La Gazette du citoyen
Dans
le journal israélien Haaretz, Gideon Levy revient sur le renvoi par CNN
de l'analyste Marc Lamont Hill qui avait osé prononcer un discourt
pro-Palestinien lors d'une conférence des Nations Unies. Levy s'offusque
du fait, qu'aux Etats-Unis, il soit impossible de critiquer Israël.
Voici l'article :
En
Amérique vous pouvez attaquer les Palestiniens sans interruption,
appeler à leur expulsion et nier leur existence. Par contre, n'osez pas
dire un mot mauvais à propos d'Israël, le saint des saints.
Par Gideon Levy, le 2 décembre 2018
Marc
Lamont Hill est un écrivain et conférencier américain en communications
à la Temple University de Philadelphie, et également analyste chez CNN.
Dans un discours prononcé la semaine dernière lors d'une conférence des
Nations Unies, il a appelé à "une action internationale qui nous
donnera ce que la justice exige et qui est une Palestine libre du fleuve
à la mer".
En
quelques heures, le ciel s'est effondré dans une hystérie bien
orchestrée. Seth Mandel, rédacteur en chef du Washington Examiner, a
accusé Hill d'avoir appelé à un génocide juif ; Ben Shapiro, un analyste
de Fox News, l’a qualifié de discours antisémite. Le consul Dani Dayan a
tweeté que les remarques de Hill ressemblaient à des "croix gammées
peintes en rouge", la Ligue anti-diffamation a déclaré que ce discourt
équivalait à appeler qu'Israël soit rayé de la carte. Le résultat
inévitable ne s'est pas fait attendre et CNN a renvoyé l'analyste
rebelle le même jour.
Comment
osait-il ? À quoi pensait-il ? Où pensait-il vivre, dans une démocratie
avec la liberté de parole ou dans un pays où le débat sur Israël est
soumis à la censure sérieuse de l’establishment juif et à la propagande
israélienne ? Hill a tenté d'affirmer qu'il était opposé au racisme et à
l'antisémitisme et ses propos visaient à soutenir la création d'un État
binational, laïque et démocratique. Mais il n’avait aucune chance.
Dans
la dure réalité qui s’est emparée des débats aux États-Unis, il n’y a
pas de place pour des expressions pouvant offenser l’occupation
israélienne. Lors d’une journée libérale, il est permis de dire "deux
États" à condition de le faire à voix basse.
Et
si Hill avait appelé à l'établissement d'un État juif entre le Jourdain
et la mer ? Il aurait sans danger continué à occuper son poste. Rick
Santorum, l'ancien sénateur, a déclaré en 2012 qu'aucun "Palestinien" ne
vivait en Cisjordanie. Personne n'a pensé à le virer. Même qu'un des
critiques de Hill, Shapiro, avait appelé dans le passé au nettoyage
ethnique des Palestiniens dans les territoires (il y est revenu quelques
années plus tard) et il ne lui est rien arrivé.
Vous
pouvez attaquer les Palestiniens en Amérique sans interruption, appeler
pour les expulser et nier leur existence. Seulement, n’osez pas toucher
à Israël, le saint des saints, le pays au-dessus de tout soupçon. Et la
hauteur de chutzpah ? Israël et l'establishment juif continuent
d'accuser les médias, y compris CNN, d'être des calomniateurs d'Israël.
Il n’y a pas de pire plaisanterie que celle-là. Essayez de publier un
article critique sur Israël dans un journal grand public occidental -
cela devient de plus en plus difficile, le plus souvent, impossible.
Mais rien ne satisfera la faim du lion : plus il se plaint, plus il
devient fort.
Le
mot clé est bien sûr l'antisémitisme. On a beaucoup écrit sur l'usage
par Israël et ses partisans de l'antisémitisme. Et cela fonctionne à
merveille, c’est un mot magique qui réduit au silence les gens. Il n’y a
pas encore eu de critique de l’occupation qui n’ait pas été qualifiée
d’antisémitisme. Tout est antisémite : Hill est antisémite parce qu'il
est favorable à une solution à un État, Roger Waters est antisémite car
c'est ainsi que Gilad Erdan l'a décrit lors d'une conférence sur la
propagande en Allemagne. L'UNRWA est antisémite, et bien sûr le BDS. Le
monde entier est contre nous.
La
semaine dernière, une enquête mondiale sur l'antisémitisme menée par
CNN a suscité beaucoup d'intérêt. Il s'avère que les Juifs ne sont pas
aussi détestés que le voudrait Israël : seuls 10% ont déclaré avoir des
sentiments négatifs à leur égard. Près de quatre fois plus de personnes
ont déclaré ne pas aimer les musulmans. Outre ses aspects inquiétants,
l’étude met en évidence quelques vérités que l'on ne peut pas nier.
Vingt-huit pour cent des personnes interrogées ont déclaré que
l'antisémitisme dans leurs pays était le résultat de la politique
israélienne. Un tiers des gens estiment qu'Israël profite de
l'Holocauste pour faire avancer ses positions. Un sur cinq pense que les
Juifs ont trop d'influence dans les médias.
Renvoyez
plus d’analystes qui osent critiquer Israël ou suggérer des solutions
simples à l’occupation - et davantage de personnes interrogées diront ce
que tout le monde sait: les Juifs et Israël ont une influence
incroyable sur les médias occidentaux. Maintenant, vous pouvez aussi
m'appeler antisémite.
Lien de l'article en anglais : haaretz
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