vendredi 18 octobre 2024

Austérité : nouvelles coupes budgétaires pour les universités et des étudiants toujours plus pauvres

Antoine Chantin

Le ministère de l’enseignement supérieur a présenté son budget pour l’année 2025. Un budget qui approfondit la casse de l'université publique, la précarisation des étudiants et le délabrement des établissements. De quoi préparer le terrain à de futures attaques sur la sélection et les frais d’inscription.

Jeudi 10 octobre, le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), Patrick Hetzel, présentait le budget consacré à son ministère pour l’année 2025. Une présentation au cours de laquelle il fanfaronnait en présentant son budget comme exemplaire puisqu’il répondrait « à la double exigence de préparer l’avenir tout en contribuant à la maîtrise des finances publiques ». Plus encore, le ministre et ses services n’ont cessé, depuis lors, de répéter à qui voulait l’entendre que le budget de l’ESR serait même en hausse de 89 millions d’euros sur la période 2025 par rapport à celle de 2024. Une rengaine qui cache mal la politique de destruction de l’université publique à laquelle va s’atteler Patrick Hetzel, dans la lignée de ses prédécesseurs.

Derrière les fausses promesses, l’austérité bien appliquée dans l’ESR

Si le ministère de l’enseignement supérieur prévoit effectivement une augmentation de 0,65% pour l’année 2025, celle-ci n’est qu’une goutte d’eau face au gouffre abyssal dans lequel sont plongés l’Université publique et les étudiants, faute de moyens. Cette augmentation mineure, bien en dessous du taux d’inflation, présage ainsi d’une nouvelle cure austéritaire pour les établissements de l’enseignement supérieur et d’une vague de précarité pour les étudiants. D’autant que pour répondre aux directives austéritaires de Barnier, Hetzel a décidé de geler les deux tiers des crédits prévus par la loi de programmation de la recherche (LPR) pour l’année 2025. Un manque à gagner de 400 millions d’euros pour l’enseignement supérieur et principalement l’Agence nationale de recherche (ANR).

Alors que 85% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, selon l’enquête nationale du Poing Levé, parmi lesquels 30% sont contraints d’aller à la banque alimentaire, le budget de Hetzel prévoit une diminution de 2,31% des finances consacrées à la vie étudiante. Les aides directes aux étudiants devraient même baisser de 4,52%. Même constat du côté du financement des Crous, en charge du logement et de la restauration en milieu universitaire. Force est de constater que les enveloppes prévues sont largement insuffisantes au regard des besoins urgents auxquels font face les étudiants. Le nouveau budget ne prévoit ainsi aucune augmentation concernant les moyens alloués à la modernisation, la réhabilitation et à la construction des logements étudiants, alors que le parc actuel des résidences Crous ne peut accueillir que 6% des étudiants.

Une situation qui ne manquera pas d’aggraver la situation des étudiants. D’après Le Poing Levé, 11% des étudiants ont déjà été sans domiciliation fixe. Un chiffre qui monte à 13% dans les Bouches-du-Rhône et Paris, jusqu’à atteindre le chiffre record de 17,5% en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. Le problème des logements étudiants n’est pas prêt de se résoudre, faute d’un nombre suffisant de logements au sein du parc Crous, quand les loyers du parc privé ont augmenté de leur côté de 160% entre 1990 et 2000.

La situation n’est guère plus enviable du côté du financement des établissements d’enseignement eux-mêmes. Ainsi, le budget du ministère de l’ESR consacré à l’immobilier sera amputé de près de 2%. Une coupe importante qui va encore fragiliser les établissements, notamment dans les universités qui accueillent déjà les étudiants les plus précaires. En effet, 80% des bâtiments composants le parc immobilier de l’université Sorbonne Paris-Nord sont vétustes d’après la Cour des comptes. L’université Paris Nanterre connait une situation similaire : le bâti n’a pas connu de réhabilitation d’ampleur depuis la livraison de son campus en 1964 et certains bâtiments sont encore amiantés. Sur le campus de l’IEP de Fontainebleau, rattaché à l’université Paris-Est Créteil, le toit d’un amphithéâtre s’est même effondré en avril dernier, tandis qu’à l’université Paris 8 les plafonds de nombreux bâtiments, dont une partie de celui du restaurant universitaire, tombent régulièrement.

Un délabrement à tous les niveaux et une précarité croissante chez les étudiants comme chez une partie du personnel que la loi de financement pour l’année 2025 exacerbera encore, alors que le texte présenté aujourd’hui au parlement pourrait encore être durci. Le macronisme et le RN sont en effet en embuscade pour épargner les plus fortunés et les grandes entreprises et substituer aux hausses d’impôts cosmétiques de Barnier de nouvelles économies dans les services publics.

Un budget austéritaire qui intervient dans un contexte de forte dégradation des universités

Ce budget approfondit ainsi les politiques austéritaires qui ont durement frappé l’enseignement supérieur depuis plusieurs dizaines d’année. Une situation qui a conduit la majorité des universités au bord du précipice financier. Alors qu’elles étaient déjà 15 à voter un budget en déficit en 2022, ce sont désormais 60 universités sur 74 qui se déclaraient en déficit pour assurer leurs missions en 2024. De nombreuses facs ont déjà procédé à des restrictions budgétaires drastiques, à l’image de Paris-Cité, qui a acté 24 millions de coupes budgétaires en décembre dernier.

