jeudi 16 avril 2009

Etre et rester insoumis ( 5 )





Par Jean Dornac

Arrivé à ce stade de la réflexion, il reste à inventer des solutions viables, lucides et raisonnables. Rien de solide ne peut se faire ni dans l’excès ni dans la paresse.

L’un des maux principaux identifiés est cette étrange obéissance, le plus souvent aveugle, envers des autorités choisies ou non par des voies démocratiques. Nous avons vu également que cette obéissance est liée, outre nos faiblesses de caractère, à une « programmation » dès notre plus jeune âge, « programmation » qui se perpétue tout au long de notre vie, de génération en génération et qui s'aggrave avec la télévision. Nous pouvons constater encore que la programmation n’est pas la même selon qu’on appartienne à une caste de puissants ou à la caste des sans droits, des sans avenir. Mais, et c’est encore une évidence pour moi, plus que rares sont les esprits capables de lutter contre cette programmation, capables de s’en défaire et, capables également, de ne pas chercher à en imposer une nouvelle.

C’est l’apprentissage de la liberté qui est le plus grand défi qui attend l’humanité à venir. Soit elle l’apprend enfin, provoquant, bien entendu et inévitablement, des bouleversements très profonds et des résistances tragiques venant du côté des possédants, soit cette humanité disparaîtra bientôt…

L’insoumission comme une première étape indispensable

(Constellation d'insoumis - Andréi Sakharov)

La toute première étape est, à mon sens, incontournable, si difficile et risquée qu’elle soit. Il s’agit, bien sûr, de l’insoumission ! Oui, mais une insoumission « éclairée ». Et l’éclairage, ici, ne peut venir que de l’amour, de cette notion que nous connaissons tous, mais que nous ne savons pas, le plus souvent, mettre en pratique de façon vraiment durable.

Ce mot, « amour », a tellement été galvaudé au fil des millénaires, il a tellement été utilisé par toutes sortes de pouvoirs, religieux comme politiques, que nous sommes presque gênés de l’utiliser, tant il risque d’éveiller dans bien des esprits une mémoire très sélective et une méfiance quasi innée. Il n’empêche, que l’amour est et reste l’essence même de la vie. Sans lui, rien ne subsiste, rien de grand, de solide ne peut se construire. Si beaucoup ne le ressentent plus comme l’une des principales vérités de la vie, cela vient du fait des souffrances, des abus, des dominations, des exploitations voulues et imposées par tant de pouvoirs tout au long de l’histoire humaine.

Parce que les révolutionnaires, de toutes époques, ont voulu réagir sur le même schéma que les pouvoirs en place, ils ont toujours échoué sur l’objectif principal, c’est-à-dire, sur une vie neuve, vraiment meilleure. On peut le constater partout, dans l’histoire de tous les peuples : Une révolution, si elle permet de se débarrasser d’un pouvoir honnis, le remplace par un nouveau pouvoir tout aussi sauvage, tout aussi irrespectueux de l’humain et de la vie en général. C’est la raison pour laquelle je ne crois pas du tout qu’une « bonne vieille révolution » soit adaptée à la situation de l’humanité de notre temps. De plus, si ses promoteurs font usage de la violence, et comment feraient-ils autrement, ils ne pourront que gouverner par la violence, celle-ci, comme un cancer généralisé, contaminant tout ce qu’elle touche.

La première condition d’un progrès réel de l’humanité me semble donc être l’insoumission, mais pas n’importe laquelle. La condition, l’essence même de la réussite de cette insoumission est le respect de tout humain, y compris des adversaires. Ce respect est synonyme de l’amour, large, universel, qui n’a rien d’éthéré, ni religieux ni ésotérique ni naïf ou fleur bleue ; c’est aimer la vie, toute la vie et tout ce qui la compose.

Cet amour, si nous en comprenons vraiment le sens et toute la profondeur, se caractérise justement par le refus de se soumettre à un pouvoir et ses décisions pour l’unique raison qu’il est le pouvoir et que, par des élections, le peuple l’aurait choisi. Le pouvoir est sensé, à notre époque, être le garant de la liberté des citoyens. Mais l’expérience, plus que jamais actuellement, montre que, par nature, le pouvoir est viscéralement contraire à la liberté. Il suffit de penser aux si nombreuses lois liberticides inventées et imposées par les dirigeants des « démocraties » sous le prétexte facile de lutter contre le terrorisme. Il suffit de lever le nez dans nos villes pour apercevoir les trop nombreux « mouchards » qui nous filment ne respectant en rien notre liberté, sous prétexte, cette fois, de garantir notre sécurité.

