lundi 2 décembre 2024

Le spectre de la censure du gouvernement Barnier met les marchés financiers en ébullition

Livio Berio

Face à l’approfondissement de la crise politique et au risque de la chute du gouvernement Barnier lors du vote du budget, les taux d’intérêts de la dette française ont augmenté. Sous pression des marchés, le risque d’une panique financière revient au premier plan.

Ces derniers jours, l’instabilité politique et le risque d’une censure du gouvernement Barnier, soit lors du vote du PLFSS, lundi 2 décembre, soit lors du vote final du projet de loi de finances 2025, à la mi-décembre, inquiètent les marchés financiers. Ce jeudi, la France s’endette à des taux aussi élevés que la Grèce, tandis que la différence entre les taux de la dette allemande et de celle de la France a également atteint un niveau sans précédent, proche des 90 points. Une situation inédite depuis la crise de la zone euro en 2012. Et la situation pourrait encore s’aggraver en cas de chute du gouvernement.

Le risque d’une attaque contre la dette grandit

« Nous envisageons que les investisseurs demandent à terme un surcoût d’un point entier de pourcentage pour prêter à Paris plutôt qu’à Berlin si le gouvernement tombe » explique Matthieu de Clermont, analyste d’Allianz Global Investors.

Si le rendement des obligations n’est pas revenu au niveau record qu’il avait atteint après l’annonce de la dissolution (3,2%), il se maintient à des niveaux très élevés (autour de 3,02%) [1]. Mais, si le taux en valeur absolue a pu profiter du desserrement des taux de la BCE qui a diminué de 25 point de base depuis octobre, le « spread » de taux entre la France et l’Allemagne n’a eu de cesse de se creuser ces derniers jours. Alors que le 1er mai, ils étaient de 2,66 % pour l’Allemagne, et 3,14 % pour la France, aujourd’hui, ils sont respectivement à 2,18 et 3,04 %.

Dans cette situation aiguisée par l’instabilité politique, la crise économique revient au premier plan, avec la crainte d’une attaque de la dette française par les marchés. Si les marchés financiers ne refusent pas, comme ce fut le cas pour la Grèce, de prêter à la France, le déclassement de la dette française annonce des temps difficiles, comme le souligne Alexandre Counis dans un édito pour le journal patronal Les Échos : « Le marché de la dette [française] reste à la fois liquide et profond, et ses obligations d’Etat demeurent prisées. Mais c’est une autre catastrophe qui guette notre pays. Peut-être moins spectaculaire, sans doute plus rampante, mais tout aussi dramatique. La vraie menace qui plane sur la France, c’est celle d’une grave défiance des marchés. Un poison certes lent, mais tout aussi mortel. Avec à la clé une asphyxie progressive et une inexorable paralysie ».

Si les marchés ne doutent pas de la capacité de la France à rembourser ses dettes, ils s’inquiètent en revanche de la capacité du gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour résorber le déficit : avec une Assemblée nationale ingouvernable, un gouvernement sans majorité et un président impopulaire dont une partie de la classe politique appelle ouvertement à ce qu’il démissionne, les craintes se propagent. Économiste chez Oddo BHF, Bruno Cavalier, interrogé par Le Monde, se fait le porte-parole des investisseurs : « Les marchés sont très inquiets. Redresser les comptes publics demande d’agir dans la durée. Or, Michel Barnier est déjà en sursis, et la France pourrait finir l’année sans avoir adopté de budget pour la suivante. On risque d’entrer dans un territoire inconnu, sans carte, sans plan. Les marchés mettent un prix sur ce risque, de plus en plus élevé ».

Les marchés s’inquiètent de la crise politique et de la fragilité du gouvernement

De fait, les marchés ne prisent rien de plus que la stabilité politique et la capacité des gouvernements à faire de la satisfaction de leurs intérêts une priorité politique. Comme l’expliquait déjà le sociologue marxiste Wolfgang Streeck, dans un ouvrage publié pendant la crise de l’Euro : « Afin de gagner de haute lutte la “confiance des marchés”, les Etats débiteurs doivent montrer de façon convaincante qu’ils s’appliquent à être à tout moment en mesure de répondre à leurs obligations civiles et contractuelles. […] Tant que les électeurs ont en effet encore la possibilité de donner congé à un gouvernement servant les marchés financiers, les gens de marché ne peuvent jamais être tout à fait sûrs de leur affaire. L’existence d’une opposition potentiellement en mesure de gouverner, et qui développerait des idées moins compatibles avec les dogmes des marchés financiers, peut suffire à couter à un Etat la confiance de ces marchés. Le meilleur Etat débiteur est pour cette raison un Etat pourvu d’une grande coalition […] ainsi que de techniques éprouvées visant à déchoir les positions s’écartant de la “maison” commune de la Constitution nationale » [2].