Le délabrement des universités est inséparable de la politique menée par Emmanuel Macron lui-même. À la rentrée 2023, Macron assimilait ainsi les financements de l’Etat alloués à l’université à un « gâchis collectif » et sommait ces dernières de faire « mieux, beaucoup mieux » avec le budget « dont elles disposent ». Une détestation de l’université publique qui avait conduit, en février 2024, à l’annulation de 900 millions d’euros de crédits initialement alloués à l’enseignement supérieur. Cette saignée historique met en danger « l’équivalent de plus de 5 250 emplois pour le secteur de l’ESR », selon le syndicat Snesup-FSU, et elle a particulièrement affecté et empêché le recrutement de nouveaux personnels et professeurs, aggravant une situation déjà intenable tant l’université publique vit déjà de l’exploitation de très nombreux travailleurs précaires. Les vacataires représentent par exemple près 60 % des personnels enseignants des universités françaises. Ce statut, qui avait été initialement conçu pour rémunérer les interventions de professionnels extérieurs à l’université, s’est transformé un outil détourné pour faire fonctionner des établissements sans cesse davantage sous-dotés. Comme le relève Alternatives Economiques, « à l’université, une heure de vacation revient cinq fois moins cher qu’une heure de cours assurée par un titulaire ». Selon le ministère de l’ESR, les vacataires seraient ainsi, à minima, 152 036 dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Une véritable armée de travailleurs précaires devenue indispensables à l’heure de la néo-libéralisation de l’université.

Des coupes budgétaires qui préparent de nouvelles attaques d’envergure

Loin d’être la conséquence nécessaire de la situation budgétaire du pays, l’asphyxie des universités publiques et des étudiants apparait comme une aubaine pour le gouvernement et la bourgeoisie qui réfléchissent à une nouvelle loi Autonomie 2, dans le but de renforcer le caractère néolibéral des facs françaises, par la sélection, l’augmentation des frais d’inscription et l’ouverture élargie aux investissements privés. Emmanuel Macron le revendiquait d’ailleurs face à Hugo Décrypte en septembre 2023 : « On doit avoir le courage de dire : on ne laisse pas ouvertes ces formations parce qu’on a des profs sur ces formations, ce qui est un peu le cas parfois. Mais plutôt : est-ce que cette formation permet de former des jeunes et de leur fournir un emploi ? » Le projet de Macron mais aussi d’Hetzel est clair à l’égard de l’Université : en faire des lieux fermés aux classes les plus précaires, ouvertes uniquement aux élites et au service de leurs intérêts économiques, accompagnés d’établissements de second zone pour former des travailleurs selon les besoins du patronat.

Ainsi, les universités et les filières qui accueillent les enfants des classes populaires sont les moins bien dotées financièrement, au contraire de celles qui accueillent les enfants des élites. Une politique qui s’appuie sur des mécanismes de sélection sociale, renforcée ces dernières années par la création des plateformes de tri social comme Parcoursup, pour l’entrée en licence, ou MonMaster, pour l’accès au deuxième cycle universitaire. Une sélection qui s’opère également grâce à la précarisation des étudiants. Au total, ce sont en effet 12 % des étudiants qui ont déjà pensé arrêter leurs études pour des raisons financières, 18 % parmi les étudiants qui travaillent et 16 % pour ceux qui cherchent un emploi, selon l’enquête du Poing Levé.

Dans ces conditions, l’austérité et le renforcement de la sélection vont menacer massivement les étudiants et pourraient susciter des mobilisations d’ampleur, que le gouvernement essaye de conjurer en intensifiant la répression sur les facs depuis la rentrée, avec la publication de la circulaire Hetzel. Si cette dernière vise tout particulièrement les étudiants mobilisés pour la Palestine, elle participe d’une censure politique plus large qui permet de menacer durablement le droit à s’organiser dans les universités.

Face au tri social qui chaque année laisse plusieurs dizaines de milliers de jeunes sur le carreau, l’enjeu est de se battre pour une université où chaque lycéen qui obtient le bac peut s’inscrire gratuitement dans la filière de son choix. Mais face à la précarité étudiante, revendiquer une université véritablement ouverte à tous implique de défendre un revenu étudiant à hauteur du SMIC, indexé sur l’inflation et financé par un impôt sur les grandes fortunes, pour permettre à chacun de réaliser ses études dans des conditions matérielles décentes. Enfin, la liberté d’étudier exige de lutter pour la hausse des moyens de l’enseignement supérieur, afin de permettre l’embauche du personnel titularisé, de rénover et d’investir dans de nouvelles infrastructures adaptées mais aussi de financer massivement la recherche. 

Autant de perspectives de luttes qu’il faut défendre à l’heure où le gouvernement est plus que jamais à l’offensive contre l’université et la jeunesse et déterminé à accélérer le démembrement des services publics.

Révolution Permanente

Aucun commentaire: