jeudi 27 février 2020

L’accord de Trump, c’est un show pour cacher le vrai problème : la persistance de l’apartheid israélien


Richard Falk


C’était censé être une marche triomphale pour Nétanyahou, mais la base de toute paix doit être la dissolution des choses telles qu’elles sont. 
Il a toujours été insensé d’attendre un compromis politique équilibré de la part de l’actuelle administration américaine.
Depuis son élection il y a quatre ans, le président des États-Unis Donald Trump a confié le portefeuille Israël/Palestine à son gendre sioniste inexpérimenté, Jared Kushner, assisté de deux personnes tout aussi peu qualifiées : l’ambassadeur David Friedman et l’envoyé spécial Jason Greenblatt.
En outre, Trump n’a guère cherché à cacher sa déférence inconvenante envers le milliardaire Sheldon Adelson, qui a financé la campagne de l’ancienne star de la télé-réalité et apporte un soutien inconditionnel à la droite dure d’Israël.
Pour cette administration, il n’était même pas nécessaire de feindre d’être pondérée ou de chercher un compromis politique, censé reposer sur une solution à deux États. Trump est allé plus loin que toute autre administration pro-Israël passée, en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, en donnant sa bénédiction aux colonies israéliennes illégales, en donnant le feu vert à l’annexion par Israël du plateau du Golan syrien et en réduisant le financement de l’aide humanitaire palestinienne.

Capitulation politique

Trump n’a manifesté aucun souci de promouvoir la paix. Il n’est ainsi pas surprenant que « l’accord du siècle » définit un plan visant à la capitulation politique des Palestiniens, enrobée d’incitations économiques à condition qu’ils renoncent à tous leurs droits et revendications relevant du droit international.
Ce qui est néanmoins choquant, c’est que l’accord de Trump institutionnalise l’apartheid, demandant même à ses victimes palestiniennes de donner leur consentement formel à cet arrangement oppressif. Même les dirigeants du régime d’apartheid sud-africain n’ont jamais osé aller aussi loin.
Le régime envisagé pour la Palestine contient aussi des mesures en matière de sécurité élaborées qui permettent en fait à Israël d’imposer aux Palestiniens, des punitions collectives illimitées au mépris du droit international. Pour masquer la rétrogression des attentes des Palestiniens, le plan adopte une version perverse de « réalisme », qui peut être traduite par « la validation de la coercition et du non-droit » aux dépends des victimes.
En présentant le plan, Kushner a eu l’audace de dire : « Je ne regarde pas le monde tel qu’il existait en 1967. Je considère le monde tel qu’il existe en 2020. » Ce qui signifie que les exigences d’Israël en matière de terre et de sécurité seront satisfaites, alors que les revendications des Palestiniens, auxquelles il manque la force des armes, peuvent être sans risques mises de côté, à la faveur de paroles et d’arrangements censés sauver la face.
Ainsi, sans scrupules, les Palestiniens se voient offrir « l’autodétermination » dans un plan que rejette la vaste majorité – au mieux, un mini état difforme abusivement appelé « état ».

Célébrations et humiliation

Dans le but peut-être de s’assurer d’une réponse négative de la part des dirigeants palestiniens, ces derniers ont été insultés tout au long du plan et de sa présentation. Kushner a résumé l’attitude Trump crûment : « Vous avez cinq millions de Palestiniens qui se retrouvent piégés à cause d’une mauvaise direction. »
Le Hamas n’est jamais mentionné sans qu’on ne rappelle au lecteur qu’il s’agit d’un groupe « terroriste » – ce n’était guère l’éclairage à donner s’il existait une quelconque envie d’inciter les dirigeants de Gaza à venir s’assoir à une table de négociation. Le sort réservé à l’Autorité Palestinienne n’est guère préférable, qualifiée qu’elle est de corrompue et satisfaite du statut quo parce qu’il bénéficie matériellement à ses dirigeants. Ceci souligne le fait que Trump n’envisageait pas de négociations, mais plutôt une célébration de la victoire de l’Israël du premier ministre Benjamin Netanyahou et une humiliation pour les Palestiniens.
En Afrique du Sud, dans un ultime effort désespéré pour stabiliser le régime, de petites enclaves ethniques avaient été établies partout dans le pays avec un semblant d’autonomie, mais totalement subordonnées aux structures hiérarchiques d’apartheid et soumises à la cruelle exploitation de la population majoritaire. La carte présentée dans le plan de Trump ressemble clairement aux Bantoustans d’Afrique du Sud – enclaves non-contiguës de personnes sous domination, confinées derrière des murs dans leur propre patrie.
L’offre d’un mini état, constitué principalement de communautés urbaines de Cisjordanie regroupées en état sans être contiguës, sert aussi la fonction de rideau destiné à cacher – ou au moins à minimiser – de nouvelles appropriations de terres par Israël. Au lieu de se retirer de la Cisjordanie comme prescrit par la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU, Israël prendrait le contrôle de plus de 80% de la Palestine occupée, réalité déguisée encore plus en donnant au Palestiniens une zone désertique dans le Negev inhabitable.

Cycle de violence

En 2005, Israël a notoirement fait un pas vers la paix avec les Palestiniens en se « désengageant » de Gaza. Les forces israéliennes se retirèrent et les implantations abritant des milliers d’Israéliens ont été démantelées. Mais il s’est vite avéré qu’il ne s’agissait pas là de la fin de l’occupation, mais d’un nouveau mode de contrôle, visiblement plus désastreux encore pour la population civile de la Bande de Gaza.
Israël a gardé le contrôle des entrées et sorties de Gaza et a conservé le contrôle souverain de son espace aérien et de ses eaux territoriales. L’ingérence dans la vie économique de Gaza a causé de graves difficultés, accentuées par les mesures punitives adoptées après que le Hamas eut remporté le contrôle de la gouvernance du territoire.
Ces évolutions ont stimulé la résistance à Gaza, ponctuée par des offensives militaires israéliennes majeures en représailles des tirs de roquettes en provenance de l’enclave dans un cycle de violence ciblant la population civile vulnérable.
Ce que l’accord de Trump offre, pour le moins, c’est une version aggravée du post-désengagement de Gaza. Il confère le contrôle exclusif des frontières à Israël, exige la démilitarisation totale du mini état palestinien, et met les communautés palestiniennes totalement à la merci d’une intervention militaire israélienne.
S’il s’agit là de « l’accord du siècle », ce sera un siècle sinistre pour nous tous. Peut-être que l’injustice extrême des propositions états-uniennes peut susciter quelques réactions bénéfiques, notamment l’émergence d’une direction palestinienne unifiée, l’exigence de voir les États-Unis remplacés par un intermédiaire neutre, une solidarité mondiale accrue avec la lutte palestinienne, et le début d’un effort international pour faire en sorte qu’Israël répondent de ses crimes contre l’humanité.
Le plan Trump a été conçu pour apposer un sceau formel d’approbation sur ce qui existait déjà sur le terrain, notamment l’émergence d’un état d’apartheid israélien et l’érosion continue des droits des Palestiniens. 

Toute véritable initiative diplomatique pour la paix doit reposer sur la dissolution du régime d’apartheid israélien. Toute autre approche ne peut aboutir, au mieux, qu’à un cessez-le-feu temporaire.

Richard Falk est professeur émérite, détenteur de la chaire Albert G Milbank de droit international à l’université de Princeton et chercheur à Orfalea Center of Global Studies. Il a aussi été rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme palestiniens. Pour consulter son blog.
10 février 2020 – Middle East Eye – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

Chronique de Palestine

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