vendredi 29 juin 2018

Erdogan l’Ottoman triomphe… Tant pis pour les Turcs, tant mieux pour l’Europe


Victor Ayoli

Les résultats des élections de ce 24 juin 2018 s’apparentent clairement à la confiscation par un seul homme du destin et de l’avenir de toute une Nation.

L’opposition y a cru, mais la réalité turque demeure que le modernisme des grandes villes ne fait pas le poids face au conservatisme dévot des campagnes. Et comme la Turquie reste majoritairement rurale, les résultats des élections étaient – hélas – attendus. Quelques bourrages d’urnes et de rugueuses intimidations ont fait le reste.
Erdogan, qui se plaît à se faire appeler le Sultan, est un dangereux mégalo qui se prend pour Souleiman-le-magnifique. Un dictateur qui embastille les journalistes, qui massacre sa population kurde, qui a « purgé » la justice, l’éducation, l’armée et tous les services civils.
Erdogan a « tué » Atatürk (« le père des Turcs »), figure tutélaire omniprésente dont les bustes et les portraits ornent tous les bâtiments officiels. Erdogan hait celui qui a déposé le sultan, supprimé le califat et changé l’alphabet, imposant par la force la modernité occidentale et qui a proféré ces paroles « blasphématoires » : « L’islam est un chien puant dont il faut débarrasser la Turquie »
Lui, Erdogan, est un visionnaire qui rêve d’une Turquie revenant dans le sillon de l’islam et de son histoire ottomane. « Nous voulons forger une jeunesse religieuse et moderne […], une jeunesse qui revendique sa religion, son langage, sa sagesse, sa chasteté et ses rancunes ».
Pourtant, avec un angélisme tangentant la konnerie, on y a cru à Erdogan. En 2003, lorsqu’il est devenu chef du gouvernement turc, il a été salué en Europe et aux USA comme un leader musulman modéré. Certains commentateurs enthousiastes (n’est-ce pas Guetta ?) voyaient en lui l’initiateur d’une « démocratie islamiste » sur le modèle des « démocraties chrétiennes » occidentales.
Il promettait une normalisation démocratique de son pays et a effectivement fait quelques réformes dans ce sens, avec la perspective d’une adhésion à l’Union Européenne. Il a aussi fortement amélioré l’économie de la Turquie et donc le bien-être de son peuple. Ce qui explique son indéniable popularité et donc son succès toujours renouvelé dans les urnes.
Il a baissé le masque dès 2010, avouant explicitement son ambition de créer une société conforme à la vision de l’islam politique. Depuis la démocratie est réduite au seul scrutin majoritaire et la nation définie comme l’ensemble des Turcs votant pour sa personne. Les valeurs conservatrices religieuses, d’abord « conseillées » à la population, lui sont progressivement imposées. Les valeurs de l’islam sunnite sont désormais inscrites dans le cursus scolaire. La mentalité patriarcale et les valeurs conservatrices religieuses, en particulier dans le domaine de la famille et du statut de la femme, deviennent hégémoniques et une propagande sournoise dénigre le mode de vie occidental laïc.
Erdogan a également eu un double langage concernant la question kurde. En 2013 il a entamé un processus de paix en espérant s’attirer ainsi l’électorat kurde. Mais lorsqu’il a constaté que cette ouverture profitait aux forces démocratiques et renforçait le mouvement indépendantiste kurde, il a de nouveau ranimé la guerre qui ravage le sud-est du pays et massacre les populations civiles kurdes.
Et puis il y a eu le « coup d'État » manqué du 15 juillet 2016. Ce putsch ressemble à une embrouille menée par des incompétents, par les Pieds Nickelés du coup d’État ! Parce qu’en matière de coups d’État, l’armée turque a pourtant un indéniable « savoir-faire » ! Si bien que si l’on n’est pas trop naïf, on peut légitimement penser que ce putsch d’amateurs a été téléguidé par le pouvoir, organisé par quelques officiers manipulés à leur insu par Erdogan, réalisés par quelques milliers de troufions pas très motivés. S’ils avaient vraiment voulu, les putschistes seraient allés, avant tout, arrêter Erdogan qui était en vacances au bord de la Méditerranée, à Gokcek. Au lieu de ça, ils ont fait vrombir quelques avions dans le ciel d’Istanbul, ont envoyé quelques chars d’assaut sur les ponts et devant l’aéroport et fait diffuser un communiqué à la télé. L’autre, comme s’il s’y attendait, a téléphoné à une chaîne de télé privée, comme par hasard pas occupée par les Pieds Nickelés, et appelé ses partisans à descendre dans la rue au moyen de son téléphone portable. Mort de rire ! Ça pue la manip bien huilée ! Ce n’est pas très crédible mais il y a eu tout de même 260 morts. Ce qui n’a jamais arrêté un dictateur. Au contraire, ça donne de la crédibilité au putsch. Et c’est ce qu’on appelle dans le langage fleuri des « puissants » des dommages collatéraux… À partir de là, l’islamiste Erdogan a eu les coudées franches pour détruire toutes les avancées laïques d’Atatürk. Celui-ci, fondateur de la Turquie moderne, laïque, avait fait de l’armée la garante de la Constitution et de la Laïcité. Erdogan a effacé tout ce qui restait de son illustre prédécesseur. Il a réalisé une purge gigantesque dans tout ce qui pouvait lui résister. L’armée est épurée comme il dit, de même que la magistrature. Ne restent que les officiers de son bord et les magistrats qui lui font allégeance. Les autres sont embastillés par le fait du prince (enfin, du sultan), en attendant d’être passés par les armes, puisque ce grand démocrate - amie de Frau Merkel qui se prosterne devant lui - envisage de rétablir la peine de mort. Quant à la presse, celle qui a le droit de s’exprimer, elle est entièrement et obligatoirement sous la coupe du pouvoir. Les journalistes les plus critiques sont déjà en taule…
Et pourtant, malgré ces conditions, les oppositions turques ont fait bonne figure, ce qui n’a pas empêché l’islamiste Erdogan d’être largement réélu.
N’oublions pas ces paroles du « Sultan » : « Les minarets sont nos glaives et les coupoles de nos mosquées nos boucliers ».

Plaignons les Turcs mais, égoïstement, espérons que les évènements actuels vont définitivement stopper cette ineptie monstrueuse que serait l’entrée de la Turquie – et de ses 80 millions de musulmans – dans l’E.U.

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