Michel Onfray
Ce que les médias maastrichtiens aiment par-dessus tout, c’est ce
qu’ils reprochent à leurs ennemis : l’amalgame.
Ces temps-ci, chacun le
voit dans les journaux, radios et télés du système: une seule hirondelle
morveuse fait pour cette engeance le printemps des gilets-jaunes. On a
pu ainsi constater avec eux, et ce ad nauseam, combien un homophobe, un
raciste, un antisémite, un complotiste surgissant parmi les
gilets-jaunes faisait de tous les gilets-jaunes des coupables de ces
crimes listés.
Or, est-ce que le passé d’un joueur de poker, compagnon de quelques
spécimens de la pègre marseillaise devenu ministre de l’Intérieur de
Macron, fait de tous les ministres de Macron des joueurs de poker
compagnons de la pègre marseillaise? Je pense que même Castaner dirait
que non… C’est pourtant ainsi qu’on procède chez les ennemis des
gilets-jaunes -car ils sont moins traités par eux en adversaires
respectables et respectés qu’en ennemis à supprimer…
Des gilets-jaunes ont lancé un transpalette électrique (donc
écoresponsable et non polluant: un bon point pour eux…) contre la porte
du ministère de Benjamin Griveaux. La belle affaire ! Voici donc qu’en
guise de résumé de ce nouveau samedi jaune, le transpalette est presque
présenté par les journalistes comme un char d’assaut, un Rafale de la
dernière génération, un sous-marin à propulsion nucléaire, un engin de
guerre furtif, le dernier cri de la technologie meurtrière d’État, le
petit bijou secret de Dassault.
On nous dit également que le transpalette a été lancé contre la
République en personne ! Tudieu… Si la République est mise en péril par
un transpalette, soit le pouvoir du transpalette est grand, soit la
République est bien faible, soit encore ceux qui tiennent ce genre de
discours prennent leurs auditeurs pour des imbéciles. Je penche plutôt
pour cette dernière hypothèse…
Je remarque au passage que, reprenant comme un seul homme les
éléments de langage du ministre, les journalistes parlent d’un “engin de
chantier” alors que, comme son étymologie l’indique (mais encore
faut-il ne pas ignorer le mot, donc la chose, bien connus de la plupart
des gilets-jaunes…), le transpalette permet de déplacer des palettes
dans des entrepôts, des hangars, des halles, des dépôts, des cours
d’usine, ce qui ne relève pas à proprement parler du chantier… Plus
intelligente que le ministre, ses conseillers, ses communicants et les
(ses…) journalistes, ce qui n’est pas peu dire, la notice Wikipédia du
“transpalette” dit: “On retrouve les transpalettes dans les centres de
distribution, entrepôts, commerces au détail, camions, etc.”. Un
sophiste des communicants du Château dirait que cet “etc.” cache le mot
“chantier”… Sylvain Fort, la plume du Président qui, je le sais, lisait
attentivement mes chroniques et qui vient de quitter le navire avec les
rats, n’est plus là pour rédiger une note avec cet élément de langage.
L’amalgame, ici, c’est de résumer l’acte VIII des gilets-jaunes à cette affaire de la République attaquée par un transpalette!
Un seul transpalette défonce la porte d’un ministère et ce sont tous
les transpalettes qui défoncent en même temps toutes les portes des
ministères avec pour objectif de faire tomber la République ! Concluons
qu’avec ce modeste transpalette sur lequel étaient juchés des
personnages sortis tout droit de Rabelais et qui se marraient en
défonçant une porte, les gilets-jaunes avaient pour but avoué de
fomenter un coup d’État -comme jadis Pinochet avec les chars de l’armée
chilienne… Rien moins, sinon, quoi ?
