Orly Noy
En Israël, les enseignants courent le risque d’être licenciés s’ils expriment un quelconque soutien aux droits des Palestiniens.
Le maccarthysme israélien ne s’arrête pas à la porte de la salle de classe.
Meir Baruchin, professeur d’éducation civique dans un lycée de Rishon
Letzion, a récemment été licencié après avoir critiqué en classe et sur
Facebook la politique israélienne dans les territoires occupés et le
meurtre de civils palestiniens par l’armée israélienne.
Baruchin, qui enseigne depuis plus de 30 ans, utilise souvent sa page
Facebook pour partager des articles sur l’occupation israélienne et son
impact quotidien sur la vie des Palestiniens en Cisjordanie occupée et à
Gaza. Ces posts s’inscrivent dans une position morale sans équivoque
contre l’oppression et la violence.
Meir Baruchin a exhorté les jeunes Israéliens à ne pas rejoindre
l’armée et a traité d’« assassins » les pilotes qui ont tué neuf membres
d’une même famille palestinienne en bombardant un immeuble à Gaza.
En réponse à sa convocation devant le conseil de discipline, il a
déclaré que son but était d’encourager les élèves à penser de manière
indépendante, notant que certaines déclarations qui lui étaient
attribuées n’avaient pas été faites en classe.
S’opposer à l’occupation
Ce n’est pas la première fois, en Israël, qu’un enseignant est
sanctionné pour avoir adopté une position critique à l’égard de
l’occupation et des violations des droits de l’homme. Il y a environ six
ans, un lycéen a envoyé une lettre au ministre israélien de l’Éducation
pour se plaindre de la façon dont un enseignant, Adam Verta, avait
critiqué l’État d’Israël, mis en doute la moralité de l’armée
israélienne et, plus généralement, épousé en classe les opinions de
« l’extrême gauche ».
Verta a été convoqué devant le conseil de discipline puis renvoyé.
Durant l’audience, dont le texte est devenu le scénario d’une pièce de
théâtre, l’enseignant a notamment déclaré : « Notre tragédie en Israël
est que tout discours traitant des droits de l’homme, du sens de la vie
humaine et de la liberté d’expression a été associé à l’extrême
gauche ». Et « l’extrême gauche », en Israël, est attaquée par tous les
moyens dont le régime peut se saisir.
Le ministère israélien de l’Éducation aime faire étalage de la notion
de « pensée critique ». Le site web en hébreu du ministère mentionne à
plusieurs reprises la pensée critique dans le cadre de la boîte à outils
de l’enseignant – mais il y a un écart flagrant entre ces déclarations
et la réalité.
Pensez au licenciement en 2012 d’Adar Cohen, qui coordonnait à
l’époque les études civiques au ministère de l’Éducation, en raison de
la pression exercée par des personnalités de droite. Une partie de leur
campagne était centrée sur sa promotion de manuels prétendument
« post-sionistes » qui, entre autres, évoquaient le rapport Goldstone et
la violence de droite en Israël.
Principaux moyens d’endoctrinement
En Israël, les études civiques font partie du programme de base au
lycée. Ces cours constituent le principal moyen de façonner les élèves
en vue d’en faire de futurs citoyens, un processus par lequel ils sont
censés saisir le vrai sens de la démocratie et développer des outils
essentiels pour les aider à en sauvegarder les valeurs en tant que
citoyens adultes.
Au fil des ans, cependant, les cours d’éducation civique se sont au
contraire transformés en un moyen clé d’endoctrinement par le régime.
Non seulement des enseignants sont licenciés pour avoir refusé de mener
des discussions en classe dans les limites étroites autorisées par les
autorités, mais le matériel d’apprentissage officiellement jugé
approprié ou inadapté pour les élèves du secondaire a également
radicalement changé.
