Yehuda Shaul
La Maison Blanche se plaît à prétendre qu’elle rompt avec la tradition.
En fait, elle recycle de vieilles cartes et de vieilles idées.
Le Président des E.U., Donald Trump, et ses conseillers de haut
niveau se vantent de sortir des sentiers battus et de remettre
audacieusement en question les idées reçues. « Nous avons choisi une
approche non-conventionnelle » s’est targué de son travail Jared
Kushner, le gendre de Trump et l’architecte du plan de paix
israélo-palestinien des E.U. récemment publié. « Si les gens se
concentrent sur les sujets de discussion anciens et traditionnels, nous
ne ferons jamais de progrès », a-t-il soutenu.
Mais le plan de Trump est en réalité aussi traditionnel que possible.
En fait, il ressemble à s’y méprendre à un autre plan publié il y a
plus de 40 ans. En 1979, l’Organisation Sioniste Mondiale a publié un
plan intitulé « Plan Directeur de Développement des Colonies en Judée et
en Samarie, 1979–1983 », rédigé par Matityahu Drobles, un ancien député
du Bloc Herut-Libéral — prédécesseur du parti du Likud d’aujourd’hui —
et le directeur de la Division de la Colonisation de l’Organisation
Sioniste Mondiale, l’organisme responsable des projets et de la
construction de colonies.
Son plan était fondamentalement un commencement d’exécution détaillée
du plan de développement de la colonisation d’Ariel Sharon, alors
Ministre de l’Agriculture — une tâche que les gouvernements israéliens
successifs ont menée avec beaucoup de zèle au cours des quatre décennies
suivantes, en installant 640.000 colons dans des zones-clés de toute la
Cisjordanie. La conception de Trump est en réalité la nouvelle formule
de Drobles.
Plan Drobles de 1979 et Plan Trump de 2020
Gauche : recréation par les auteurs de la carte israélo-palestinienne intégrée dans le plan Drobles.
Droite : carte intégrée dans le plan Trump.

Les plans de Trump et de Drobles partagent la conviction qu’il ne
devrait jamais y avoir aucune véritable souveraineté palestinienne sur
le pays. Le plan de Trump admet qu’il « implique forcément la limitation
de certains pouvoirs souverains dans les zones palestiniennes ». Ou
comme Drobles l’a dit, « il est maintenant important de mettre l’accent,
principalement par l’action, sur le fait que l’autonomie (ayant été
négociée en tant que partie des Accords de Camp David) ne s’applique pas
et ne s’appliquera pas aux territoires mais plutôt à la seule
population arabe ». En d’autres termes, Trump, comme Drobles il y a 40
ans, met l’accent sur le contrôle israélien absolu sur le territoire,
tout en externalisant l’administration des habitants non-Juifs de ce
territoire. Il n’a jamais été question d’un contrôle palestinien sur le
territoire.
Au-delà de la question de la souveraineté territoriale, les deux
plans s’accordent sur un contrôle israélien permanent sur la
Cisjordanie. Comme Trump et Kushner l’ont dit, « l’Etat d’Israël
maintiendra la responsabilité primordiale de la sécurité pour l’Etat de
Palestine ». Ou selon les mots de Drobles, « il ne peut y avoir l’ombre
d’un doute quant à notre intention de maintenir un contrôle perpétuel
sur les territoires de Judée et de Samarie ».
En évoquant l’importance de la frontière orientale d’Israël le long
du Jourdain, le plan de Trump et de Kushner justifie le contrôle
israélien perpétuel sur la Vallée du Jourdain : « la Vallée du Jourdain
assure une barrière physique escarpée, d’environ 1.400 mètres, contre
une attaque extérieure venue de l’Est. Les forces israéliennes déployées
le long du flanc est de la chaîne de collines de Cisjordanie pourrait
tenir à distance une armée supérieure en nombre jusqu’à ce que l’état
d’Israël ait terminé la mobilisation de sa réserve ».
