Bruno Guigue
L'analyste politique Bruno
Guigue revient sur la campagne en faveur des Ouïghours, peuple musulman
de Chine dont l'Occident estime qu'il est brimé par Pékin.
Quel est
l'agenda géopolitique derrière les rapports des ONG occidentales ?
Analyse.
Reprise en boucle par les
médias occidentaux, l’accusation portée contre la Chine s’est répandue
comme une traînée de poudre : dans sa province stratégique du Xinjiang,
Pékin aurait « emprisonné un million de Ouïghours dans des camps
d’internement et contraint deux millions d’entre eux à suivre des cours
de rééducation ». Les Ouïghours sont l’une des 54 nationalités
minoritaires reconnues par la Constitution de la République populaire de
Chine. Située à l’extrémité occidentale de la Chine, la Région autonome
ouïghoure du Xinjiang a une population composite de 24 millions
d’habitants, dont 46% de Ouïghours et 39% de Han.
Curieusement, aucun témoignage ne mentionne cette disparition massive dans les rues d’Urumqi
Si
les allégations de la presse occidentale sont exactes, la population
ouïghoure, qui est estimée à 10 millions de personnes, aurait donc subi
un monstrueux coup de filet ! Pour interner un million de personnes, en
effet, il faudrait capturer pratiquement la moitié de la population
adulte masculine de cette malheureuse ethnie. Curieusement, aucun
témoignage ne mentionne cette disparition massive dans les rues
d’Urumqi, de Kashgar et des autres cités de la province autonome.
Outre
cette invraisemblance factuelle, le procès fait à Pékin souffre aussi
de la partialité et de l’unilatéralité des sources d’information
mentionnées. Croire sur parole le discours officiel est complètement
naïf, mais tomber dans l’excès inverse en épousant aveuglément le
discours oppositionnel ne vaut guère mieux. Or la narration médiatique
relative à cette incarcération massive s’appuie sur un rapport rédigé
par une organisation composée d’opposants au gouvernement chinois et financée par le gouvernement des Etats-Unis.
Cette
organisation qui a pignon sur rue à Washington, le « réseau des
défenseurs chinois des droits de l’homme » (CHRD en anglais), est
présidée par une fervente admiratrice du dissident chinois nobélisé Liu
Xiaobo. Condamné à 11 ans de prison en 2009, puis décédé d’un cancer en
2017 peu après sa libération, ce dernier approuvait avec enthousiasme
les interventions militaires américaines et appelait à la colonisation
de son pays par les puissances occidentales afin de le « civiliser ».
C’est ce réseau d’opposants en exil aux Etats-Unis qui orchestre la
campagne médiatique contre Pékin en présentant sa politique au Xinjiang
comme une entreprise d’asservissement totalitaire.
Comme par
hasard, l’une des principales sources citées dans le « rapport accablant »
du CHRD n’est autre que « Radio Free Asia », une station de radio gérée
par le « Broadcasting Board of Governors », agence fédérale supervisée par
le département d’État et destinée à promouvoir les objectifs de la
politique étrangère des Etats-Unis. Une autre source importante est le
Congrès mondial des Ouïghours. Organisation séparatiste créée en 2004,
elle est considérée comme terroriste par les autorités chinoises qui
l’accusent d’être à l’origine des sanglantes émeutes d’Urumqi qui, en
2009, donnèrent le signal d’une déstabilisation de toute la région.
Installée aux Etats-Unis, sa présidente avait obtenu le soutien officiel
de George W. Bush en 2007.
Naturellement, cette
organisation est financée par le « National Endowment of democracy », une
émanation du Congrès des Etats-Unis qui constitue la cheville ouvrière
des politiques de « changement de régime » et sur laquelle plane le
soupçon d’une proximité douteuse avec la CIA. Comme le notent Ben Norton
et Ajit Singh dans une étude récente, «la
dépendance quasi totale à l’égard de sources liées à Washington est
caractéristique des reportages occidentaux sur les musulmans ouïghours
en Chine, comme sur ce pays en général, et ils présentent régulièrement
des allégations sensationnelles».