En août dernier, le ministre de l’Éducation, Rafi Peretz, a annoncé
que la récente loi israélienne sur l’État-nation, communément appelée
« loi d’apartheid », serait désormais incluse dans le programme d’études
civiques et ce, bien que des dizaines d’appels contre la légalité de
cette législation soient toujours en instance devant la Cour suprême.
Défendant sa décision, Peretz a expliqué : « Je pense qu’il est très
important que le système éducatif enseigne la loi nationale qui démontre
notre droit historique en tant que peuple souverain et constitue une
base juridique pour l’État d’Israël en tant qu’État-nation du peuple
juif. »
Victimes du maccarthysme
Gardez à l’esprit que Peretz, chef du parti Le Foyer juif et
actuellement responsable de l’éducation pour la totalité des enfants en
Israël, aspire à étendre la souveraineté israélienne à l’ensemble de la
Cisjordanie sans accorder aux résidents palestiniens qui y vivent le
droit de vote aux élections nationales israéliennes à la Knesset.
Peretz est un politicien d’extrême droite qui, lors des dernières
élections, s’est allié au kahaniste Itamar Ben Gvir, un éminent disciple
de feu Meir Kahane. Mais il a ensuite abandonné cette alliance au
profit du parti de Naftali Bennett.
Bennett, qui dirigeait auparavant le ministère de l’Éducation, a
interdit aux représentants de l’ONG Breaking the Silence de se rendre
dans les établissements d’enseignement publics israéliens pour engager
avec les élèves des discussions critiques sur le service militaire
qu’ils doivent obligatoirement accomplir peu après la fin du lycée.
Au lieu de cela, il a lancé un programme début 2018 visant à
encourager les jeunes à s’enrôler dans l’armée et « à renforcer les
liens entre les écoles et [cette dernière] ».
Pour obtenir un diplôme universitaire complet, les élèves arabes
chrétiens, musulmans et druzes en Israël doivent étudier, entre autres,
la loi sur l’État-nation qui les discrimine et les désigne comme
citoyens de seconde classe dès la naissance. Si un enseignant tente
d’entamer une discussion critique de cette loi, son destin professionnel
ressemblera à celui d’Adam Verta, d’Adar Cohen et de Meir Baruchin, les
dernières victimes du maccarthysme au sein du système scolaire
israélien.
Messages de soutien
On peut éventuellement trouver un certain réconfort dans les réponses
des élèves de Meir Baruchin à ce qui lui a été fait. Après avoir
annoncé son licenciement sur sa page Facebook, un déferlement de
messages de soutien et de commentaires pleins de gratitude s’est ensuivi
de la part de centaines de ses étudiants actuels et anciens, y compris
ceux qui n’étaient pas d’accord avec ses idées politiques.
« Quand j’étais en terminale, j’enviais la classe d’à côté où
Baruchin donnait ses cours uniques d’instruction civique », a écrit une
jeune femme. « J’ai persévéré jusqu’à réussir à passer dans sa classe
pour les cours d’éducation civique, même si cela entrait en conflit avec
mes propres horaires de cours. Je sentais que c’était l’occasion
d’entendre une voix différente au lycée. Meir nous a appris ce qu’est le pluralisme, comment mener une
discussion fructueuse et respectueuse avec quelqu’un qui pense
différemment et comment voir l’autre côté » a-t-elle ajouté.
« Même si je suis issue d’un foyer très à droite, et même si j’étais
en désaccord avec certaines des idées qu’il a exprimées en classe, je me
suis accrochée à chaque mot, assise au premier rang, fascinée par sa
capacité à exprimer les choses sous un angle différent, ce qui était si
inhabituel dans le paysage des instructeurs robotiques et conventionnels
auxquels j’étais habituée. »
« Je suis furieuse et triste d’apprendre qu’il a été licencié, mais
je suis surtout désolée pour les élèves et pour l’école, qui ont perdu
un professeur exceptionnel. »
Orly Noy est une journaliste et activiste politique basée à Jérusalem.
Traduit de l’anglais (original).
Source : MEE
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