Alon Mizrahi
Certaines choses dans notre réalité politique actuelle sont si manifestement cinglées que nous ne prenons même pas la peine de nous arrêter et de les appeler par leur nom. L’une de ces choses, et non la moins importante d’entre elles, est l’objectif militaire d’Israël de « détruire le Hamas ».
Je ne vais pas maintenant discuter de tous les millions de sadismes inhumains qui ne sont même pas liés à la guerre, comme la famine et la coupure d’eau et d’électricité, l’aide à la propagation des maladies ou l’interdiction d’acheminer l’aide, y compris les anesthésiques, dans un territoire déchiré par la guerre. Toutes les choses qu’Israël a faites pour ajouter à la mort, à la torture et à la souffrance de la population palestinienne à Gaza. Je ne vais pas en parler cette fois-ci.
Je veux isoler la stratégie de guerre déclarée d’Israël. Cela, lorsqu’on l’observe comme un phénomène en soi, suffit à réaliser à quel point Israël est devenu fou. « Si vous voulez la paix, détruisez le Hamas. Si vous voulez la sécurité, détruisez le Hamas. Si vous voulez un avenir pour Israël, les Palestiniens, le Moyen-Orient, détruisez le Hamas », a déclaré Netanyahou à Meet the Press début novembre.
En mars, il a déclaré avec enthousiasme à un public de l’AIPAC pour expliquer pourquoi Israël doit absolument envahir Rafah : ce langage de « détruire le Hamas » a été bien accueilli et rapidement adopté par les fans américains de Netanyahou comme Marco Rubio, qui, en mai de cette année, a expliqué à un animateur de Fox News qu’il fallait détruire le Hamas.
Ces exemples ne constituent qu’un petit échantillon d’un grand océan de « détruire le Hamas ». Recherchez « détruire le Hamas » sur Google et vous obtiendrez une infinité de résultats en texte et en vidéo, tous répétant ce slogan.
Pour comprendre ce qu’Israël a l’intention de faire, regardez ce qu’il fait
Mais que signifie détruire le Hamas ? Eh bien, vous n’avez pas besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’Israël et ses porte-étendards occidentaux entendent par ce langage. Comme le montre le fait qu’Israël a largué 80.000 tonnes d’explosifs sur Gaza, soi-disant pour viser les militants et les dirigeants du Hamas, on comprend clairement ce qu’Israël entend par détruire le Hamas. Cela signifie littéralement tuer tous ceux qu’il soupçonne d’être impliqués dans les organisations, leurs familles, leurs proches et leurs voisins, les passants et tous ceux qui se trouvent dans le rayon d’explosion de l’une des centaines de milliers, voire des millions, de bombes larguées sur Gaza. Et même si nous avons abondamment parlé de toutes les horreurs commises par Israël, je ne pense pas qu’on ait évoqué la pure folie de cette partie du modus operandi d’Israël.
Il y a deux aspects psychotiques différents dans tout cela, qui ensemble créent la vision malsaine et dépravée de l’enfer dont nous sommes témoins : le premier est la définition d’Israël de la victoire dans cette guerre, à savoir l’élimination de tous les membres du Hamas, et le second est le code de conduite désormais établi d’Israël selon lequel il est acceptable de tuer n’importe quel nombre de personnes innocentes pour blesser un membre du Hamas.
Maintenant, si vous combinez ces deux aspects de la stratégie israélienne à Gaza, vous comprendrez que la véritable implication (et donc le sens) de ceci est l’extermination de toute la population de Gaza.
Le Hamas compte environ 30.000 membres. Ils ont 30.000 familles et probablement environ 1 million de voisins dans un rayon de plus ou moins 100 mètres. Étant donné que tous les membres du Hamas ne peuvent pas être éliminés dès la première tentative, et en tenant compte de certaines erreurs, ratés et échanges de tirs dynamiques réels, vous réalisez soudain que le seul but de tout cela est d’assassiner toute la population de Gaza par des centaines de milliers de bombardements « ciblés ». Rien d’autre n’a de sens, surtout quand on prend en compte tous les moyens supplémentaires qu’Israël utilise pour approfondir et augmenter les dommages causés aux Palestiniens.
De mémoire d’homme, aucune armée n’a défini la victoire de cette façon. C’est une particularité d’Israël
Imaginez, pendant la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis poursuivant ce genre de stratégie, à savoir : tous les membres des armées centrales, ainsi que toutes leurs familles et leurs voisins, doivent être tués.
Ou pendant la Seconde Guerre mondiale : imaginez la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS continuer à bombarder l’Allemagne, l’Italie et le Japon jusqu’à ce que tous ceux qui sont impliqués de quelque façon que ce soit dans les régimes politiques soient morts.