Confrontées à un phénomène semblable à la terreur importée en Syrie, les autorités chinoises ont réagi sans mollir
En
publiant un « Livre Blanc sur la lutte contre le terrorisme et
l’extrémisme et la protection des droits humains au Xinjiang », le 18
mars 2019, le gouvernement chinois a répondu à ces allégations. Peu
commenté en Occident – et pour cause –, le terrorisme djihadiste qui a
frappé durement la Chine dans les années 2009-2014 a créé dans ce pays
un véritable traumatisme. Depuis le carnage qui fit 197 morts à Urumqi
en mai 2009, les attentats commis par les séparatistes se sont
multipliés : Kashgar en mai 2011 (15 morts), Hotan en juillet 2011 (4
morts), Pékin (sur la place Tiananmen) en octobre 2013 (5 morts),
Kunming en mars 2014 (31 morts), puis à nouveau Urumqi en avril (3
morts) et en mai 2014 (39 morts). Encore cette énumération ne
mentionne-t-elle que les attentats les plus sanglants sur le sol
chinois.
Confrontées à un phénomène semblable à la terreur
importée en Syrie, les autorités chinoises ont réagi sans mollir. Dans
le « Livre blanc » précité, Pékin affirme que, depuis 2014, 2 955
terroristes ont été arrêtés, 2 052 explosifs saisis et 30 645 personnes
sanctionnées pour 4 858 activités religieuses illégales. Le document
indique aussi que 345 229 copies de textes religieux illégaux ont été
confisquées. Contrairement à ce qu’affirme la presse occidentale, il ne
s’agit pas du Coran, mais d’une littérature wahabite takfiriste qui
transpire la haine à l’égard des musulmans n’appartenant pas à cette
obédience sectaire. Dans un pays où le pouvoir politique est jugé sur sa
capacité à garantir la stabilité, il va de soi que toute tentative de
déstabilisation – a fortiori par le terrorisme aveugle – est combattue
sans pitié.
Les Ouïghours sont particulièrement appréciés au sein de la mouvance djihadiste
On
peut juger cette politique particulièrement répressive. Elle l’est, et
les autorités chinoises ne s’en cachent pas. Un cap a sans doute été
franchi lorsque la terreur s’est répandue hors de la province du
Xinjiang. La perspective d’un embrasement général du pays a fait planer
le spectre d’un scénario à la syrienne. Cette crainte était d’autant
plus justifiée que la principale organisation séparatiste ouïghoure, le
parti islamique du Turkestan, sévit en Chine comme en Syrie, où les
Ouïghours (qui seraient encore au nombre de 15 000, familles incluses)
sont particulièrement appréciés au sein de la mouvance djihadiste. Mais
les défenseurs de cette noble cause oublient généralement de mentionner
que cette organisation – qu’ils considèrent sans doute comme une
association philanthropique – est la branche locale d’Al-Qaida.
Frappant
à l’aveugle, ses attentats ont fait des centaines de morts. Devant
cette vague de violence, que devait faire le gouvernement chinois ?
Contrairement aux Etats occidentaux, la Chine n’expédie pas ses
extrémistes chez les autres. Elle combat vraiment le terrorisme, elle ne
fait pas semblant. La surveillance est généralisée, la répression
sévère, la prévention systématique. La presse occidentale fustige les
camps de rééducation chinois, mais elle observe un mutisme complice
lorsque la CIA offre des camps d’entraînement aux terroristes. En Chine,
la répression des activités extrémistes est massivement approuvée par
la population, et cette politique a eu pour résultat de faire cesser la
violence armée.