Écoutons en effet le macronien qui voudrait se faire passer pour le
président socialiste chilien réfugié dans son ministère pendant que
gronde le bruit de moteur électrique du transpalette: l’homme a sauvé sa
vie avec une exfiltration du genre commando -en fait, avec son couteau
et son portable sous le bras, il est parti sans encombre par une autre
porte… Il confie au journal “20 Minutes”: “Ce n’est pas moi qui suis
visé, c’est la République (sic)”, par “ceux qui souhaitent
l’insurrection, renverser le gouvernement”, mais “la République tient
debout”. L’a-t-on bien compris? Ce que ce transpalette venait faire,
c’était faire chuter la République en entrant dans son bureau -ce qui,
pour un transpalette, reste une performance logistique inédite à ce
jour, même chevauché par un quarteron de Pieds Nickelés…
Un journaliste du “Monde”, journal ami de Macron et ennemi des
gilets-jaunes, était comme par hasard justement dans le bureau du pauvre
homme afin de relayer la bonne parole macronienne à ses lecteurs de la
gauche de droite. Le journal titre: “Récit de l’évacuation (sic) de
Benjamin Griveaux après l’irruption (sic) de manifestants dans son
ministère” ! On tremble… On apprend par ce reportage de guerre que la
République a été sauvée par la fuite du ministre & du journaliste,
“dans la précipitation mais sans heurt (sic) à travers le jardin du
ministère et la cour intérieure d’un immeuble voisin. Une ‘sortie de
secours’ (sic) qui débouche dans une petite rue adjacente à la rue de
Grenelle dont le 101 accueille le ministère du porte-parolat. Le
‘passage secret’ (sic) avait déjà été utilisé lors d’une première
intrusion le jour de ‘l’acte II’ des ‘gilets jaunes’.” Où l’on voit que
l’on a échappé à un carnage, car le transpalette aurait pu réussir tout
seul à grimper les étages, à se frayer un passage dans le labyrinthe des
couloirs, avant de se retrouver devant le bureau vide du ministre ! Une
fois arrivé, il aurait probablement pu tirer, bien qu’il ne possède pas
de canon ou de mitrailleuse… À BFM, on aurait pu soutenir cette thèse, à
France-Inter aussi !
Sur Twitter, le chef de l’État se fend de ce commentaire: “Une fois
encore (sic), une extrême violence (sic) est venue attaquer la
République (sic) –ses gardiens, ses représentants, ses symboles [1].
Ceux qui commettent ces actes oublient le cœur de notre pacte civique
(sic). Justice sera faite. Chacun doit se ressaisir pour faire advenir
le débat et le dialogue.” Que raconte ce message concocté par les
communicants du Château ?
“Une fois encore” dit que les gilets-jaunes ne sont que dans la
violence, mais jamais dans la revendication pacifique, jamais sur les
ronds-points dans l’occupation fraternelle et débonnaire, amicale et
festive, jamais dans les manifestations bon enfant. Pour comprendre un
peu d’où vient cette violence, il serait intéressant de savoir où se
trouvent depuis quelques semaines certains policiers dont le métier a
toujours consisté, sous tous les régimes, à infiltrer les défilés pour
initier les violences qui permettent ensuite de discréditer les
manifestants. C’est vieux comme le monde… Depuis que Benalla ne fait
plus ce travail, après avoir été filmé la main dans le sac, où sont ses
semblables ?
“Une extrême violence” ? Mais alors comment doit-on qualifier le
massacre physique de nombre de gilets-jaunes présents dans les
manifestations et qui ont été défigurés, énucléés, explosés, ravagés?
Des photos montrent un grand nombre de victimes ayant perdu un œil, dont
les dents ont sauté, les arcades sourcilières explosé, qui ont perdu
des morceaux d’os, des lambeaux de cuir chevelu, voire une partie du
visage ? Si un trou dans une porte, qui se remplace, c’est “une extrême
violence”, alors comment qualifier des trous dans le visage de gens
définitivement défigurés ?
Une “attaque de la République” ? Mais comment peut-on faire passer ce
monôme de quelques secondes, montées puis montrées en boucle par BFM
pendant toute la journée, pour une tentative de putsch ? Juchés sur leur
transpalette, comment les tenants de cet attelage auraient-il pu croire
une seule seconde qu’avec ce véhicule électrique, ils avaient pour
projet avoué de faire tomber le régime ?
