Roxane Sinigaglia
Après avoir permis la nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre, le Rassemblement National, qui a une fois de plus montré qu’il se situe du côté des classes dominantes, cherche à conserver un visage d’opposition pour ne pas braquer ses électeurs.
Une problématique au cœur de la réunion de rentrée des députés d’extrême-droite.
« Si Michel Barnier est le continuateur d’une politique qui a été conduite par Emmanuel Macron, alors ce gouvernement tombera » déclarait lundi matin sur RTL Jordan Bardella, avant d’ajouter : « Si le gouvernement consiste à recycler Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti, tous les pontes de la macronie jusqu’à M. Bertrand, la censure ne sera pas uniquement celle du premier ministre, elle sera celle du gouvernement ». Quelques jours après avoir scellé un pacte avec Macron en acceptant de soutenir Barnier, le RN a choisi de commencer la semaine en montrant les muscles.
La sortie est révélatrice de la tension qui agite le parti : comment continuer à donner l’impression d’être une force d’opposition tout en soutenant le gouvernement à l’Assemblée. L’enjeu était au cœur de la rentrée parlementaire des 126 députés RN ce week-end. Alors qu’un député expliquait la semaine dernière « les gens ne nous pardonneront pas si on est dans une posture trop constructive sans rien obtenir », la direction du parti a appelé à « franchir un nouveau cap et devenir une opposition influente ». Une logique qui implique d’afficher une attitude de « pression », qui s’est traduite par de multiples tacles contre Macron et son nouveau Premier ministre, dans le cadre d’un discours politique plus large présentant le RN comme le parti de « l’ordre » et de la « justice ».
Samedi, Marine Le Pen a ainsi affirmé espérer « que [la] mandature [de Michel Barnier] soit la plus courte possible », notant « c’est celui qui a fait le moins de voix qui est chargé de constituer un gouvernement (…). Ça ne peut pas tenir ». Et d’affirmer « Il reste dix mois, et, moi, je suis convaincue qu’il y aura, à l’issue de ces dix mois, ou au printemps ou à l’automne, des nouvelles élections législatives. » Quelques jours plus tôt, Jean-Philippe Tanguy, député RN, annonçait être prêt à voter la censure sur le budget 2025 si une hausse des impôts était annoncée. Des menaces à peine voilées qui apparaissent bien hypocrites de la part du RN, sans lequel le gouvernement Barnier ne pourrait même pas exister. De fait, la posture vise à maintenir un visage d’opposition même en étant de facto partie prenante de l’alliance qui a permis à Macron de trouver un gouvernement. Un choix dicté par l’opportunisme, pour forcer la macronie et la droite à légitimer le parti qu’ils ont combattu pendant les législatives dans le cadre du « front républicain », mais aussi lié à un engagement sincère en faveur des classes dominantes et du régime, que le RN compte bien servir une fois au pouvoir.
En ce sens, la semaine dernière, Marine Le Pen réitérait son soutien à l’austérité dans La Tribune expliquant : « Nous sommes des gens responsables et avons conscience que le pays ne peut plus se permettre d’effectuer des dépenses inconsidérées dans un certain nombre de domaines ». Si le parti compte défendre l’abrogation de la réforme des retraites à l’Assemblée, c’est contraint et forcé par la nécessité de donner des gages à sa base sociale et avec l’objectif de coincer la gauche... tout en ayant la certitude que le texte n’ira pas au bout du fait du verrouillage du Sénat.
Pendant la campagne des législatives, quand le RN envisageait très sérieusement d’accéder au pouvoir, Bardella avait exprimé la véritable position du RN sur le sujet, expliquant suite à une question sur le sujet qu’il fallait avoir « la lucidité et l’honnêteté de dire aux Français que la situation économique dont nous allons hériter dans un pays qui pulvérise sous Macron les records de déficit commerciaux, de déficit public et de dette, va être compliquée. Par conséquent, nous serons, dans le cadre d’une cohabitation, amenés à faire des choix. [...] Il faudra des priorités. »
Une déclaration en phase avec les gages donnés par le RN pour rassurer le patronat et la bourgeoisie ces dernières années : vote contre l’augmentation du SMIC et le retour de l’ISF en 2022 à l’Assemblée Nationale, vote contre la taxation des superprofits et la mise en place de salaires minimaux au Parlement Européen, courbettes aux grands patrons de Total ou CMA CGM, engagement à « rembourser la dette », etc… L’alliance avec la macronie et Barnier constitue de ce point de vue-là un nouveau stade dans la collaboration assumée avec la bourgeoisie et les politiques anti-ouvrières, dans l’espoir que celles-ci finiront par lui ouvrir les portes de l’Elysée ou Matignon.
De quoi jeter une lumière crue sur la farce des discours « anti-systèmes », que les sorties anti-Macron ou même une éventuelle censure du gouvernement, dans un moment où celle-ci paraîtra opportune à l’extrême-droite, ne remettront en rien en question.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire