dimanche 29 septembre 2024

Féminicide de Philippine : refuser l’instrumentalisation raciste de l’extrême-droite et du gouvernement

Antoine Weil

Le féminicide terrible de Philippine sert depuis une semaine de prétexte à une campagne raciste brutale dans le pays. Partie de l’extrême-droite, l’instrumentalisation de l’affaire provoque une surenchère de propositions réactionnaires auxquelles il faut s’opposer frontalement.

Le vendredi 20 septembre, Philippine, étudiante de 19 ans, a été victime d’un féminicide. Un drame horrible, comme ceux qui ont touché 100 autres femmes en 2024, tuées depuis le début de l’année par leur conjoint, un ancien compagnon, ou un inconnu. Des crimes terribles qui rappellent l’ampleur et la brutalité des violences sexistes et sexuelles. À l’heure où le procès des viols subis par Gisèle P. souligne, combien les violences sexistes traversent toutes les strates de la société, ce nouveau drame a cependant donné lieu à tout autre chose qu’un débat sur le patriarcat.

Si en une semaine cette affaire a acquis une place de premier plan dans la vie politique nationale, le cadrage médiatique est unanime : tout ce qu’il faut retenir est que le suspect est un « migrant marocain sous OQTF [obligation de quitter le territoire français] », comme c’est inlassablement répété sur les chaînes d’informations. Le meurtre de Philippine serait alors l’énième preuve du « laxisme » de la justice et de la délinquance chez les étrangers. De Jordan Bardella à Emmanuel Macron qui s’est prononcé jeudi soir, en passant par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Une idée au cœur d’une campagne politique raciste dont l’ampleur a été attisée par la crise politique.

Campagne raciste : l’extrême-droite anime, les médias et les politiques s’alignent

Si l’émoi suscité par le meurtre d’une jeune femme de 19 ans est légitime, l’instrumentalisation raciste de ce féminicide, devenu le prétexte d’une grande campagne xénophobe, n’a rien de naturel. Son itinéraire rappelle les « affaires » Thomas et Lola. En début de semaine, l’extrême-droite radicale, proche de Zemmour, a lancé une vaste offensive politique. Ainsi, c’est Alice Cordier, du collectif « féministe » identitaire Nemesis, qui s’est activée pour médiatiser l’affaire. Aux côtés de Damien Rieu, ancien de Génération Identitaire qui a dévoilé l’identité complète du suspect, probablement informé par des sources policières, elle a profité des médias du groupe Bolloré pour être relayée largement.

Devenue nationale, toute la droite et l’extrême-droite se sont depuis emparées du sujet, de Bardella qui martèle que Philippine a été « exécutée » sur France 2 jeudi soir, aux Républicains, qui proposent d’emblée d’allonger la durée maximale de rétention à 135 jours voire 210, contre 90 actuellement. Toutes les propositions de surenchères sont permises : le député européen RN et ancien commissaire Mathieu Valet veut juger les mineurs de 16 ans comme des adultes, Cyril Hanouna appelle à « renvoyer tous les OQTF chez eux » quand l’influenceuse d’extrême-droite Mila appelle à déchainer la violence raciste pour « terroriser » et « détruire » « ceux qui massacrent les français ».

Loin de mettre à distance le discours du RN, l’idée que « la France est coupable et responsable » en raison d’un traitement trop « laxiste » des étrangers s’installe pourtant chez des médias centristes, à l’image d’un billet du rédacteur en chef adjoint de L’Opinion ou du traitement réservé sur France Inter par Ali Baddou au ministre de la Justice ce vendredi matin. Un discours qui s’accompagne de la reprise générale de l’idée d’un problème de fond de délinquance des migrants. Des discours particulièrement dangereux, qui transforment les idées xénophobes de l’extrême-droite en lieux communs qui iraient de soi. Une campagne réactionnaire dans laquelle des responsables du Nouveau Front Populaire n’ont pas hésité à s’engouffrer, à l’image de Fabien Roussel, secrétaire général du PCF, fustigeant un « Etat défaillant » en matière de répression, ou bien Jérôme Guedj, député PS, déplorant une « faille dans la reconduite à la frontière » sans s’interdire de voter la mesure proposée par Les Républicains, évoquant avoir « zéro tabou » en la matière.

Une instrumentalisation ignoble attisée par la crise politique : il faut faire front !

