Jean Bricmont
Certains de mes amis me reprochent d’être trop critique de Bernie
Sanders.
Ce n’est pas le cas : je le suivais déjà dans les années 80
quand je vivais aux Etats-Unis et qu’il défendait les Sandinistes au
Nicaragua. J’étais alors totalement d’accord avec lui.
Depuis, il a
évolué dans le sens de l’impérialisme humanitaire, comme presque tout
le monde, mais ce n’est pas le fond du problème ni même ses réponses au New York Times.
Je souhaite qu’il fasse le meilleur score possible ne serait-ce que pour embêter l’establishment démocrate.
Le
problème ne vient pas de ses intentions ou de ses idées, mais de la
structure de la société américaine, mise en place depuis la guerre, et
qui n’est pas simplement « capitaliste » mais bien pire et qui consiste
en :
- le complexe militaro-industriel.
- le complexe de surveillance -CIA, FBI, NSA, ce que certains (mais pas moi) appellent l’état profond.
- le lobby pro-israélien qui gouverne la politique US au Moyen Orient.
- la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires.
- et,
finalement, une idéologie de supériorité absolue de la société
américaine sur tout autre système dans le monde, idéologie partagée par
les conservateurs, les libéraux et le plus gros de la « gauche » (y
compris Sanders) ; presque tout le monde intellectuel et universitaire
partage cette idéologie.
Plusieurs présidents américains ont tenté
de s’opposer à certains aspects de cette structure de pouvoir :
Kennedy, Carter, Nixon, Bush 1, Obama, pour le lobby, Eisenhower pour le
complexe militaro-industriel, Kennedy pour le complexe de surveillance,
etc. Ils ont tous échoué.
Je ne vois pas comment Sanders
pourrait changer cela ; un président n’est pas un dictateur, il doit
tenir compte du Congrès et de la Cour suprême et évidemment des médias.
Sanders
a certes derrière lui un mouvement populaire mais qui n’est ni organisé
ni révolutionnaire. Comme ses supporters croient aux changement par les
élections, ils se satisferont de son élection et attendront, comme
beaucoup l’ont fait avec Obama qui, lui aussi, promettait le changement.
Les
seuls changements possibles aux Etats-Unis viennent de défaites à
l’extérieur comme lors du Vietnam ou peut-être aujourd’hui en Syrie ou
en Afghanistan. La résistance de la Russie et de la Chine est aussi un
obstacle pour les élites américaines, mais Sanders est parfaitement
gérable par elles.
De plus, si Sanders était élu, ce serait un
nouveau Mitterrand ou un nouveau Tsipras ; il serait obligé de faire le
contraire de ce qu’il a promis, vu les rapports de force, avec les
effets de découragement que cela produit. De plus, la politique
étrangère est la variable d’ajustement la plus facile pour un
gouvernement de gauche qui veut faire des concessions à la droite.
Après
tout, il n’y a aucune raison de croire que Trump n’était pas sincère
lorsqu’il promettait de meilleures relations avec la Russie en 2016, vu
que cette position n’était pas populaire dans son parti-et il a fait
l’exact opposé.
Le mieux serait que l’establishment démocrate lui
vole sa victoire et que ses supporters radicalisent leur opposition,
surtout sur la politique étrangère (ce qui, pour le moment, est loin
d’être leur priorité).
Je ne crois pas à un changement interne du
système américain par de simples élections mais, comme lors du Vietnam,
on peut espérer en limiter la violence par une résistance populaire
massive.
Mais mes objections les plus profondes ne s’adressent pas
à Sanders et à ses supporters mais aux Européens « progressistes » qui,
tous les quatre ans, espèrent que les Etats-Unis élisent un « bon »
président. Il faut se rendre compte que nous n’avons aucun moyen
d’influencer les élections américaines ; ce qu’ils font partout
ailleurs, influencer ou même subvertir des élections, est totalement
inacceptable chez eux, comme on l’a vu avec l’agitation autour de la
soi-disant ingérence russe.
Ce que nous devons faire, c’est
combattre la fascination pour les Etats-Unis parmi nos élites politiques
et intellectuelles et soutenir tout ce qui peut nous amener à des
politiques indépendantes des Etats-Unis par rapport au reste du monde,
en particulier la Russie, la Chine, l’Iran, et la Syrie.
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