Des panneaux affichés dans tout Tel Aviv et montrant les dirigeants
palestiniens les yeux bandés et à genoux révèlent ce que pensent
beaucoup d’Israéliens.
La semaine dernière, piétons et chauffeurs de Tel Aviv ont aperçu des
panneaux particulièrement perturbants affichés dans toute la ville. Les
panneaux, érigés par le groupe d’extrême droite « Projet de la victoire
israélienne », montraient le président palestinien Mahmoud Abbas et le
dirigeant du Hamas Ismail Haniyeh agenouillés, avec un bandeau sur les
yeux, sur fond de destructions. La légende disait : « La paix se fait seulement avec des ennemis vaincus ».
Dimanche matin, le maire de Tel Aviv Ron Huldai a ordonné que les
panneaux soient démontés, disant que les images « incitaient à la sorte
de violence qui rappelle l’Etat islamique et les Nazis ». Mais ce qui
était vraiment perturbant à propos des panneaux n’est pas l’incitation.
Israël n’a pas besoin de chefs de claque pour la violence qu’il exerce
contre le peuple palestinien. Ce qui est particulièrement écoeurant est
la manière dont le panneau expose à la vue de tous les aspects les plus
sombres et les plus malsains du regard collectif d’Israël vis-à-vis de
nos voisins.
D’abord, le texte lui-même. « La paix se fait seulement avec des
ennemis vaincus ». Quiconque espère mettre à genoux son ennemi (et les
yeux bandés, pour faire bonne mesure) ne s’intéresse absolument pas à un
protocole de paix — il s’intéresse seulement à la soumission. Voici
l’amère vérité au coeur de tous les « pourparlers de paix » et des
négociations avec les Palestiniens : Israël veut mettre à genoux les
Palestiniens et les forcer à accepter de honteux accords de défaite,
tout en remerciant les Israéliens des « concessions douloureuses » que
nous avons été contraints de supporter.
Qu’Abbas soit montré les mains levées en signe de défaite, comme s’il
s’agissait d’une scène d’exécution, révèle encore une autre vérité :
Israël n’a réellement jamais fait de distinction entre les différents
courants politiques palestiniens ou leur approche à l’occupation
israélienne. Pour Israël, il n’y a pas de distinction réelle entre le
dirigeant d’un mouvement qui croit dans le combat armé et un autre qui
veille à poursuivre la coordination de la sécurité avec Israël pour
empêcher les bus d’exploser au coeur des villes israéliennes.
La vérité est que chacun d’eux doit être mis à genoux. Tous doivent se soumettre.
Après 50 ans d’occupation militaire brutale et plus de 70 ans
d’oppression, quelle est la signification de la défaite à laquelle le Israeli Victory Project
croit qu’Israël doit aspirer ? La destruction totale à l’arrière-plan
fournit un indice. La défaite signifie que le peuple palestinien doit
croupir dans la mort et la décimation pendant que les « avions de combat
les plus moraux » du monde tournent en cercle au-dessus d’eux. Cela,
selon le panneau, est l’objectif stratégique d’Israël. Et si c’est
l’objectif, alors la vallée de la mort qu’Israël a établie à Gaza est un
succès retentissant.
Et pourtant le peuple palestinien refuse de se soumettre et continue
de lutter pour sa libération. À quel moment, alors, Israël décidera-t-il
que les Palestiniens ont été suffisamment vaincus pour « faire la
paix » ? Et comment parvient-on à cette défaite finale, absolue ? Est-ce
par le meurtre continuel de manifestants non armés près de la barrière de Gaza ? En continuant la politique des démolitions de maisons ? En accélérant le nettoyage ethnique en Cisjordanie ? En multipliant le nombre des Palestiniens en détention administrative? En continuant à détruire l’économie palestinienne ? Combien d’enfants palestiniens en plus doivent-ils rester dans des prisons israéliennes
— certains sans procès — pour qu’Israël puisse officiellement annoncer
la défaite du peuple palestinien ? Combien d’enfants palestiniens en
plus doivent perdre leurs yeux pour que nous nous réjouissions de la défaite de l’ennemi ?
Quand l’objectif est la défaite absolue, tous les moyens sont
justifiés. C’était précisément ce que le dirigeant colonial Uri Elizur
avait en tête quand il a écrit son article maintenant tristement célèbre
— dans lequel il pronait essentiellement le génocide du peuple
palestinien — qu’Ayelet Shaked, quelques mois seulement avant d’être
nommée ministre de la Justice, a partagé sur sa page Facebook en 2014 :
« Le peuple palestinien nous a déclaré la guerre et nous devons
répondre par la guerre. Pas une opération, pas un processus lent, ou à
faible intensité, pas l’escalade contrôlée, pas la destruction d’une
infrastructure terroriste, pas d’assassinats ciblés. Assez de références
indirectes. Ceci est une guerre. Les mots ont du sens. Ceci est une
guerre. Ce n’est pas une guerre contre le terrorisme, et ce n’est pas
une guerre contre des extrêmistes et ce n’est pas même une guerre contre
l’Autorité palestinienne. Celles-ci aussi sont des façons d’éviter la
réalité. C’est une guerre entre deux peuples. Qui est l’ennemi ? Le
peuple palestinien… Qu’y a-t-il de si horrible dans le fait de
comprendre que le peuple palestinien tout entier est l’ennemi ? Toute
guerre est entre deux peuples, et dans chaque guerre le peuple qui a
commencé la guerre, ce peuple entier, est l’ennemi. Une déclaration de
guerre n’est pas un crime de guerre. Répondre par la guerre ne l’est
certainement pas. Pas plus que l’utilisation du mot « guerre », ni une
définition claire de qui est l’ennemi. Au contraire : la moralité de la
guerre (oui, cela existe) est fondée sur l’hypothèse qu’il y a des
guerres dans le monde et que la guerre n’est pas l’état normal des
choses, et que dans les guerres l’ennemi est d’ordinaire un peuple
entier, y compris ses personnes âgées et ses femmes, ses cités et ses
villages, sa propriété et son infrastructure. »
Après nous être débarrassés d’un peuple entier — y compris ses
personnes âgées et ses femmes, ses cités et ses villages, sa propriété
et son infrastructure — nous conclurons peut-être alors qu’ils ont été
« convenablement vaincus » et nous pourrons finalement faire la paix.
Orly Noy est éditrice de Local Call, militante politique et
traductrice de poésie et de prose farsi. Elle est membre du bureau
exécutif de B’Tselem et militante dans le parti politique Balad. Ses
écrits s’intéressent aux lignes qui intersectent et définissent son
identité comme Mizrahim, femme de gauche, femme, migrante temporaire
vivant à l’intérieur d’une immigrante permanente, et au constant
dialogue entre elles.
Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call.
Trad. de l’anglais : CG pour l’Agence Média Palestine
Source : +972


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