Si l’instrumentalisation du féminicide de Philippine a acquis autant d’importance, c’est que le gouvernement Barnier comme le RN y voient l’opportunité d’avancer leurs pions, dans un contexte marqué par l’instabilité et la crise politique. Sans majorité à l’Assemblée, Retailleau veut profiter de la polarisation sur l’affaire pour imposer les dispositions de la loi immigration voulues par LR et refusées par le Conseil Constitutionnel en début d’année. Il pourrait ainsi supprimer la plupart des protections juridiques pour une personne visée par une OQTF, pour les personnes représentant « une menace grave pour l’ordre public », tout comme l’aide médicale d’Etat (AME). Refusant d’être dépassé par le ministre de l’Intérieur, le RN multiplie de son côté les déclarations offensives sur le sujet, appelant à reprendre le programme du RN comme le « rétablissement de la double peine » au service d’un « sursaut sécuritaire, judiciaire et migratoire ».

Face à la course de vitesse pour savoir qui apparaîtra le plus offensif en matière d’attaques anti-migrants, et alors que l’extrême-droite radicale - étudiante, proche de Zemmour ou active dans des groupuscules violents - souhaite profiter de la séquence pour se recomposer, une telle campagne ne doit pas rester sans réponse. En présentant les personnes touchées par des obligations de quitter le territoire français comme dangereuses et en appelant à leur expulsion massive, l’extrême-droite et les nombreux relais de son discours veulent s’attaquer à des milliers d’étrangers, qui vivent, étudient et travaillent en France, et sont visés par ce dispositif, dont le recours a explosé depuis 2011.

Ces dernières années, Darmanin a fait en sorte que chaque personne qui se voit refuser son titre de séjour, essentiellement pour des raisons administratives, soit visée par une OQTF. Une manière de placer massivement les étrangers dans une situation d’illégalité, les empêchant pendant 3 ans de demander un titre de séjour, qui conduit à des expulsions illégales et à un placement accru en Centre de Rétention Administrative de personnes légalement présentes en France. L’offensive actuelle prépare le terrain à un nouveau durcissement des lois xénophobes, dans le cadre de la « loi immigration 2.0 » que Retailleau appelle de ses vœux.

Associée au mythe raciste qui fait des étrangers des criminels en puissance, cette rhétorique masque la réalité de la situation des étrangers en France mais aussi l’enjeu féministe réel de lutter pour en finir avec les féminicides. De façon emblématique, l’instrumentalisation en cours permet aux pires réactionnaires, hostiles au mariage gay, anti-IVG, opposés à MeToo et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, comme Alice Cordier, Jordan Bardella, ou Bruno Retailleau de se poser en défenseurs des femmes. Contre cette offensive, à laquelle s’adapte toute une partie de la gauche, il y a urgence à dénoncer le système des OQTF, la situation des étrangers en France, et à défendre des perspectives sérieuses pour en finir avec les féminicides.

Une telle perspective passe par le fait de lancer une lutte féministe de grande ampleur contre le système qui nourrit et renforce les violences patriarcales, et duquel font partie intégrante l’Etat capitaliste et ses institutions, à commencer par le système pénal que l’extrême-droite a à coeur de renforcer. L’Etat bourgeois n’est pas un outil de lutte contre le patriarcat, c’est aujourd’hui son principal appui, et la montée en puissance des politiques répressives et anti-immigration ces dernières années n’a pas contribué à réduire les violences sexistes et sexuelles, au contraire. À rebours du pseudo-féminisme d’extrême-droite et du féminisme qui s’adapte à l’agenda répressif de l’Etat, il faut lutter pour des mesures d’urgence : des moyens massifs dans la formation et l’embauche de personnels spécialisés, tant pour les victimes que pour les personnes ayant commis des violences sexistes et sexuelles, la réquisition des logements vides, la régularisation de tous les sans papiers. Des mesures qui puissent permettre aux femmes victimes de violences, et à toute personne, de sortir de la dépendance économique et d’une position très fragile d’irrégularité sur le sol français.

La défense de telles mesures implique la construction d’un rapport de forces immense. Seul un mouvement de femmes indépendant de l’État et de ses institutions, allié à la force du mouvement ouvrier et s’appuyant sur ses méthodes, serait à même de les arracher...

...tout en posant la question du renversement du système capitaliste patriarcal actuel, sans lequel les féminicides ne cesseront jamais.

Révolution Permanente

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