Contrairement aux affirmations de la presse occidentale, le gouvernement chinois, de son côté, n’a jamais lancé de campagne contre la religion musulmane
Mais
les adversaires irréductibles du régime chinois font feu de tout bois :
ils vont désormais jusqu’à incriminer son hostilité présumée à l’égard
de l’islam. Or cette accusation repose sur du vent. La presse
occidentale a cité des internautes qui auraient stigmatisé la religion
musulmane et dénoncé la pratique du « halal ». Dans un pays où 300
millions de personnes tiennent un blog sur internet et où la liberté de
parole est beaucoup plus grande qu’on ne croit, des propos de toute
nature sont tenus. Malheureusement, il y a des islamophobes en Chine
comme ailleurs. Mais contrairement aux affirmations de la presse
occidentale, le gouvernement chinois, de son côté, n’a jamais lancé de
campagne contre la religion musulmane.
Car l’islam fait partie des
cinq religions officiellement reconnues par la République populaire de
Chine au côté du taoïsme, du bouddhisme, du catholicisme et du
protestantisme. Les mosquées sont innombrables (35 000), et elles
constituent parfois des joyaux du patrimoine national attestant
l’ancienneté de la présence musulmane. Aucune discrimination légale ne
frappe les musulmans, qui sont libres de pratiquer leur religion dans le
respect des lois. Comme les Ouïghours, les musulmans Hui disposent
également d’une région autonome, le Ningxia. Les femmes Hui portent
souvent le hijab, et rien ne l’interdit. On trouve des restaurants halal
à peu près partout, notamment dans les gares et les aéroports. À
l’intérieur de la Chine, l’islam fait partie du paysage. À l’extérieur
de ses frontières, la RPC coopère avec des dizaines de pays musulmans
dans le cadre de la Nouvelle route de la soie.
L’origine des troubles qui agitent cette partie du territoire chinois n’est pas religieuse, mais géopolitique
Ceux
qui soutiennent les séparatistes ouïghours et accusent Pékin de
persécuter les musulmans commettent une triple erreur. Ils calomnient un
pays qui n’a aucun contentieux avec le monde musulman et dont la
politique a été saluée par l’Organisation de la Conférence islamique.
Ils prennent parti pour des extrémistes affiliés à une organisation
criminelle (Al-Qaida) dont la majorité des victimes sont de confession
musulmane. Enfin, ils croient défendre les musulmans alors qu’ils
servent les intérêts de Washington, qui est leur pire ennemi. Le
problème du Xinjiang, ce n’est pas l’islam et sa prétendue persécution
par les autorités chinoises. L’origine des troubles qui agitent cette
partie du territoire chinois n’est pas religieuse, mais géopolitique :
c’est l’instrumentalisation du religieux par des organisations sectaires
qui doivent l’essentiel de leur nocivité à des complicités étrangères.
Le
problème du Xinjiang n’est pas davantage celui de la nation ouïghoure,
intégrée dans la République populaire de Chine depuis sa fondation en
1949. Le Xinjiang faisait déjà partie de l’empire des Qing (1644-1912)
et la présence chinoise y remonte à la dynastie Tang, il y a 1300 ans.
Qu’il y ait des difficultés de cohabitation entre les uns et les autres
n’est guère étonnant, s’agissant d’un problème auquel n’échappe aucun
pays au monde. L’accroissement du peuplement han a sans doute nourri un
sentiment de frustration chez certains Ouïghours. Mais cette situation
paraît difficilement réversible. Le brassage multi-séculaire des
populations et la fixation progressive des frontières ont uni une
multitude de nationalités au sein de la République populaire de Chine.
Elle a hérité de son prédécesseur impérial sino-mandchou l’essentiel de
son assise territoriale. Il se trouve que les Ouïghours en font partie,
et cet héritage historique ne saurait être balayé d’un trait de plume.