Ces gages, le régime français n’est plus en mesure de les donner. Les élections législatives anticipées se sont soldées par l’absence de toute majorité au parlement, divisé en trois blocs de force égale. Lors de l’examen du budget, les propositions contraires aux intérêts du patronat se sont multipliées, lui faisant craindre qu’elles ne finissent par attiser la colère contre les riches. Quant aux « techniques éprouvées » pour assagir le parlement, comme le 49-3, elles sont désormais à haut risque. Le déclenchement de cet article, sans une majorité absolue ou une majorité relative forte, pourrait ainsi précipiter la chute du gouvernement.

De ce point de vue, la semaine passée n’a rien fait pour rassurer le capital financier : l’ensemble des forces politiques de l’opposition semble être tombée d’accord. Si les divisions entre le PS et LFI se sont exacerbées, notamment au sujet du projet de loi pour la suppression du délit d’apologie du terrorisme dans le code pénal, le bureau national du Parti Socialiste a décidé à l’unanimité de voter la censure aux côtés des Insoumis.

Si l’extrême-droite souffle le chaud et le froid, sa position de faiblesse dans les débats parlementaires lui a fait durcir le ton ces derniers jours. Alors que le gouvernement Barnier vient de faire des concessions en direction du RN, renonçant à l’augmentation de la taxe sur l’électricité et en attaquant violemment le budget de l’Aide Médicale d’Etat, il reste à voir si celles-ci seront suffisantes pour convaincre le RN de s’abstenir lors du vote de censure.

Une punition collective qui va attiser les attaques contre les travailleurs

Que Barnier tombe dès la semaine prochaine ou qu’il bénéficie d’un moment de sursis, la pression des marchés n’est pas prêt de redescendre et, en dernière analyse, la chute du gouvernement ne fera que précipiter l’explosion potentielle de la crise. Alors que l’endettement public a servi à financer les innombrables exemptions fiscales et les exonérations de cotisations que l’Etat n’a cessé d’accorder au patronat depuis plus de trente ans, le spectre d’une attaque sur la dette suscite l’inquiétude des classes dominantes. À chaque nouvelle alarme des marchés financiers, le patronat pour préserver ses privilèges poussera encore plus loin l’offensive austéritaire déjà en marche contre les travailleurs et les classes populaires

Mais, en plus de l’austérité, l’augmentation croissante des taux d’intérêts menace d’aggraver les tendances à la récession, comme le souligne Denis Cosnard : « Au-delà de son coût pour l’Etat emprunteur, l’augmentation du spread franco-allemand peut avoir des retombées sur l’économie dans son ensemble. Le rendement des obligations d’Etat reste en effet une référence sur laquelle se calent progressivement les taux du crédit bancaire et des emprunts d’entreprise sur les marchés ».

Des éléments de crise qui frapperont évidemment d’abord les travailleurs. Alors que la CGT dénombre 286 plans de licenciement et craint la suppression d’environ 150 000 emplois, la dégradation de la conjoncture économique fournira de nouveaux prétextes au patronat pour abaisser les salaires, licencier à tour de bras et fermer de nouveaux sites.

Face à cette situation, le mouvement ouvrier doit se mettre en ordre de bataille car ce n’est certainement pas aux travailleurs et aux classes populaires de payer une crise que les classes dominantes ont elles-mêmes fait éclater. Lors de son discours de politique, Gabriel Attal avait eu cette formule obscène contre les classes populaires : « tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ». 

Il est grand temps que notre camp social impose, par les méthodes de la lutte des classes, cette règle d’or à la bourgeoisie française.

[1Pour rembourser leur dette principale, les Etats contractent d’autres emprunts auprès d’investisseurs privés grâce à l’émission d’obligations. L’acheteur d’une obligation perçoit, en contrepartie de l’argent qu’il prête, des intérêts à taux fixe. Lorsque la confiance dans la capacité de remboursement d’un Etat diminue, les investisseurs se détournent de ses titres et ne les achètent plus. Conformément à la loi de l’offre et de la demande, le prix de l’obligation baisse, ce qui fait augmenter son rendement : parce que le taux d’intérêt est fixe, un investisseur perçoit alors les mêmes intérêts tout en achetant son action moins chère. Pour attirer les investisseurs inquiets du de la situation, l’Etat est alors contraint d’augmenter le taux d’intérêt de l’obligation. Il s’endette alors à un prix plus élevé qu’auparavant tandis que la dette s’alourdit encore davantage. Lors d’une attaque sur la dette, les investisseurs vendent massivement les obligations, faisant grimper les rendements, et élevant violemment les taux d’intérêt, jusqu’à rendre la dette insoutenable

[2Wolfgang Streeck, Du temps acheté : la crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, Paris, Gallimard, 2013, p. 136.

Révolution Permanente

Aucun commentaire: