Victor Ayoli
Les résultats des élections de ce 24 juin 2018 s’apparentent clairement à
la confiscation par un seul homme du destin et de l’avenir de toute une
Nation.
L’opposition y a cru, mais la réalité turque demeure que le
modernisme des grandes villes ne fait pas le poids face au conservatisme
dévot des campagnes. Et comme la Turquie reste majoritairement rurale,
les résultats des élections étaient – hélas – attendus. Quelques
bourrages d’urnes et de rugueuses intimidations ont fait le reste.
Erdogan, qui se plaît à se faire appeler le Sultan, est un dangereux
mégalo qui se prend pour Souleiman-le-magnifique. Un dictateur qui
embastille les journalistes, qui massacre sa population kurde, qui a
« purgé » la justice, l’éducation, l’armée et tous les services civils.
Erdogan a « tué » Atatürk (« le père des Turcs »), figure tutélaire
omniprésente dont les bustes et les portraits ornent tous les bâtiments
officiels. Erdogan hait celui qui a déposé le sultan, supprimé le
califat et changé l’alphabet, imposant par la force la modernité
occidentale et qui a proféré ces paroles « blasphématoires » : « L’islam est un chien puant dont il faut débarrasser la Turquie »…
Lui, Erdogan, est un visionnaire qui rêve d’une Turquie revenant dans le sillon de l’islam et de son histoire ottomane. « Nous
voulons forger une jeunesse religieuse et moderne […], une jeunesse qui
revendique sa religion, son langage, sa sagesse, sa chasteté et ses
rancunes ».
Pourtant, avec un angélisme tangentant la konnerie, on y a cru à
Erdogan. En 2003, lorsqu’il est devenu chef du gouvernement turc, il a
été salué en Europe et aux USA comme un leader musulman modéré. Certains
commentateurs enthousiastes (n’est-ce pas Guetta ?) voyaient en lui
l’initiateur d’une « démocratie islamiste » sur le modèle des
« démocraties chrétiennes » occidentales.
Il promettait une normalisation démocratique de son pays et a
effectivement fait quelques réformes dans ce sens, avec la perspective
d’une adhésion à l’Union Européenne. Il a aussi fortement amélioré
l’économie de la Turquie et donc le bien-être de son peuple. Ce qui
explique son indéniable popularité et donc son succès toujours renouvelé
dans les urnes.
Il a baissé le masque dès 2010, avouant explicitement son ambition de
créer une société conforme à la vision de l’islam politique. Depuis la
démocratie est réduite au seul scrutin majoritaire et la nation définie
comme l’ensemble des Turcs votant pour sa personne. Les valeurs
conservatrices religieuses, d’abord « conseillées » à la population, lui
sont progressivement imposées. Les valeurs de l’islam sunnite sont
désormais inscrites dans le cursus scolaire. La mentalité patriarcale et
les valeurs conservatrices religieuses, en particulier dans le domaine
de la famille et du statut de la femme, deviennent hégémoniques et une
propagande sournoise dénigre le mode de vie occidental laïc.
Erdogan a également eu un double langage concernant la question
kurde. En 2013 il a entamé un processus de paix en espérant s’attirer
ainsi l’électorat kurde. Mais lorsqu’il a constaté que cette ouverture
profitait aux forces démocratiques et renforçait le mouvement
indépendantiste kurde, il a de nouveau ranimé la guerre qui ravage le
sud-est du pays et massacre les populations civiles kurdes.
Et puis il y a eu le « coup d'État » manqué du 15 juillet 2016. Ce
putsch ressemble à une embrouille menée par des incompétents, par les
Pieds Nickelés du coup d’État ! Parce qu’en matière de coups d’État,
l’armée turque a pourtant un indéniable « savoir-faire » ! Si bien que
si l’on n’est pas trop naïf, on peut légitimement penser que ce putsch
d’amateurs a été téléguidé par le pouvoir, organisé par quelques
officiers manipulés à leur insu par Erdogan, réalisés par quelques
milliers de troufions pas très motivés. S’ils avaient vraiment voulu,
les putschistes seraient allés, avant tout, arrêter Erdogan qui était en
vacances au bord de la Méditerranée, à Gokcek. Au lieu de ça, ils ont
fait vrombir quelques avions dans le ciel d’Istanbul, ont envoyé
quelques chars d’assaut sur les ponts et devant l’aéroport et fait
diffuser un communiqué à la télé. L’autre, comme s’il s’y attendait, a
téléphoné à une chaîne de télé privée, comme par hasard pas occupée par
les Pieds Nickelés, et appelé ses partisans à descendre dans la rue au
moyen de son téléphone portable. Mort de rire ! Ça pue la manip bien
huilée ! Ce n’est pas très crédible mais il y a eu tout de même 260
morts. Ce qui n’a jamais arrêté un dictateur. Au contraire, ça donne de
la crédibilité au putsch. Et c’est ce qu’on appelle dans le langage
fleuri des « puissants » des dommages collatéraux… À partir de là,
l’islamiste Erdogan a eu les coudées franches pour détruire toutes les
avancées laïques d’Atatürk. Celui-ci, fondateur de la Turquie moderne,
laïque, avait fait de l’armée la garante de la Constitution et de la
Laïcité. Erdogan a effacé tout ce qui restait de son illustre
prédécesseur. Il a réalisé une purge gigantesque dans tout ce qui
pouvait lui résister. L’armée est épurée comme il dit, de même que la
magistrature. Ne restent que les officiers de son bord et les magistrats
qui lui font allégeance. Les autres sont embastillés par le fait du
prince (enfin, du sultan), en attendant d’être passés par les armes,
puisque ce grand démocrate - amie de Frau Merkel qui se prosterne devant
lui - envisage de rétablir la peine de mort. Quant à la presse, celle
qui a le droit de s’exprimer, elle est entièrement et obligatoirement
sous la coupe du pouvoir. Les journalistes les plus critiques sont déjà
en taule…
Et pourtant, malgré ces conditions, les oppositions turques ont fait
bonne figure, ce qui n’a pas empêché l’islamiste Erdogan d’être
largement réélu.
N’oublions pas ces paroles du « Sultan » : « Les minarets sont nos glaives et les coupoles de nos mosquées nos boucliers ».
Plaignons les Turcs mais, égoïstement, espérons que les évènements
actuels vont définitivement stopper cette ineptie monstrueuse que serait
l’entrée de la Turquie – et de ses 80 millions de musulmans – dans
l’E.U.
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