Ce qu’oublient (ou cachent) un peu vite les promoteurs de ce genre de politique, c’est que la vie elle-même nous montre, depuis toujours, que la recherche de la sécurité est, elle aussi, contraire à la liberté. Plus nous voulons de sécurité, moins, par effet quasi mécanique, nous aurons de liberté. L’insoumis doit toujours se souvenir que la vie se pratique « sans filet » au risque de se casser le cou… Une société devenue trop frileuse, un effet évident de la peur donc de la recherche obsédante de sécurité, est une société qui devient la proie idéale pour toutes sortes de dictatures, qu’elle soit imposée par un envahisseur ou un dictateur national…

Insoumission civile

(constellation d'insoumis - Nelson Mandela)

Les réflexions précédentes m’amènent, obligatoirement, à définir l’insoumission que je préconise en tant qu’ « insoumission civile ». En beaucoup de points, elle est semblable à la « désobéissance civile ». J’y vois, cependant, une différence, mais de taille.

La « désobéissance civile » existe et est pratiquée pour lutter contre une loi, une décision ponctuelle. Elle est nécessaire et, très souvent, efficace. Gandhi, Martin Luther King, l’ont démontré.

L’ « insoumission civile », à mes yeux (notion qui à ma connaissance n’existe pas encore) n’est pas une action ponctuelle, mais un état d’esprit. Ce qui, bien sûr, est différent. Mais les deux peuvent et devraient être complémentaires. L’état d’esprit en question, c’est comme je l’ai écrit dans ces cinq textes, la volonté d’une remise en cause des évidences imposées par la programmation générale. La remise en cause ne signifie pas tout renverser aveuglément. Mais bien de distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais dans le fonctionnement de nos sociétés. Cette remise en cause est donc une œuvre de lucidité pour aboutir vers un monde meilleur. Une loi n’est pas bonne ou mauvaise parce que telle ou telle tendance de pouvoir l’a votée ; on ne peut juger de la valeur d’une loi qu’au travers de ses effets. L’insoumis civile n’attaquera pas une loi qui a des effets positifs pour l’humain, pour l’environnement. Mais il s’élèvera, si nécessaire par la désobéissance civile, contre les mauvaises lois, celles qui ne respectent pas l’humain ou l’environnement, voire qui n’aboutissent qu’à leur destruction.

Vous me direz, peut-être, pourquoi ne pas qualifier ce type d’insoumission, « d’insoumission civique » ?

Différences entre « civile » et « civique »

Les différences sont valables aussi bien pour l’insoumission civile que pour la désobéissance civile par rapport à ce que certains, aujourd’hui, veulent qualifier de « désobéissance civique ».

L’état « civique » est en rapport avec la citoyenneté. C’est, selon le dictionnaire, un désir de conformité aux règles sociales, c’est aussi un sens des devoirs collectifs au sein de la société. Ce n’est donc pas négatif comme notion. Mais, et c’est très important, le civisme n’implique pas automatiquement le rejet de la violence ni l’obligation morale du respect de tous, y compris des adversaires.

L’état « Civile » (ou de civilité) est en rapport avec les citoyens, les relations entre citoyens. On voit donc bien la différence de nature entre les deux états. Le premier vise les règles de vie en sociétés, le second vise l’humain en priorité. Pour ma part, je ne peux que m’adresser à l’humain, être vivant, sensible, connaissant trop de souffrances. L’humain est une réalité relativement stable dans le temps, contrairement aux règles et lois qui changent avec le temps, avec les régimes, et en fonction des intérêts de groupes plus ou moins puissants et fluctuants. La révolte est un état ponctuel, provisoire, alors que l'insoumission bien comprise doit être permanente.

Pourquoi l’insoumission civile ?

(Constellation d'insoumis - Patrice Lumumba)

Quoi qu’en pensent les foules, la violence n’a jamais rien apporté à l’humanité. Ses progrès, tant vantés, ne sont que des faux-semblants qui, en fait, ne sont que des passerelles nous menant vers plus de violence, vers moins d’humanisme.

Il ne s’agit pas non plus de nier les pulsions de violences que nous avons tous en nous. Il s’agit, en tout premier lieu, de les reconnaître puis d’en comprendre le plus finement possible, les causes. Si vous faites cette recherche en vous-mêmes, vous découvrirez que la part instinctive n’est pas la dominante, mais qu’en revanche, la mémoire, la programmation culturelle dans le sens des lègues générationnels, eux, sont dominants. Lorsqu’on comprend cela, on parvient à diminuer, voire à faire disparaître ces sources à l’origine de la violence. À condition, bien sûr, de le vouloir sincèrement.

