des cerfs-volants et des ballons enflammés »,
raconte-t-il. « Ils auraient pu abattre le cerf-volant avec une toute
autre arme qu’un missile. »
« Un symbole de paix »
D’autres
affirment qu’ils considèrent les cerfs-volants comme un « symbole de
paix et de liberté » inspiré des cerfs-volants que les enfants de Gaza
aiment faire voler lors d’excursions à la plage.
Selon Abed
Marwan, 25 ans, beaucoup d’enfants et de jeunes passent leur été dans
les camps de protestation au lieu d’aller à la plage.
« Même s’ils
causent des dégâts aux terres déjà prises par la force aux
Palestiniens, les cerfs-volants sont toujours un symbole de paix et de
liberté. Au moins, ils ne ciblent ou ne tuent personne et ce n’est pas
notre objectif », explique-t-il.
« Je peux vous dire que les jeunes Palestiniens sont capables de
créer d’autres outils qui causeraient beaucoup plus de dégâts et de
pertes aux colonies israéliennes, mais ils ne veulent pas transformer
les protestations en affrontements violents. »
Marwan raconte avoir vu des snipers israéliens cibler des cerfs-volistes au cours des manifestations.
« Mon
ami se tenait juste devant moi quand il a été directement touché à la
jambe alors qu’il faisait voler un cerf-volant enflammé »,
rapporte-t-il. « Vous imaginez ? Ils ont affronté un cerf-volant avec
une balle explosive qui va probablement lui coûter une invalidité à long
terme. »
Saleh Ahmed, un jeune homme de 23 ans qui a été blessé deux fois en
une semaine pendant les protestations, explique à MEE que des snipers
israéliens l’ont pris pour cible parce qu’il faisait voler des
cerfs-volants près de la barrière frontalière.
« La première fois
que j’ai été blessé, je me trouvais à plusieurs centaines de mètres de
la clôture. Je faisais voler un cerf-volant enflammé, lorsqu’un tireur
d’élite israélien m’a tiré directement dans la jambe », raconte Ahmed.
« Le
vendredi suivant, ma jambe était bandée et je ne pouvais donc pas
manipuler des cerfs-volants. J’ai juste participé aux prières du
vendredi et je suis resté là à regarder les manifestants, avant de
recevoir une autre balle, dans l’autre jambe. »
Ahmed, qui
continue d’assister aux manifestations malgré ses blessures, précise que
les forces israéliennes ont également pris des photos des
cerfs-volistes afin de pouvoir « les cibler facilement plus tard ».
« Le résultat est toujours le même »
Warda
al-Zebda, une femme de 37 ans qui participe fréquemment aux
protestations, confie à MEE éprouver un sentiment de liberté et une
connexion avec sa ville d’origine, aujourd’hui située en Israël, quand
elle manipule des cerfs-volants.
« La raison pour laquelle ces
jeunes et ces enfants sont passés de cerfs-volants inoffensifs à des
cerfs-volants enflammés est la manière dont les forces israéliennes
réagissent depuis le premier jour », explique Zebda à MEE.
« Les
gens ici ont pris conscience qu’ils seront toujours confrontés à une
force excessive et arrosés de tirs à balles réelles, qu’ils emploient
des méthodes pacifiques ou non, le résultat est toujours le même. »
« Nous
[les Palestiniens] avons cette chose que je n’ai trouvée nulle part
ailleurs dans le monde. Plus ils essaient de nous opprimer, plus nous
sommes forts et tenaces », ajoute Zebda.
Parmi les manifestants, des femmes et des enfants construisent et lancent des cerfs-volants (MEE/Mohammed Asad)
Selon des informations rapportées la semaine dernière par Haaretz,
Israël a estimé le coût des incendies causés par les cerfs-volants à
1,4 million de dollars et la commission des Affaires étrangères et de la
Défense de la Knesset a approuvé une
proposition du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou visant à
déduire une « indemnisation » des fonds consacrés à l’Autorité
palestinienne.
Anas Moin, un journaliste de 24 ans, assure que
cette décision n’affecterait pas les Palestiniens vivant dans la bande
de Gaza, « puisqu’ils ne reçoivent déjà pas ces fonds ».
L’Autorité
palestinienne a imposé ses propres sanctions à la bande de Gaza depuis
que le Hamas en a pris le contrôle en 2007, une situation qui a provoqué
des protestations la semaine dernière à Ramallah, en Cisjordanie.
« Les
gens ici endurent des sanctions politiques et économiques imposées par
tous les camps depuis onze ans. Pensez-vous vraiment qu’une décision de
plus les arrêtera maintenant ? »
« Bien qu’ils causent assurément
des dégâts aux terres agricoles occupées, les pertes causées par les
cerfs-volants enflammés ne peuvent être comparées aux armes interdites
par le droit international que les forces israéliennes utilisent contre
des milliers de manifestants non armés qui ne font qu’exiger leurs
droits fondamentaux. »
Pour les enfants de Gaza, faire voler des cerfs-volants est un jeu d’été potentiellement fatal.
Ahmed
Yassin, 13 ans, raconte à MEE qu’il se rend tous les jours dans les
camps de protestation pour créer de nouveaux cerfs-volants.
« Je
suis venu avec mes frères et mes cousins tous les jours depuis le début
des protestations. Nous créons des cerfs-volants colorés ornés du
drapeau palestinien et nous ajoutons parfois une queue enflammée »,
admet-il.
« J’ai beaucoup d’amis qui ont été blessés en faisant
voler des cerfs-volants, mais nous n’arrêterons pas. C’est devenu mon
activité préférée depuis deux mois. Quelque chose qui vient de Gaza et
qui, au moins, peut enfin traverser les frontières. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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