samedi 30 juin 2018

Sécurité routière, 80 km/h : le monde rural refuse de tomber dans le panneau


Olivier Chartrain

L’opposition à la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, effective dimanche, émane surtout des habitants des campagnes qui vivent cela, non sans raisons, comme une brimade de plus.

Les Français auraient-ils un goût pour la mort ? À écouter le gouvernement, alors que la nouvelle limitation à 80 km/h sur le réseau secondaire devient effective ce dimanche 1er juillet, la question est légitime. Quiconque ose simplement mettre en question cette mesure est sitôt accusé de faire peu de cas des morts de la route et des 300 à 400 vies qu’elle promet de sauver. Or, à en juger par le concert de protestations d’élus, de manifestations, de critiques soulevées depuis l’annonce faite en janvier par le premier ministre, Édouard Philippe, cela fait du monde ! Tant de gens prêts à mettre leur vie et celle des autres en danger pour 10 petits km/h ? Allons…

Approximations et demi-mensonges volontaires

Dans son principe, la mesure est inattaquable. « Plus grande est la vitesse, plus il est difficile d’éviter l’accident et plus les conséquences sont graves », expliquait en conférence de presse Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la Sécurité routière. « 1 % de vitesse moyenne en moins, ajoutait-il, c’est 4 % de mortalité en moins. » Autre argument indiscutable : il faut 13 mètres en moins pour freiner à 80 km/h par rapport à 90 km/h, ce qui en soi, mécaniquement, sauvera des vies.
L’honnêteté oblige tout de même à noter que, selon les propres chiffres de la sécurité routière, si les quelque 400 000 km de routes concernés représentent « 20 % du réseau mais 55 % des tués », ces routes ne présentent aucune « surdangerosité » : ce sont juste les routes… où l’on roule le plus. Mais ces approximations et demi-mensonges volontaires ne disent pas pourquoi cette mesure, incontestablement bénéfique, fait l’objet d’une telle protestation. Le directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Cédric Szabo, nous livre une première clé : « Il y a un problème de méthode, celui d’une décision unilatérale, prise d’en haut, en flagrante opposition avec l’accord de méthode passé entre le gouvernement et les collectivités locales. »
Surtout, il y a un problème de contexte. On n’envisage pas la route de la même manière quand on est un pur Parisien qui peut se permettre de vivre confortablement sans avoir le permis de conduire ou un rural contraint de posséder une voiture et de l’utiliser pour pouvoir accomplir chaque acte de sa vie quotidienne – ou presque. Pas besoin d’aller chercher plus loin les raisons de l’opposition massive à cette mesure qui s’est exprimée en provenance du monde rural et de ses relais. Daniel Gargaud, responsable de la Fédération des motards en colère (FFMC) dans la Creuse, explique : « Chez nous il n’y a plus de transports publics : le train Bordeaux-Lyon s’arrête à Guéret une fois le matin, une fois le soir, et c’est tout. Il y a des cars, privés, affrétés par la région. Alors la voiture, ce n’est pas juste un moyen de transport pour aller chercher le pain : c’est un outil de travail. Celui qui demain va perdre son permis pour avoir roulé à 85 km/h va perdre son travail. » Une situation que la possible fermeture des « petites lignes » SNCF aggraverait.

Pour emmener ses enfants à l’école, il faut faire des kilomètres

L’accès au travail n’est pas le seul enjeu. Depuis des années, une politique constante – et poursuivie par l’actuel gouvernement – vide le monde rural de ses services. Et pas seulement dans les villages : les villes, petites et moyennes, sont également concernées. Aujourd’hui, pour emmener ses enfants à l’école (souvent celle du village voisin) et les ramener, pour les emmener faire du sport aux quatre coins de l’intercommunalité, pour aller chez le médecin puis chez le pharmacien, pour aller à la poste, à Pôle emploi, au Trésor public, à la gendarmerie, pour acheter le journal, le pain, se rendre au bar-tabac, aller faire les courses… il faut faire des kilomètres. Toujours plus de kilomètres, à mesure que la fermeture l’un après l’autre des services publics, au nom de l’impérieuse nécessité de réduire les dépenses publiques, entraîne la perte d’activités et la baisse d’attractivité de ces « territoires », comme on les appelle.
Les habitants des zones rurales subissent ainsi des déplacements fortement contraints, de plus en plus longs et nombreux, de plus en plus coûteux avec la hausse des prix des carburants – pour des populations économiquement fragiles. L’allongement des temps de transport qui va découler de la nouvelle limitation, ajouté à l’impossibilité de dépasser les camions ou autres obstacles en toute sécurité sans enfreindre la loi, n’arrangera rien. Et tout cela sur des routes de plus en plus dangereuses, car de moins en moins entretenues : « Pour les refaire ils mettent des gravillons parce que c’est moins cher, raconte Daniel Gargaud, mais ça ne tient pas et après la route est une vraie patinoire. Quant à nous, motards, tous les ans on nous promet le doublement des glissières qui nous tuent… mais rien ne se fait ! » Un cumul de facteurs, de mépris réel et de ressenti, sur lequel le discours moralisateur du gouvernement agit comme du sel sur une plaie. De quoi justifier le recours en référé de 56 députés contre les 80 km/h, dernier espoir des opposants. Au-delà, rendez-vous dans deux ans, terme auquel le gouvernement a promis de faire le bilan de cette mesure, à la fois symbole et résumé de ce qui lui tient lieu de politique de sécurité routière.

Les panneaux « 80 », une denrée rare pour l’instant
 
La mesure s’applique à partir de ce dimanche 1er juillet, à minuit, sur toutes les voies bidirectionnelles sans séparateur (murets, glissières…) central. Sur les 2×2 voies sans séparateur, la limite reste fixée à 90 km/h. Sur les trois voies, la limite reste à 90 km/h dans le sens dédoublé, mais passe à 80 km/h dans le sens qui reste à une seule file. 

Concrètement, la chose se traduira dans l’immédiat par… la disparition ou le masquage des actuels panneaux « 90 » : faute de moyens et de personnel pour le faire, les panneaux « 80 » arriveront… plus tard, progressivement.

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