L’insoumission, telle qu’on la présente habituellement, ne rejette pas une éventuelle violence, nous le savons tous et nombreux sont ceux qui pensent qu’elle est inévitable et même nécessaire. C’est là que je diverge totalement. Non, la violence n’est pas inévitable ! Elle ne le devient que si nous sommes soumis à nos diverses programmations.

Une insoumission réelle, révolutionnaire, dans le plus grand sens de ce mot, mais toujours dans le respect total de tous les humains, des amis aux adversaires, implique un grand nombre de changements personnels, d’attitudes nouvelles. En cela, il faut du courage et de la persévérance. Mais si l’on prend cette route, alors la pensée change, elle quitte quelque peu les chaînes de la mémoire, et le neuf, tant désirable, peut advenir enfin !

L’insoumission véritable, passe également par la gratuité en tout ce que l’on fait, en tout ce qui est humainement possible, sachant que, telle qu’est conçue la société de notre temps, soumise au système capitaliste dominant presque partout sur la surface de la planète, la gratuité totale, absolue, n’est pas possible. Cependant, et c’est à mon avis extrêmement important, tout acte vraiment gratuit est un acte fort d’insoumission au système. C’est battre en brèche les valeurs et dogmes qui nous dominent et écrasent la plus grande part de l’humanité. Il faut bien comprendre que la gratuité est l’opposé absolu du système marchand. Cette volonté de gratuité, si elle est suivie par le grand nombre, peut devenir, peu à peu, le grain de sable qui grippera la machine.

(Constellation d'insoumis - Les Mères de la Place de Mai - Buenos Aires)

Le temps de la conclusion provisoire

Vous aurez compris ma conviction profonde, conviction que je n’impose à personne, mais que je vous expose pour la réflexion, pour qu’éventuellement vous vous l’appropriiez.

L’homme ne fait rien de grand s’il n’est pas insoumis !
L’essence de son être est la liberté, or l’obéissance est la négation de cette liberté ; l’obéissant est semblable à un oiseau dont on a coupé les ailes…

Avec l’insoumission, le sujet central de cette réflexion se posait ainsi :
Peut-on vivre, entre humains, sans qu’il n’y ait un pouvoir quelconque ?

Ma réponse est : Oui, à quelques conditions et au minimum :
- amoindrir toujours plus l’ego, en commençant pas nous-mêmes, jusqu’à ce que les gens de pouvoir aient honte d’en user encore ;
- inventer, de façon totalement neuve, hors de tout cadre, une nouvelle manière de vivre ensemble ou les relations de pouvoir doivent être proscrites.

Ces deux points sont indissociables : L’ego menant au goût du pouvoir et le pouvoir menant à l’élargissement constant de l’ego.

Vous allez peut-être me demander, voire exiger de moi que je vous donne des solutions toutes faites… Eh bien non, il n’existe pas de solutions toutes faites, celle-ci n’étant en général que le fruit pourri des habitudes, de la mémoire qui ne veut pas disparaître. La solution toute faite, est avant tout l’œuvre des dictateurs, individus ou dirigeants, petits ou grands, dictateurs affirmés ou cachés.

Les solutions n’arriveront que par des esprits neufs, que par des essais, des tâtonnements, à l’exemple même de ce qu’on voit depuis les débuts de l’univers, depuis le big-bang jusqu’à nos jours, où, tout est essais, tâtonnements, mort de ce qui n’est pas adapté.

Je suis, ainsi, persuadé que les solutions ne viendront pas d’un « esprit éclairé », mais de la remise en cause de nos certitudes, donc de l’obligation que nous nous imposerons, tous, pour inventer des voies réellement neuves. Si nous y mettons l’amour de la vie, l’amour de l’humain, mais tout l’humain, toutes différences confondues et véritablement acceptées, alors, viendront, peu à peu, les solutions nouvelles, ces solutions qui permettront à l’humanité de poursuivre sa route…

L’ensemble de cette réflexion n’est qu’une goutte, un rien… La pensée est un vaste champ qui est réellement infini. S’il connaît des limites, c’est qu’il est borné par nos habitudes, nos refus de nous éloigner du connu, par peur, sans doute, de l’inconnu...

Il ne tient qu’à nous de casser les bornes et d’aller, tous, vers l’infini !

Lire les textes précédents :

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