Jean-Luc Mélenchon
La mode dans quelques cénacles parisiens est de renvoyer dos à dos
LREM et LFI à propos du blocage de la loi retraite à l’Assemblée
nationale.
En gros : les uns ont tort de sortir le 49/3, les autres
« l’ont bien cherché ». Ce nouveau refrain de presse succède aux
mensonges de la semaine dernière sur les 700 000 sous-amendements que
nous aurions déposés. Une invention pure et simple. Elle a disparu
provisoirement des écrans sans que les propagateurs du mensonge se
soient excusés auprès de leurs lecteurs. Sans doute parce qu’ils pensent
que cela peut encore servir.
Vu de plus près, la situation n’a rien d’anormal. Le rythme n’est pas
si lent que le disent nos adversaires. Mais leur rêve serait que
l’opposition cesse de s’opposer. Nouveauté : les députés de la majorité
répètent en boucle les mêmes refrains et pour mieux dire les mêmes
pleurnicheries contre les oppositions. Ce qui prend du temps pour rien…
Paradoxe, on finirait par pouvoir les accuser, eux, d’obstruction !
Ces
heures dans l’ambiance hors sol de l’hémicycle de l’Assemblée nationale
ont une étrange texture. Comme il s’agit d’enchainer les tours de
paroles, on attend son tour en observant les autres. Les marcheurs sont
déchainés. Pour un oui pour un non, ils se mettent tous à hurler. On
entend distinctement les injures. Pourtant il y a là un concentré de la
bonne société sûre de soi et satisfaite d’elle-même. Le vernis des
bonnes manières a éclaté. C’est que l’obligation où ils se trouvent
d’être là des heures durant sans être autorisés à intervenir les place
sous une pression intérieure terrible. La vapeur sort en sifflet.
On a compris qu’ils vont dégainer le 49.3 dans la semaine qui vient.
Ils préfèrent cette sortie qui les débarrasse pensent-ils. L’échec de
leurs deux plans de diversion dans la semaine avec l’épisode « laïcité »
et Mont Blanc ne les a pas guéris. Ils pensent toujours qu’ils vont se
tirer d’affaire par de la communication de diversion. Comme si des
millions de gens pouvaient oublier qu’il s’agit du sort de dix ou vingt
années de leurs vies !
Si leur soucis c’était bien « le débaaaat » comme ils s’en
gargarisent à tous propos selon les consignes qui leur ont été données,
ils auraient pu agir autrement. Par exemple en décidant de lever la
limite de temps qu’ils ont fixé. Car de c’est de cette limite que tout
est parti. D’une certaine manière peut-être serions-nous enfermés à
notre tour dans une durée ingérable par notre petit effectif.
En réalité il est bien possible qu’ils aient combiné cette issue
depuis le début. Car les marcheurs avaient la possibilité d’imposer un
« temps programmé ». Cette disposition du règlement de l’assemblée fixe
un temps total au débat. Mais pour qu’elle puisse être possible il
fallait le décider en temps et en heure, dans le délai prévu. Mais
Macron a pensé passer en force. Il a sous-estimé la capacité de
résistance des oppositions comme il a sous- estimé celle des salariés
avant cela.
Nous avons vu l’ambiance tourner à la préparation des esprits pour le
49.3 quand a commencé la rumeur du dépôt de 700 000 sous-amendements.
Elle a été inventée par un membre de la majorité de l’aveu même du
journaliste de CNews qui l’a mise en circulation. Elle a aussitôt été
reprise dans la version imprimée du journal « Le Parisien », cela sous
la plume de Jannick Halimi, une des figures les plus brillantes de la
presse parisienne où elle est beaucoup imitée. Cette personne affiche un
style journalistique nouveau : la « création d’information » qui lui
paraisse piquante. C’est la deuxième fois que nous surprenons ce grand
esprit dans cet exercice : inventer une information parce qu’elle lui
paraît vendeuse.
Il va de soi que nous ne sommes pas les seuls à bénéficier de son
talent créateur. La précédente fois, elle avait recopié des citations de
Éric Coquerel et Clémentine Autain a propos de Macron en les attribuant à
la critique de Maduro (« Vénézuélaaaaa ») pour inventer et commenter
une « nuance » avec moi. Une demi page de journal sur ce bobard ! Quatre
lignes de rectification trois jours après. Aucune sanction, aucun
regret. Dès lors, pourquoi se gêner ? Pourquoi 700 000 ? Pourquoi pas un
million ?
Le plus écœurant est leur façon d’attribuer « l’aveu » à Clémentine
Autain. Une invention pure et simple. Il faudra je ne sais combien de
démentis et de démonstrations pour que l’info disparaisse. Sans un mot
d’excuse ni un rectificatif. Tel est le journalisme de « création de
l’information ». Ce bobard ressortira évidemment dès que le 49.3 sera
décidé. Car tel est le but de l’opération.
Pour le quotidien et la journaliste macronistes, il est important de
préparer le terrain psychologique pour justifier le coup de force qu’est
un 49.3. La seconde partie de la manœuvre pourra se déclencher. « S’il y
a 49.3 c’est de la faute de l’opposition ». On peut compter sur le
chenil macroniste pour aboyer le message en cadence. « Vous l’avez bien
cherché » en quelque sorte.
Cette brutalité de type « grenade de désencerclement » dans
l’hémicycle est aussi un détournement de procédure. Car le 49.3 est un
instrument qui a une autre vocation. C’est le moyen pour un gouvernement
de mettre sa majorité au pied du mur quand celle-ci conteste un texte
gouvernemental en l’amendant. Alors la loi est considérée comme adoptée
si la majorité s’interdit d’aller jusqu’à adopter une motion de censure.
La cohérence est la suivante dans ce cas : comme la majorité peut
défaire ou transformer le contenu d’une loi puisqu’elle est la majorité,
le gouvernement engage sa responsabilité sur le texte. Le 49.3 n’est
donc pas fait pour bloquer le droit d’amendement de la minorité mais
pour contraindre celui de la majorité.
Une fois de plus, on voit comment
la pratique de la monarchie présidentielle par Emmanuel Macron en
aggrave les traits les plus autoritaires. Mais qui en doute a l’étape
actuelle ?
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