Par ailleurs : comment Macron ose-t-il parler du “pacte civique“, lui
qui a conseillé et accompagné longtemps François Hollande dans une
politique dont le cœur est le mépris de ce pacte qui exige le sacrifice
du peuple pour tracer la route libérale de l’État maastrichtien contre
l’État français ? Si les gilets-jaunes sont dans la rue, c’est parce que
ce pacte civique a été rompu par tous les politiciens maastrichtiens
depuis des années -dont Macron.
Car, qui se moque de la République ? Les gilets-jaunes ou bien Macron
et les siens ? Un ami bien inspiré, merci Jean-Yves, m’a envoyé un
article signé Juan Branco et intitulé: “Sur un certain Benjamin
Griveaux, porte-parole du gouvernement”. Ce formidable texte [2] permet
de répondre clairement à cette question : s’il existe bien des gens qui
se moquent de la République, ce sont nommément Macron et Griveaux.
Jugez-en :
“Le jeune Benjamin Griveaux était payé très cher (10.000 euros
mensuels) quand il travaillait au cabinet de Marisol Touraine; il a
quitté ce poste en 2014 pour un autre plus juteux (17.000 euros mensuel)
afin de monnayer son carnet d’adresses avec un objectif bien précis:
‘s’assurer que personne au ministère des Finances ne propose d’abolir
une niche fiscale favorable à l’entreprise’. Ses moyens ? Les réseaux que
l’État lui avait confiés.”
Et Juan Branco de révéler que, pendant ce temps, Benjamin Grivaux
charge son ami Gabriel Attal, 23 ans, sans expérience, sans diplômes du
supérieur, de recruter des chargés de mission socialistes pour faire la
campagne de Macron en sous-main. L’État, via le ministère de la Santé et
des Affaires sociales, le payait pour faire la campagne du candidat
Macron… Le même État mettait pour ce faire à son service chauffeurs et
voitures de fonctions, cuisiniers et secrétaires. Juan Branco signale à
quoi ressemblait cette machine de guerre illégale et antirépublicaine.
Les amis et amies de Griveaux sont très bien servis dans cette mafia.
Les noms de Benalla, de Mimi Marchand, de Xavier Niel, de Lagardère, de
Bruno Jeudy, apparaissent - ce qui n’est guère étonnant…
Juan Branco conclut son article ainsi: “Ces êtres ne sont pas corrompus. Ils sont la corruption.” Chapeau l’artiste.
Nous avons donc la réponse : quand ce transpalette défonce la porte du
ministère de Griveaux, il ne s’attaque pas à la République pour
l’abolir, mais à ceux qui, corrompus, la voudraient à leur image. C’est
juste ce que refusent les gilets-jaunes : que ces gens-là continuent leurs
forfaits en toute impunité et en continuant à saigner le peuple - que la
République ait cessé d’être républicaine.
Pas sûr que les Zorro du transpalette aient su tout ça, encore que,
mais ils ont juste pu se souvenir que Griveaux les méprisait au début de
leur mouvement en disant qu’ils étaient “des fumeurs de clopes qui
roulaient au diesel” [3]. Sur ce transpalette qui fonctionne à
l’électricité, il semble que ces gilets-jaunes n’avaient pas la clope au
bec ! Pareille insulte suffisait pour lui faire tâter un peu du
transpalette, même de loin.
Pas de quoi faire chuter la République ni se
prendre pour Allende ! Ce fut juste un pétard de fête que lui et les
siens, dont les journalistes, présentent aujourd’hui en guise de résumé
de l’acte VIII des gilets-jaunes, comme un genre d’attentat au
lance-roquette. Guignols…
Notes
[1] J’ignorais qu’une porte et un pare-brise puissent être des symboles de la République… Je m’en faisais une autre idée.
[2]
https://blogs.mediapart.fr/juan-branco/blog/101218/sur-un-certain-benjamin-griveaux-porte-parole-du-gouvernement
[3]
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/10/29/31002-20181029ARTFIG00214-le-mepris-siderant-de-griveaux-pour-les-gars-qui-fument-des-clopes-et-roulent-au-diesel.php
Source : Michel Onfray, Janvier 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire