Olivier Chartrain
L’opposition à la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes
secondaires, effective dimanche, émane surtout des habitants des
campagnes qui vivent cela, non sans raisons, comme une brimade de plus.
Les
Français auraient-ils un goût pour la mort ? À écouter le gouvernement,
alors que la nouvelle limitation à 80 km/h sur le réseau secondaire
devient effective ce dimanche 1er juillet, la question est légitime.
Quiconque ose simplement mettre en question cette mesure est sitôt
accusé de faire peu de cas des morts de la route et des 300 à 400 vies
qu’elle promet de sauver. Or, à en juger par le concert de protestations
d’élus, de manifestations, de critiques soulevées depuis l’annonce
faite en janvier par le premier ministre, Édouard Philippe, cela fait du
monde ! Tant de gens prêts à mettre leur vie et celle des autres en
danger pour 10 petits km/h ? Allons…
Approximations et demi-mensonges volontaires
Dans son principe, la mesure est inattaquable. « Plus
grande est la vitesse, plus il est difficile d’éviter l’accident et plus
les conséquences sont graves », expliquait en conférence de presse
Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la Sécurité routière. « 1 %
de vitesse moyenne en moins, ajoutait-il, c’est 4 % de mortalité en
moins. » Autre argument indiscutable : il faut 13 mètres en moins pour
freiner à 80 km/h par rapport à 90 km/h, ce qui en soi, mécaniquement,
sauvera des vies.
L’honnêteté oblige tout de même à noter que, selon les
propres chiffres de la sécurité routière, si les quelque 400 000 km de
routes concernés représentent « 20 % du réseau mais 55 % des tués », ces
routes ne présentent aucune « surdangerosité » : ce sont juste les
routes… où l’on roule le plus. Mais ces approximations et demi-mensonges
volontaires ne disent pas pourquoi cette mesure, incontestablement
bénéfique, fait l’objet d’une telle protestation. Le directeur de
l’Association des maires ruraux de France (AMRF), Cédric Szabo, nous
livre une première clé : « Il y a un problème de méthode, celui d’une
décision unilatérale, prise d’en haut, en flagrante opposition avec
l’accord de méthode passé entre le gouvernement et les collectivités
locales. »
Surtout, il y a un problème de contexte. On n’envisage pas
la route de la même manière quand on est un pur Parisien qui peut se
permettre de vivre confortablement sans avoir le permis de conduire ou
un rural contraint de posséder une voiture et de l’utiliser pour pouvoir
accomplir chaque acte de sa vie quotidienne – ou presque. Pas besoin
d’aller chercher plus loin les raisons de l’opposition massive à cette
mesure qui s’est exprimée en provenance du monde rural et de ses relais.
Daniel Gargaud, responsable de la Fédération des motards en colère
(FFMC) dans la Creuse, explique : « Chez nous il n’y a plus de
transports publics : le train Bordeaux-Lyon s’arrête à Guéret une fois
le matin, une fois le soir, et c’est tout. Il y a des cars, privés,
affrétés par la région. Alors la voiture, ce n’est pas juste un moyen de
transport pour aller chercher le pain : c’est un outil de travail.
Celui qui demain va perdre son permis pour avoir roulé à 85 km/h va
perdre son travail. » Une situation que la possible fermeture des
« petites lignes » SNCF aggraverait.
Pour emmener ses enfants à l’école, il faut faire des kilomètres
L’accès au travail n’est pas le seul enjeu. Depuis des
années, une politique constante – et poursuivie par l’actuel
gouvernement – vide le monde rural de ses services. Et pas seulement
dans les villages : les villes, petites et moyennes, sont également
concernées. Aujourd’hui, pour emmener ses enfants à l’école (souvent
celle du village voisin) et les ramener, pour les emmener faire du sport
aux quatre coins de l’intercommunalité, pour aller chez le médecin puis
chez le pharmacien, pour aller à la poste, à Pôle emploi, au Trésor
public, à la gendarmerie, pour acheter le journal, le pain, se rendre au
bar-tabac, aller faire les courses… il faut faire des kilomètres.
Toujours plus de kilomètres, à mesure que la fermeture l’un après
l’autre des services publics, au nom de l’impérieuse nécessité de
réduire les dépenses publiques, entraîne la perte d’activités et la
baisse d’attractivité de ces « territoires », comme on les appelle.
Les habitants des zones rurales subissent ainsi des
déplacements fortement contraints, de plus en plus longs et nombreux, de
plus en plus coûteux avec la hausse des prix des carburants – pour des
populations économiquement fragiles. L’allongement des temps de
transport qui va découler de la nouvelle limitation, ajouté à
l’impossibilité de dépasser les camions ou autres obstacles en toute
sécurité sans enfreindre la loi, n’arrangera rien. Et tout cela sur des
routes de plus en plus dangereuses, car de moins en moins entretenues :
« Pour les refaire ils mettent des gravillons parce que c’est moins
cher, raconte Daniel Gargaud, mais ça ne tient pas et après la route est
une vraie patinoire. Quant à nous, motards, tous les ans on nous promet
le doublement des glissières qui nous tuent… mais rien ne se fait ! »
Un cumul de facteurs, de mépris réel et de ressenti, sur lequel le
discours moralisateur du gouvernement agit comme du sel sur une plaie.
De quoi justifier le recours en référé de 56 députés contre les 80 km/h,
dernier espoir des opposants. Au-delà, rendez-vous dans deux ans, terme
auquel le gouvernement a promis de faire le bilan de cette mesure, à la
fois symbole et résumé de ce qui lui tient lieu de politique de
sécurité routière.
Les panneaux « 80 », une denrée rare pour l’instant
La mesure s’applique à partir de ce dimanche 1er juillet, à
minuit, sur toutes les voies bidirectionnelles sans séparateur (murets,
glissières…) central. Sur les 2×2 voies sans séparateur, la limite
reste fixée à 90 km/h. Sur les trois voies, la limite reste à 90 km/h
dans le sens dédoublé, mais passe à 80 km/h dans le sens qui reste à une
seule file.
Concrètement, la chose se traduira dans l’immédiat par… la
disparition ou le masquage des actuels panneaux « 90 » : faute de moyens
et de personnel pour le faire, les panneaux « 80 » arriveront… plus
tard, progressivement.
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