La même discussion sur la frontière orientale d’Israël apparaît dans
les documents israéliens de planification dès le Plan Allon de juillet
1967—un plan établi par le Ministre du Travail d’alors, Yigal Allon, qui
recommandait l’annexion de la Vallée du Jourdain afin de déplacer la
frontière orientale d’Israël jusqu’au Jourdain et de créer une zone
tampon entre les Palestiniens de Cisjordanie et la Jordanie. Drobles
s’est emparé de cette idée et s’en est prévalu, en faisant référence aux
colonies de la Vallée du Jourdain en tant que « notre premier mur de
défense à l’Est ». Alors que Trump et Kushner se plaisent à présenter
leur travail comme révolutionnaire, les bases de l’annexion de la vallée
du Jourdain étaient mises en place depuis des décennies.
Les ressemblances qui apparaissent entre les deux plans montrent dans
quelle mesure le plan de Trump est le prolongement de décennies de
politique israélienne. Ce n’est nulle part plus évident que dans la
promesse de Trump selon laquelle Israël « n’aura pas à déraciner de
colonies ». Cette assertion n’est rien d’autre qu’un ancrage du statu
quo, en rendant permanent le morcellement du territoire palestinien. La
réalité que Trump veut promulguer est une Palestine entièrement
fragmentée — plus celle d’un archipel que d’un état.
Mais cela a toujours été le but de l’entreprise coloniale. Il est
important, a écrit Drobles en 1979, « de coloniser le territoire entre
les centres de population de la minorité (arabe) et leurs alentours,
afin de réduire les risques de développement d’un état arabe
supplémentaire dans ce territoire. Puisqu’il sera découpé par les
colonies juives, il sera difficile pour la population minoritaire
d’établir une continuité territoriale et une unité politique ».
Aujourd’hui, quatre décennies après, le rêve de Drobles est presque
devenu réalité si le plan de Trump devient une perspective d’avenir.
Pourtant il y a une différence entre Drobles et Trump. Drobles était
assez honnête pour admettre ce qu’il était en train de faire ; il était
explicite que ce que sa carte décrivait n’était pas un état palestinien
mais le moyen d’empêcher qu’il y en ait un. Trump et Kushner soutiennent
exactement la même façon de penser, cependant ils qualifient ce
regroupement de bantoustans de plan pour « deux Etats ».
Kushner affirme vouloir de nouvelles idées, mais le plan de Trump n’a
rien de nouveau à proposer. Le plan garantit qu’il n’y aura jamais
d’Etat palestinien en Cisjordanie, ce qui a été le principe de base
sous-jacent de la politique israélienne depuis 1967. Ce qui est nouveau
c’est l’impudence d’appeler Etat les lambeaux et morceaux restants qui
n’ont pas été pris par les colonies.
Si la communauté internationale ne voit pas plus loin que cette
façade, le plan insoutenable qu’ils ont présenté deviendra la base de
référence des négociations futures. La Ligue Arabe et les autres
dirigeants qui n’ont pas encore abandonné tout espoir d’une paix
négociée dans la région doivent par conséquent faire front commun dans
le rejet de leur plan, en refusant de se joindre à Trump en changeant
les paroles de Drobles de « contrôle permanent » pour les mots d’ « Etat
de Palestine ».
C’est le seul moyen d’empêcher l’administration Trump de fouler aux
pieds le droit international et de stopper sa volonté de garantir le
cachet d’approbation de Washington pour faire avancer l’annexion et
l’apartheid en Cisjordanie.
Yehuda Shaul a servi comme soldat et officier de
l’infanterie de combat dans les Forces de Défense d’Israël de 2001 à
2004 dans les villes de Cisjordanie de Bethléem et Hébron. Il est membre
fondateur de Breaking the Silence.
Photo : Une partie de la carte du plan Drobles de 1979. Illustration de Foreign Policy / Plan Drobles
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers.

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