samedi 19 octobre 2024

Visite de Buffet en Kanaky : le gouvernement temporise pour mieux réprimer

Arno Gutri

Après le report de la réforme du corps électoral, le gouvernement fait mine de prôner l'apaisement en Kanaky. Pourtant, derrière quelques concessions, l’Etat colonial compte bien poursuivre sa politique de répression contre le mouvement pour l'autodétermination de la Kanaky.

Affaibli par une crise politique très profonde, dont les révoltes dans les colonies sont un des symptômes les plus explosifs, le nouveau gouvernement veut tourner la page en Kanaky et rétablir son ordre colonial. C’est le sens de la visite du nouveau ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, qui se rend dans l’archipel pendant quatre jours pour sa première sortie officielle, signe de la priorité que l’exécutif accorde à cette question.

Le report de la réforme constitutionnelle du dégel du corps électoral annoncé dans le discours de politique générale du Premier ministre le 1er octobre, avait déjà pour objectif d’éteindre la colère en Kanaky qui couve malgré l’écrasante présence militaire sur l’île. Une colère qui s’exprime depuis des mois dans le cadre d’une révolte d’ampleur à la suite de l’annonce de cette réforme qui promettait de modifier le corps électoral en Kanaky au profit des anti-indépendantistesCette volonté d’étouffer la colère a été confirmée par François-Noël Buffet. Dans une interview à Outremer 360, il explique qu’il faut chercher à « obtenir un consensus politique et social pour rétablir durablement la paix publique, tout en ouvrant un nouveau cycle de négociations politiques et institutionnelles ». Alors que la brutalité de la répression déployée ces derniers mois témoigne de la détermination de l’Etat à conserver sa domination en Kanaky, l’objectif du nouveau gouvernement est clair : gagner du temps pour enterrer toute possibilité d’autodétermination du peuple kanak. La fragilité du gouvernement Barnier, miné par des divisions internes et confronté au vote périlleux du budget, l’oblige à céder quelques concessions pour éviter de multiplier les fronts. D’autant plus qu’une crise importante a éclaté en Martinique depuis quelques semaines contre les prix exorbitants pratiqués dans la grande distribution.

La « nouvelle méthode » : temporiser pour mieux régner

Après cinq mois de révoltes en Kanaky dont la répression a fait 13 morts, le nouveau ministre des outre-mer, auteur d’un rapport sénatorial en juillet 2023 annonciateur du projet de réforme du corps électoral, s’est rendu dans l’archipel pour défendre « une nouvelle méthode », selon son entourage. « Il ne faut pas confondre faiblesse et patience », explique-t-il, « le corps électoral n’est pas l’objet du moment. » Contraint de temporiser et de reculer sur ce terrain face à la mobilisation du peuple kanak, repoussant les prochaines élections à la fin de l’année 2025, le gouvernement tente de reprendre la main en concédant quelques miettes pour la « reconstruction » de l’archipel.

François-Noël Buffet a donné la feuille de route du gouvernement : « Il faut d’abord répondre à l’urgence absolue de l’effondrement économique et social de la Nouvelle-Calédonie. » Un plan qui passe par la prolongation du fonds de solidarité pour les entreprises et le dispositif du chômage partiel. S’ajoute à cela un prêt de l’Agence française de développement garanti par l’Etat à hauteur de 500 millions d’euros, inscrit dans le projet de loi de finances 2025, et un engagement à financer 100 % des reconstructions d’écoles et 70 % des bâtiments publics endommagés. Lors de sa visite, François-Noël Buffet a également tenu à rassurer le patronat local en se rendant dans la zone industrielle de Ducos, à Nouméa, pour rencontrer des membres de la chambre de commerce et d’industrie et du Medef. Un déplacement salué par Sonia Backès, députée loyaliste Renaissance de la province du Sud : « si [le ministre] fait les choses qu’il nous a dites, c’est très bien ».

Austérité et répression : la méthode coloniale continue

Mais les miettes lâchées par le nouveau gouvernement en Kanaky ne suffiront pas à masquer la poursuite de la politique coloniale déployée brutalement ces derniers mois. En effet, Barnier prévoit d’amputer le budget alloué aux Outre-Mer de 10%, soit au moins 300 millions d’euros de coupes budgétaires. Des restrictions budgétaires qui aggraveront la situation de territoires déjà particulièrement touchés par l’inflation et la misère et qui témoignent du mépris réservé aux colonies. De plus, la nomination de François-Noël Buffet, obsédé par la répression, révèle la volonté de l’exécutif de contrôler d’une main de fer ses colonies.

Il y a quelques semaines à peine, l’Etat colonial français tuait deux jeunes de la tribu de Saint-Louis. Ce territoire, noyau de la résistance kanak est aussi l’objet de méthodes répressives brutales. Le Haut-Commissaire appelait d’ailleurs les kanaks de cette tribu « à se rendre ou mourir ». Alors que le gouvernement prône l’apaisement, de la manière la plus hypocrite qui soit, les leaders indépendantistes de la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), déportés à 17 000 km de la Kanaky, sont toujours maintenus dans les prisons françaises

Derrière l’apparent changement de méthode du gouvernement, la feuille de route reste la même : réprimer les kanaks en lutte et gagner du temps pour continuer à maintenir la Kanaky sous domination de l’Etat français.


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