Les pays visés sont toujours ceux dont l’indépendance et le dynamisme constituent une menace systémique pour l’hégémonie occidentale
Les
détracteurs de la Chine affirment que les Han (90% de la population)
sont dominateurs. Mais s’ils avaient voulu dominer les nationalités
minoritaires, Pékin ne les aurait pas exemptées de la politique de
l’enfant unique infligée à l’ethnie han de 1978 à 2015. Ce traitement de
faveur a stimulé l’essor démographique des minorités, et notamment des
Ouïghours. Utiliser le langage servant à décoder les pratiques
coloniales pour expliquer la situation des nationalités en Chine n’a
aucun sens. Depuis Mao, aucune discrimination ne frappe les minorités,
bien au contraire. Malgré son éloignement et son aridité, le Xinjiang se
développe au bénéfice d’une population multiethnique. Encouragé par des
opposants inféodés à l’étranger et des droits-de-l’hommistes sans
cervelle, le séparatisme ouïghour est une folie que vient redoubler une
autre folie : celle du djihadisme planétaire parrainé par Washington
depuis quarante ans.
De même que le gouvernement des Etats-Unis a
poussé les feux du djihad contre l’Union soviétique en Afghanistan, puis
armé ses « proxys » du Moyen-Orient contre la Syrie, il instrumentalise
aujourd’hui la cause ouïghoure pour déstabiliser la Chine sur son flanc
occidental. Ce n’est pas un hasard si le département d’État a annoncé en
septembre 2018 qu’il étudiait la possibilité de sanctions contre la
Chine pour sa politique au Xinjiang. Comme d’habitude, le discours
humanitaire des chancelleries occidentales et de leurs ONG satellisées
est la face émergée de l’action clandestine visant à organiser la
subversion par la terreur. Loi du genre, les pays visés sont toujours
ceux dont l’indépendance et le dynamisme constituent une menace
systémique pour l’hégémonie occidentale.
La réalité, c’est que la Chine est la puissance montante, les Etats-Unis la puissance déclinante. Lorsque les deux courbes se croisent, tout est bon, du point de vue des perdants, pour tenter d’enrayer le cours des choses
La propagande djihadiste ouïghoure,
aujourd’hui plus que jamais, cible la République populaire de Chine.
Pour ses prédicateurs, la « nation du Turkestan » (c’est sous ce nom
qu’ils désignent la majeure partie de l’Asie centrale turcophone) subit
une oppression insupportable sur son versant oriental (Chine) comme sur
son versant occidental (Russie). Lançant un appel au boycott de la
Chine, ils fustigent les sévices historiques qui auraient été infligés
par les Chinois aux Ouïghours, mentionnant des choses aussi absurdes que
« le viol des musulmanes » ou « l’obligation de manger du porc ».
Désenchanté par la tournure des événements au Proche-Orient, poussé par
les services de renseignements turcs, le mouvement djihadiste du
Turkestan a réorienté son combat : désormais, il entend frapper à nouveau l’ennemi proche (la Chine) plutôt que l’ennemi lointain (la Syrie).
Il
faudrait être naïf pour croire que la coïncidence entre cette
propagande djihadiste, la fébrilité des opposants chinois et la
stigmatisation de la Chine par les médias occidentaux est fortuite. Si
l’on fait pleurer dans les chaumières sur le peuple ouïghour opprimé, ce
n’est pas pour rien. Le moment est bien choisi. Alliée de la Russie, la
Chine a fourni une aide précieuse à la Syrie dans son combat contre les
mercenaires de l’Occident. Marginalisant les Etats-Unis, elle participe
activement à la reconstruction du pays. En Amérique du sud, elle
soutient le Venezuela en lui achetant son pétrole, mettant en échec
l’embargo occidental. La guerre commerciale avec Pékin est au mieux un
jeu à somme nulle, et Washington en perçoit les limites.
La réalité,
c’est que la Chine est la puissance montante, les Etats-Unis la
puissance déclinante. Lorsque les deux courbes se croisent, tout est
bon, du point de vue des perdants, pour tenter d’enrayer le cours des
choses.
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