Imaginez cela dans l’invasion américaine de l’Irak ou de l’Afghanistan : tous ceux qui ont joué un rôle dans les anciens régimes, et tous ceux qui se trouvent dans un grand rayon d’explosion, où qu’ils se trouvent, sont des cibles légitimes et doivent être tués pour obtenir la victoire. Vous avez l’impression d’être sur le point d’être malade ? Bien.
Vous savez quoi ? En guise d’exercice, juste pour libérer nos esprits de la tyrannie de l’habitude, imaginez une armée combinée de tous les pays anciennement colonisés s’attaquant à la Grande-Bretagne, à la France, au Canada ou aux États-Unis et décidant que leur mesure de victoire est l’élimination ciblée de tous ceux qui ont servi les régimes de l’un de ces pays de quelque manière que ce soit, et de tous ceux avec qui ils pourraient entrer en contact. C’est une horreur au-delà de l’imagination, n’est-ce pas ?
Faux. C’est Gaza.
Gaza a une petite population, d’environ 2 millions de personnes, mais Israël a déjà ciblé la quasi-totalité de la population. Il n’y a pas beaucoup de gens à Gaza qui n’ont pas entendu une puissante explosion près d’eux. Il n’y en a pas beaucoup qui n’ont pas perdu quelqu’un.
Il nous est difficile de saisir l’ampleur de l’ambition et de la stratégie d’Israël à Gaza : nous ne pensons pas comme des monstres. Mais c’est ce que signifie réellement « détruire le Hamas », et c’est ce que fait Israël : faire lentement s’évaporer toute la population de Gaza.
Pour détruire un peuple entier, il faut une vaste campagne de diabolisation.
Et devinez quoi : Israël a plongé l’Occident dans une frénésie à propos des Palestiniens et des musulmans, du terrorisme, des menaces, des nazis et des victoires, et les médias de masse et les institutions politiques américaines [et européennes, NdT] ont été plus qu’heureuses de lui rendre service.
Les Palestiniens ne sont jamais considérés d’abord comme des personnes, mais seulement comme des terroristes en puissance. Désolé, même pas cela, car les terroristes peuvent avoir des objectifs politiques en tête, alors que, dans la propagande occidentale, les Palestiniens ne veulent rien d’autre que tuer. La diabolisation d’un peuple entier par Israël a réussi au-delà de toutes les espérances.
Avec le soutien sans limite de l’Amérique [et de l’Europe, NdT], le message aux Palestiniens est clair : les États-Unis ont l’intention d’équiper et de protéger leur destruction finale. Parce qu’Israël a dit que c’était ce qui devait être fait, et personne ne conteste Israël.
Mais quand on pense à ce qu’Israël a fait l’année dernière, quand on considère son utilisation du slogan « détruisez le Hamas », et Amalek, et toutes les choses horribles qu’il a sciemment et délibérément déchaînées sur les Gazaouis, on ne peut pas avoir le moindre doute qu’Israël a complètement perdu la tête, et a jeté toute inhibition qu’il pouvait encore avoir dans une grande benne à ordures, et y a mis le feu.
Et puis, il faut aussi se rappeler que Gaza est sous dictature militaire étrangère depuis 57 ans consécutifs et que la moitié de sa population est constituée de réfugiés de la Nakba. On assiste alors à une diabolisation effrénée et haletante : son but n’est pas seulement de légitimer le meurtre de masse de tous les Palestiniens par un million de bombardements ciblés, mais aussi d’empêcher toute discussion sur les crimes d’Israël, passés et présents.
De mémoire d’homme, aucun pays n’a jamais défini la victoire comme l’élimination de tous les membres de l’armée, des régimes et de tout établissement officiel de son ennemi, ainsi que de tous ceux qui se trouvent dans un rayon d’explosion autour d’eux. C’est une invention israélienne unique. Et aucun pays depuis la Seconde Guerre mondiale n’a diabolisé un peuple entier avec un tel succès international. Plus on est coupable, plus on accuse et plus on tue.
L’auteur : Alon Mizrahi est un publiciste et penseur israélien. Il a grandi à Yokneam. Enfant et adolescent, il a étudié dans différentes écoles, notamment dans une yeshiva à Bnei Brak. Il a exercé de nombreux métiers différents, allant de l’exploitation d’une machine à la haute technologie, et a étudié la langue et la littérature anglaises à l’université de Haïfa. Sa pensée politique est redevable au transcendantalisme d’Emerson, à la poétique de Whitman et à la biographie de Malcolm X. Il est l’auteur de Freedom: A Manifesto (Editions Locus, 2020). Son compte X : @alon_mizrahi. Sur ce compte, le 11 septembre 2024, il indique sobrement, pour illustrer une photo où il se trouve dans un avion : « Heading out », qu’on peut traduire par « Je pars ».
Article original en anglais sur : alonmizrahi.substack.com
Traduction : MR
ISM France
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